Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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Quand les pouvoirs publics se tirent une balle dans le pied

lundi VII juillet MMVIII

Vous avez sans doute entendu parler de cette affaire récente de dénonciation d'un clandestin (c'est le terme justifié en droit, et non l'expression « sans papiers » dont l'origine et le sens reste à déterminer) par une assistance sociale, elle même dénoncée par le blog Me Eolas (lien).

Je ne commenterais pas le principe de la dénonciation. Tout d'abord, j'ai déjà dit par le passé ce que j'en pense, je ne vais point radoter (cf. lien). Mais, de plus, il me semble que tout ceux qui dissertent du scandale de la dénonciation au prétexte de cette affaire devraient prendre en considération le fait qu'ils ne connaissent cette affaire que par une dénonciation similaire.

Je n'évoquerais pas la question de la violation du secret professionnel par cette assistance sociale. D'autres l'ont fait et, concluant à la culpabilité de l'assistante sociale, leur analyse ne semble guère contestable (lien).

Ce qui m'intrigue, c'est ce qu'en dit le vice président du tribunal de Bobigny : « Les pouvoirs publics eux-mêmes se devraient de fustiger cette démarche individuelle [NDM : celle de l'assistante sociale]. A défaut, ils se tireraient une balle dans le pied. Les travailleurs sociaux seront rapidement grillés dans les quartiers populaires ; ils ne pourront plus apaiser individuellement et collectivement les conflits comme il leur est implicitement demandé. Juge des enfants, comment pourrais-je venir en aide à certains enfants étrangers arrivant à Roissy pour rejoindre leur famille si je faisais interpeller au prétexte qu'ils sont en situation irrégulière les parents qui se présentent en toute confiance dans mon cabinet pour reconnaître leur enfant et le prendre en charge ? » (lien).

Ce qui m'intrigue, c'est d'imaginer qu'il est possible pour des clandestins, c'est à dire des personnes commettant le délit de séjour irrégulier (articles 5, 6 et 19 de l'Ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945) puni d'une peine d'emprisonnement, de se présenter devant un magistrat et que celui-ci, en pleine connaissance de cause, fasse comme si de rien n'était. Au même moment, des radars automatiques sanctionnent de manière automatisée des personnes qui commettent, par exemple, un excès de vitesse de 6 kmh, c'est à dire un fait contraventionnel trivial.

Les pouvoirs publics se tireraient une balle dans le pied si, finalement, ils s'en tenaient à la loi, voilà ce qu'on doit comprendre. La France réprime la clandestinité mais la moitié, sinon plus, des pouvoirs public doivent faire comme si de rien n'était et prendre en charge les clandestins comme n'importe quel citoyen ou étranger séjournant régulièrement sur le territoire de la République.

Il va de soi que le message envoyé aux clandestins est des plus cryptique : ils n'ont pas le droit d'être là, mais ils ont tous les droits de ceux ayant le droit d'être là. Ils ont notamment le droit de bénéficier de soins médicaux, le droit d'envoyer leurs enfants à l'école, ils ont même le droit de payer des impôts ou encore de manifester. Mais on dit en même temps que leur présence est indésirable. Comment traduire pareil paradoxe ? La clandestinité est réprimée au motif des troubles socio-économiques qu'elle engendre ; mais la clandestinité est finalement admise et supportée avec volontarisme par les pouvoirs publics dans ses implications socio-économiques, de la même manière que l'on réprime la polygamie tout en la considérant source de droits civiques particuliers (lien).

Les pouvoirs publics se tirent-ils une balle dans le pied à force de cohérence au regard de la loi ? Ou, au contraire, deviennent-ils boiteux à force de faire semblant d'ignorer la loi, à force de prêcher une chose et d'appliquer son contraire ?

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« 14 juillet, Après l'idiot utile, l'imposteur ?   

    2 juillet, Quel est cet orage qui gronde ? »

1. Illustration du paradoxe

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« BOBIGNY. Les vigiles maliens avaient été licenciés en 2006, accusés d'avoir présenté des faux papiers. Selon eux, leur employeur connaissait leur situation.
Le conseil de prud'hommes de Bobigny a examiné lundi les recours de dix vigiles maliens licenciés en 2006 pour avoir présenté de faux papiers à leur employeur qui les avait embauchés sans accord préfectoral préalable, sciemment selon eux. Le jugement a été mis en délibéré au 15 septembre.

En mai 2007, Claude Zanga, le gérant d'Omnium de sécurité privée (OSP), société aujourd'hui disparue, a été condamné par le tribunal correctionnel de Bobigny pour «travail dissimulé» à huit mois d'emprisonnement avec sursis, 5.000 euros d'amende et une interdiction d'exercer de trois ans.


Dix ex-salariés sans papiers employés par OSP dans des enseignes Monoprix ou Groupe U d'Ile-de-France étaient présents lundi aux Prud'hommes, y compris Souleymane Bagayogo, expulsé en août 2006. «Etre là était hyper important, ça me confirme dans l'idée que la France est un Etat de droit», a expliqué à l'AFP le sans-papiers, autorisé à rentrer en France, où vivent sa femme et sa fille, avec un visa court séjour, pour défendre ses droits.

Les dix Maliens, dont sept ont été à ce jour régularisés, selon le syndicat CGT, avaient été licenciés pour «faute grave» ou «faute lourde» pour avoir présenté de faux titres de séjour à leur embauche, entre 2002 et 2006. Dans un cas, un vigile était parti de lui-même.

Pour chaque salarié, Me Gaëtane Carlus a réclamé environ 8.000 euros de dommages pour licenciement abusif, «sans cause réelle ni sérieuse», ainsi que le rappel de primes non versées. Plus de 125.000 euros sont au total demandés. Selon Me Carlus, ils ont été licenciés lorsqu'ils «ont commencé à devenir agaçants», à la rentrée 2005, et décidé d'adhérer à la CGT pour faire valoir leurs droits (sur les horaires, congés et primes).

L'ex-gérant, qui aurait dû demander préalablement à leur embauche un agrément individuel à la préfecture, ne l'a fait qu'en septembre 2005 «par mesure de rétorsion». En janvier 2006, la préfecture lui notifiera «27 autorisations pour 61 demandes», et déclenchera une enquête. Celle-ci aboutira en juillet 2006 à la perte d'agrément global de cette société qui employait entre 60 à 100 vigiles, et sa liquidation judiciaire en octobre.

Les représentants du fonds d'assurance chargé d'indemniser les salariés des entreprises en redressement ou liquidation (AGS) et du mandataire judiciaire ont demandé que les salariés soient déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts, le licenciement étant d'après eux «fondé» dès lors que les papiers étaient bien faux. «Les négligences graves d'OSP ont déjà donné lieu à des condamnations, tant devant les juridictions administratives que pénales, on espère que le conseil des Prud'hommes en tirera lui aussi les conséquences», a déclaré Me Carlus. »

Posté le 7.07.2008 à 19h12 par Enclume des Nuits (auteur du blog)

2. Illustration du paradoxe, autre exemple

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« Cinq familles ont installé un campement mercredi soir dans la cité des Courtillières à Pantin (Seine-Saint-Denis) pour protester contre leur expulsion survenue le matin.
Les familles, d&#8217;origine sénégalaise, camerounaise et malienne, occupaient sans autorisation depuis plusieurs années des logements HLM situés dans la cité.
Mercredi matin, elles ont été expulsées très tôt dans la matinée par les forces de l&#8217;ordre en présence d&#8217;un représentant de la mairie.
Refusant les six nuits d&#8217;hôtels proposées par la Mairie de Pantin en attendant, la trentaine de personnes concernées s&#8217;est ensuite rassemblée dans la Maison de quartier des Courtillières.
De jeunes habitants de Pantin les ont rejoint et la police est intervenue sur les lieux pour évacuer, de manière musclée, les squatteurs.
Cette expulsion intervient alors que les logements sociaux sont en passe d&#8217;être réhabilités dans le cadre d&#8217;un projet de rénovation urbaine de la cité des Courtillières.
La position de la mairie est claire : «On ne reloge pas les squatteurs de logements sociaux», indique Philippe Bon, directeur de cabinet du maire PS Bertrand Kern. «Nous avons 3947 dossiers d'attente de logement et ce sont des personnes en situation critique», poursuit Philippe Bon.
Les familles ont l&#8217;intention de camper «jusqu&#8217;à obtenir trois mois minimum» d&#8217;hôtel, certains proposant de payer une partie de la facture, selon l&#8217;AFP.
La Mairie de Pantin est en ce moment même en train de recevoir des représentants des familles afin de trouver une solution. »

Posté le 24.07.2008 à 15h24 par Enclume des Nuits (auteur du blog)

3. Illustration du paradoxe, autre exemple

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« Huit femmes immigrées qui s'étaient installées mercredi avec leurs enfants devant la mairie d'Asnières (Hauts-de-Seine) pour réclamer un logement ont été interpellées jeudi soir et placées en garde à vue, a-t-on appris vendredi de plusieurs sources.

Quatre femmes, en situation irrégulière, se trouvaient toujours en garde à vue vendredi au commissariat d'Asnières, sur huit interpellées, a indiqué la préfecture des Hauts-de-Seine à l'AFP.


«Nous sommes en train de regarder les procédures pour voir si elles peuvent être éloignées du territoire français», a ajouté une source à la préfecture, précisant que six enfants avaient été confiés à un substitut du procureur de Nanterre pour être placés dans des foyers d'accueil.

Les femmes, pour la plupart de nationalité ivoirienne, s'étaient installées devant la mairie d'Asnières mercredi pour protester contre la fin au 31 juillet de leur prise en charge dans des hôtels sociaux, dans le cadre d'une convention avec la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales des Hauts-de-Seine (DDASS 92).

Les familles avaient été relogées dans ces hôtels, situés en région parisienne, en septembre 2007, après avoir été expulsées d'un autre hôtel d'Asnières, déclaré insalubre, un mois plus tôt.

Selon la préfecture, l'opération policière a eu lieu à la demande du maire socialiste d'Asnières, Sébastien Pietrasanta.

«J'ai demandé le concours de la force publique pour faire évacuer ces familles, parce qu'il n'y avait aucune solution de relogement, mais en aucun cas je n'ai demandé leur arrestation et leur éloignement du territoire», a expliqué le maire à l'AFP.

Selon la mairie, d'autres familles expulsées de l'hôtel insalubre à l'été 2007, mais qui sont celles-là en situation régulière, ont vu leur prise en charge prolongée jusqu'au 31 octobre 2008.

«D'ores et déjà, 10 familles soit 16 personnes ont trouvé des solutions d'hébergement pérenne. Pour huit familles, soit 22 personnes, il est prévu d'intégrer (...) un logement d'ici le 31 octobre 2008», ajoute la mairie dans un communiqué. »

Posté le 1.08.2008 à 16h29 par Enclume des Nuits (auteur du blog)

4. Illustration du paradoxe, autre exemple

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« Pas de trêve estivale pour les grévistes de Griallet

Sans-papiers . Au 90e jour d&#8217;occupation pour leur régularisation, la mobilisation des travailleurs de cette entreprise de démolition montreuilloise (Seine-Saint-Denis) ne faiblit pas.

« Même dans les films, je n&#8217;ai jamais vu ça. » Face à un parterre de journalistes et de responsables associatifs, Abdoulaye Traoré, travailleur sans papiers, témoigne. Son patron, Jean-Luc Griallet, gérant de la société éponyme
à Montreuil (Seine-Saint-
Denis), lui aurait affirmé que ses chiens étaient dressés contre les Noirs&#8230; Comme au temps de l&#8217;apartheid en Afrique du Sud. C&#8217;est dire si la situation est conflictuelle, entre les salariés en grève de cette société de démolition et leur employeur. Depuis le 22 mai, ils sont 21, dont 19 Maliens sans papiers, à occuper nuit et jour leur entreprise pour exiger leur régularisation.
des témoignages accablants
Agressivité verbale, propos racistes, menaces&#8230; Les témoignages des salariés contre leur employeur sont accablants. Tous affirment avoir été exposés à l&#8217;amiante et au plomb sans en être informés et sans protections adéquates. « Ce que nous avons subi&#8230; Je ne peux pas tout expliquer, poursuit Abdoulaye Traoré. Nous n&#8217;avons rien à nous reprocher. Monsieur Griallet n&#8217;a pas la sagesse de l&#8217;âge, il continue à mentir et à faire tourner ses chantiers comme si de rien n&#8217;était. »
Depuis le début du mouvement, l&#8217;employeur réclame l&#8217;expulsion par la force des salariés sans papiers. Début juin, le tribunal de grande instance de Bobigny l&#8217;avait débouté. Mais, coup dur pour les grévistes, le tribunal a finalement ordonné leur expulsion pour le 4 septembre. « C&#8217;est scandaleux, dénonce Richard Delumbee, responsable CGT. Nous allons faire appel de cette décision et, en attendant, nous continuons la lutte et demandons à monsieur Griallet de négocier avec nous. »
les soutiens se font plus rares
Si les grévistes se disent « déterminés » à aller au bout, au 90e jour de grève, ils avouent aussi que le moral n&#8217;est pas très bon. « Avec l&#8217;été, les soutiens se font plus rares, dit Moussa Diarra. Et surtout, rien n&#8217;avance. » Mauvaise nouvelle, la municipalité, qui a fourni des toilettes chimiques et l&#8217;arrivée d&#8217;eau, arrête la distribution des repas qu&#8217;elle fournissait midi et soir depuis le début du mouvement. « Ces plateaux achetés chez un traiteur ont déjà coûté 40 000 euros sur le budget du CCAS (centre communal d&#8217;action sociale - NDLR), justifie Claude Reznik, conseiller municipal. La caisse est presque vide, on ne peut pas continuer. On va essayer de trouver une autre solution, peut-être avec les foyers. »
Les soutiens, associatifs et politiques, sont nombreux. Jean-Pierre Brard, député de Montreuil, énumère les let- tres qu&#8217;il a envoyées sans retour au ministre de l&#8217;Immigration, Brice Hortefeux, ou au préfet de Seine-Saint-
Denis pour dénoncer cet employeur « délinquant ». « Je n&#8217;ai pas peur de le dire, je ne suis pas tenu au devoir de réserve, a poursuivi l&#8217;ancien maire. Monsieur Griallet organise l&#8217;emploi des sans-papiers avec des changements d&#8217;identité et le juge passe, avec armes et bagages, de son côté. » Les grévistes et leurs soutiens se sont donné rendez-vous aujourd&#8217;hui, à 14 heures, devant l&#8217;inspection du travail de Bobigny avec les salariés sans papiers également en grève de la société de nettoyage Alfa services, au Bourget. Depuis dimanche matin, Jean-Luc Griallet n&#8217;a plus réapparu. Il restait injoignable hier après-midi. »




Dans cette ville, la caisse du « centre communal d&#8217;action sociale » est donc vidé au service de personnes n'ayant pas légitimité à être sur le territoire de la République. Sympathique pour les nécessiteux régulièrement installés à cet endroit.

Posté le 13.08.2008 à 12h49 par Enclume des Nuits (auteur du blog)
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