Misérable ?
jeudi XXVII novembre MMVIIIDifficile de passer à côté de l'article « Misérable » de « Maître Mo, avocat au barreau de Lille » (lien), qui évoque la « loi inique » sur les peines-plancher au travers du récit d'une audience où « il faudrait que notre Ministre [de la Justice] soit dans la salle », audience de jugement d'une handicapée mentale polytoxicomane (consommation d'héroïne ET de Subutex, son produit théorique de substitution) en multirécidive (quatorze mentions au casier judiciaire) de vol à l'étalage, cas à reprocher de la condamnation à une peine privative de liberté ferme, y a quelques mois, dans les alentours de Grenoble, d'un individu pour le vol de bonbons.
Dans ses conclusions (je vous invite à lire le billet en question), Maître Mo nous écrit :
Et à part toute l'émotion, toute la misère de cette gamine, je ne ressens ensuite pas de pitié, pas de compassion, ce ne sont pas les bons termes : juste une incommensurable honte pour nous tous, celle d'être là et de faire partie d'un système qui permet çà, celle même de ne pas m'être levé pour dire que je la défendais, pour pouvoir hurler un bon coup ce que probablement pour une fois même les membres de la Cour pensent aussi : "qu'est ce qu'elle fout là ????"
Les vigiles du magasin pouvaient la laisser partir.
Le Parquet pouvait ne pas la poursuivre, ou au moins avant ordonner une mesure d'expertise psychiatrique, au minimum.
Le Tribunal et la Cour pouvaient, et devaient, lui commettre un avocat d'office, qui pouvait et devait la sortir de là.
Ils pouvaient, la Cour le peut encore et j'ai eu l'impression qu'elle le ferait, certes appliquer la peine plancher, puisque c'est la loi, mais l'aménager entièrement en autre chose, n'importe quoi d'autre, que de la prison.
Ils pouvaient encore, c'est aussi la loi, refuser de la juger, et la déclarer pénalement irresponsable, même sans expertise, et de toute façon en ordonner une avant dire-droit, à cette même fin.
Ils pouvaient, même en la condamnant, même à du ferme, ne pas décerner mandat, la laisser libre, tenter encore même si ça l'avait déjà été de l'obliger à se soigner, à accepter de l'aide, à trouver logement social et pourquoi pas, travail aménagé
Le législateur pouvait refuser de voter une loi inique dont cette application n'est malheureusement qu'un exemple, triste à crever.
Beaucoup de questions sont posées, même si quelque peu rhétoriques. Je prend le parti d'y répondre néanmoins.
Au delà du pathos, la réponse à la question de départ est pourtant simple : elle constitue un trouble social et, à ce titre, ses actes l'amènent devant une juridiction pénale, si tant est qu'elle n'est pas pénalement irresponsable (ce qui n'est pas automatique du fait d'un handicap intellectuel et d'une dépendance à l'héroïne).
Les vigiles du magasin pouvaient la laisser partir, nous dit Maître Mo. Avec quatorze mentions au casier judiciaire. Quatorze mentions au casier judiciaire, qu'est-ce que cela représente dans les faits ? Au moins plusieurs rappels à la loi initiaux (c'est à dire l'absence totale de poursuites) pour les premières interpellations ; ensuite, nombre de procédures dites simplifiées, où la voleuse signe un papier devant un policier en disant reconnaître ses torts et promettre de ne plus recommencer ; ensuite, si les faits persistent à se produire, et si le préjudice n'est pas trop négligeable, on en arrive à quelques gardes à vue et des alternatives aux poursuites ; puis, si ça continue, on peut en arriver à une première citation à comparaître devant le tribunal correctionnel, souvent délayée plusieurs mois en aval car la Justice est fort occupée ; et, finalement, on en arrive à une première condamnation avec inscription au casier judiciaire ; ensuite, après la première inscription, on passera plus facilement à l'étape garde à vue et citation à comparaître, les treize inscriptions suivantes sont donc plus facile à obtenir. Tout ça pour dire que pour avoir quatorze mentions au casier judiciaire, il faut se lever de bonne heure et ne manquer d'ardeur à la tâche ; d'autant qu'on ne mesure que les faits qui se sont suivi d'une interpellation, qu'on peut supposer largement moins nombreux que les faits commis. Alors, certes, les vigiles auraient pu laisser partir, en remettant « la paire de chaussettes Puma d'une valeur de neuf euros cinquante » dans le rayonnage. Jusqu'à quand ?
Question suivante : pourquoi le Parquet n'a t-il pas ordonné une mesure d'expertise psychiatrique ? Rien n'indique que ça n'a pas été fait. Et si cela n'a pas été fait, en quoi est-ce induit par les peines-plancher ? Question corollaire : [la Cour pouvait] encore, c'est aussi la loi, refuser de la juger, et la déclarer pénalement irresponsable, même sans expertise. Même réponse, si cela n'a pas été fait, les peines-plancher en sont innocentes.
Point suivant : [la Cour pouvait], certes appliquer la peine plancher, puisque c'est la loi, mais l'aménager entièrement en autre chose, n'importe quoi d'autre, que de la prison. C'est vrai, cette peine pouvait être aménagée. Mieux, la Cour aurait pu déroger à la loi, sans être véritablement révolutionnaire, en motivant son choix, comme dans 51 % des cas connus depuis l'entrée en vigueur de cette loi (lien). Mais, pourtant, la Cour a fait le choix d'appliquer une peine-plancher non aménagée, bien au delà de ce que la Loi lui imposait.
Ensuite, la Cour pouvait même en la condamnant, même à du ferme, ne pas décerner mandat, la laisser libre. Il me semble, puisqu'on parle d'iniquité, que voilà un principe bien inique, bien que très courant, que d'instaurer une distinction entre condamnés à de la prison ferme en jouant du mandat de dépôt qu'on décerne ou pas à leur encontre. Si une Cour estime qu'il est nécessaire de condamner à une peine privative de liberté un individu, je ne comprend pas à quel titre elle peut estimer judicieux de délayer, remettre à plus tard, l'exécution de cette peine - si une telle peine peut attendre, est-elle vraiment nécessaire (et si elle n'est pas nécessaire, qu'est-ce que ça implique au regard de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ?) ? Et je passe sur les cas lamentables de condamnés qu'on vient chercher plusieurs années après leur jugement et qu'on catapulte en prison alors qu'ils se sont reclassés socialement, anéantissant tout progrès réalisé par le condamné.
Quoi qu'il en soit, Maître Mo s'égare en contresens, puisque tout au long de ses conclusions, il ne fait que mettre en lumière le fait que la loi sur les peines-plancher n'est pas la cause de la condamnation qu'il estime inique, puisque la Cour disposait de bien d'autres solutions, qu'elle a pris le parti de laisser de côté. C'est ajouter du malentendu à la misère...