Nouvelle étape dans la substitution du droit national ?

Ce jour, « Act-Up Paris, SOS-Homophobie et le Syndicat national des entreprises gay, envisagent de saisir la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), a-t-on appris jeudi auprès de leur avocate, Me Caroline Mécary, au lendemain de l'annulation par la Cour de cassation de la condamnation pour injures publiques de Christian Vanneste ». En effet, selon leur avocate, les juges de cette cour « sont beaucoup plus imprégnés du droit communautaire, où l'atteinte aux communautés est prise avec beaucoup plus de sérieux que dans le droit français ».

Pour « le secrétaire général de l'association SOS Homophobie, Michel Navion », « la Cour de cassation avait rendu "un avis politique plus qu'un avis juridique", qui selon lui "foule aux pieds la loi de 2004 contre les discriminations", et "ouvre la voie" à toutes sortes de propos discriminatoires. "Qu'est-ce qui empêchera un autre député de dire que la race noire est inférieure à la race blanche, ou que la religion catholique est inférieure à la religion islamique?", s'est-il inquiété » (lien).

Sur la forme, cette démarche implique de substituer le droit français, qu'on ne trouve pas assez « communautaire » (logique, dans une République une et indivisible !) à un droit européen constitué de traités divers et variés, au système de représentation populaire d'autant plus fragile. Soit. Ce n'est pas vide de sens quant au principe même de démocratie mais l'essentiel sur la forme est ailleurs.

L'essentiel, et le plus curieux, toujours sur un plan formel, c'est qu'il s'agit utiliser la Cour européenne des droits de l'homme contre un individu, alors que cette Cour a surtout pour charge de s'assurer que les Etats signataires de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme en respectent les termes. « Vous pouvez introduire une requête devant la Cour si vous vous estimez personnellement et directement victime d'une violation des droits et des garanties prévus par la Convention ou ses protocoles. La violation doit avoir été commise par l'un des Etats liés par la Convention », apprenons-nous sur le site de la cour (lien). De plus, il s'agit, très prosaïquement, d'utiliser cette cour, in fine, pour restreindre la liberté d'expression d'un individu, sa « liberté de pensée, de conscience et de religion », droits explicitement sauvegardés par cette même cour (Ibidem), Cour qui n'a pas pour objet.

Sur le fond, je ne vois pas matière à s'étonner. Même si, en l'espèce, je ne partage pas le point de vue de Christian Vanneste, je saisis mal comment on pourrait imposer à quelqu'un, en démocratie, la neutralité religieuse ou politique. Je ne vois pas, contrairement à Michel Navion, où est le scandale à ce que quelqu'un affirme que « la religion catholique est inférieure à la religion islamique » : j'imagine très mal un imam qui tiendrait un autre discours. De fait, si certains adhèrent à une religion plutôt qu'une autre, c'est nécessairement qu'ils pensent qu'elle est plus pertinente, donc, dans une certaine mesure, supérieure. Et cela n'a aucun rapport avec du racisme, car cela n'implique pas qu'ils considèrent comme des sous-hommes les mécréants. De même, quelqu'un peut très bien estimer le marxisme supérieur au capitalisme, ça n'implique pas qu'il désire obligatoirement exterminer ceux qui adhèrent au second. De même, quelqu'un peut très bien estimer le socialisme supérieur au nazisme... L'analogie avec le racisme n'est même pas une simplification hasardeuse, elle est tout simplement absurde ; préférer des idées à d'autres, préférer un mode de vie à un autre, est sans rapport avec le fait de proclamer une couleur de peau, un groupe ethnique, inférieure.

Sur la forme et sur le fond, la démarche « d'Act-Up Paris, SOS-Homophobie et du Syndicat national des entreprises gay » a ainsi de quoi surprendre. Devrions-nous vivre dans un monde aseptisé ou tout devrait avoir la même valeur à nos yeux, un monde absurde où le verbe discriminer est devenu synonyme d'injurier, un monde où il faut dire qu'un rectangle est aussi un cercle pour ne pas se trouver mis en cause ? Est-ce cela, la liberté d'expression et d'opinion que nous proposent ces associations, la liberté de surtout ne facher personne et de ne rien penser qui sorte de la norme ? Ne pouvant ignorer, vu qu'assistés d'un avocat, que la CEDH ne peut donner suite à leur éventuelle plainte contre un individu et non un État, quel est le sens de ces déclarations publiques ? Entretenir la confusion aux yeux du public sur le sens des Institutions européennes, qu'on juge à tort ou à raison plus conciliantes avec le communautarisme ?