L'épineux non-débat sur l'immigration, suite
samedi XXVII mai MMVIHier, ici-même (lien), j'évoquais la douloureuse question de la sur-représentation de la population immigrée dans les statistiques de la délinquance et de la criminalité et de l'impossible débat à son propos. Je ne résiste pas à la tentation de citer l'inspirant parquettier Philippe Bilger (dont, il est vrai, j'ai déjà chanté les louanges précédemment sur ce blog, lien - cela ne me gêne point de réitérer, puisque cela me semble mérité) : « On est tellement conscient de la nécessité de ne pas tomber dans le racisme que l'on hésite à permettre l'expression d'un diagnostic sur une réalité qui pourrait, pour des esprits débiles ou sommaires, apparaître comme une forme d'exclusion. Je trouve notamment absurde que, dans des articles rendant compte de certaines affaires délictuelles ou criminelles, des journaux ne donnent pas l'identité de la personne qui a été condamnée - parce qu'elle serait celle d'un Arabe -, par crainte de nourrir une sorte de racisme. Je trouve cela absurde, dans la mesure où c'est refuser de prendre en compte une réalité singulière qui ne doit en aucun cas entraîner une globalisation. À une époque, on savait que les prisons d'Ile-de-France contenaient 40 % au moins de détenus d'origine maghrébine, mais on voulait pas le dire. Rappelez-vous la polémique qu'avait suscité la sociologue Michelle Tribalat parce qu'elle disait la vérité sur la réalité de la délinquance de l'immigration et qu'elle était de gauche. On lui reprochait de dire le vrai parce que ce vrai risquait de nourrir le racisme anti-maghrébin. Il ne s'agit évidemment pas de dire que les Maghrébins sont tous des délinquants - ce que pourrait laisser croire quelqu'un comme Le Pen. Mais je trouve tout à fait sain qu'on ait le droit de dire une vérité sociologique, judiciaire. Il n'y a aucune raison de prendre les Français pour des gens tellement faibles d'esprit ou incultes qu'ils seraient susceptibles de tomber dans un amalgame tout à fait absurde » (in Le Guignol et le Magistrat, Paris, 2004, p. 293-294).
J'aimerais poursuivre l'évocation problématisée de l'immigration à la lumière de l'actualité récente de l'Espagne.
En 2004, lors de l'arrivée au pouvoir de José Luis Rodríguez Zapatero, du PS espagnol, une grande régularisation de sans-papiers, c'est à dire d'individus se trouvant illégalement sur le sol espagnol, illégalement du fait des lois légitimes de la démocratie espagnole, fut programmée. « La légalisation massive lancée par les autorités espagnoles a pour objectif "d'en finir avec l'immigration illégale, de faire affleurer l'économie souterraine et de mettre un terme aux coûts sociaux que provoquent le travail clandestin". Entre 500 et 800 000 sans-papiers devraient bénéficier de ce processus de régularisation » (lien). Certains proposent que la France en fasse de même.
Le PS de Zapatero n'a donc pas réellement envisagé une remise en question du principe de régulation de l'immigration, n'a pas envisagé de remettre en question les lois qui permettent d'interdire ou autoriser l'accès au sol national à des étrangers.
Partant de là, il convient avec du recul d'examiner le résultat de la mise en oeuvre de cette régulation massive, il s'agit de se demander si le résultat observé correspond de près ou de loin avec la fin de l'immigration illégale (« en finir avec l'immigration illégale »).
Ce n'est pas ce qui ressort de l'article de mercredi dernier, publié dans Libération, intitulé « Madrid en état de guerre contre l'immigration » (lien). On y apprend que « le gouvernement espagnol avait décidé de marquer le coup la semaine dernière après plusieurs vagues successives de cayucos, ces pirogues de pêcheurs qui transportent clandestinement les candidats à l'immigration entre la Mauritanie ou le Sénégal et les Canaries », qu'il réclame « en vain l'implication de l'Union européenne », que « jeudi dernier, les centres d'accueil ont été à nouveau débordés après l'arrivée de 600 personnes ».
L'échec de cette politique semble manifeste. Il m'apparaît que régulariser ponctuellement sans opérer de changement du cadre qui produit l'irrégularité ne peut donner de résultats valables à terme. Cela est peut-être, à court terme, un bon coup de communication, mais ce n'est qu'une manière de ne pas traiter le problème.
Comment traiter le problème ? Il semblerait que deux optiques seulement soient envisagées en France. Et, à vrai dire, je ne sais pas s'il en existe d'autres. La première est celle promue par le ministère de l'Intérieur, une optique « cynique », une « politique inhumaine et liberticide » qui consiste à accroître l'efficacité de la lutte contre l'immigration illégale, « brandissant le couple maléfique immigration/insécurité », selon le MRAP (lien). Hormis la lutte contre ce phénomène illégal, la seule autre hypothèse de travail semble être un changement législatif rendant ce phénomène légal, non pas ponctuellement mais définitivement.
L'entre-deux me semble intenable car fondamentalement contradictoire.
Je n'ai pas d'avis tranché en faveur ou contre l'hypothèse d'une régularisation définitive (c'est-à-dire du libre-accès total au Territoire de la République). Il me semble que cette question doit être examinée notamment sous l'angle de la sécurité intérieure - on en attend pas moins d'un ministre de l'Intérieur digne de ce nom - car, comme nous l'avons évoqué hier, la population étrangère est sur-représentée dans la délinquance et la criminalité, et cela de manière notable (par exemple : 52 % des vols à la tire).
Selon Alain Bauer, membre de l'Observatoire ayant publié l'étude confirmant cette sur-représentation, celle-ci s'explique notamment par « leur statut ». On peut admettre en effet que sans la possibilité de travailler légalement, l'étranger en situation irrégulière est plus qu'un autre susceptible de commettre un vol, de menus larcins. On ne peut par contre admettre que ce statut explique totalement ce problème de sur-représentation puisque celle-ci est aussi avérée dans des cas qu'on ne peut pas objectivement lier au statut d'étranger en situation irrégulière, notamment les 21,6 % d'implication dans les viols sur majeurs et les 17,4 % d'implication dans les harcèlement sexuels. La régularisation pourrait résoudre une partie de ces problèmes de délinquance et de criminalité mais manifestement pas tous, loin de là. Sur ces infractions sexuelles, Bauer évoque « misère sexuelle touchant certaines populations », pour ma part je pense que se pose la question de l'adhésion aux valeurs de notre pays qui stipulent qu'une femme est l'égale en droit d'un homme, car il me semble que nombre d'infractions sexuelles découlent d'une vision de la femme comme objet asservi.
Mais il est néanmoins admissible de penser que tout ce qui contribuera à l'intégration de ces étrangers dans notre cadre social réduira d'autant cette sur-représentation.
Cette solution présente donc des aspects négatifs et des aspects positifs. Reste à voir si nous avons les moyens économiques d'une telle politique. Car il ne fait aucun doute que cette solution implique de pouvoir intégrer socialement ces individus. S'il ne s'agit que de leur permettre de vivre légalement dans la misère en France, dans une misère pire ou semblable à celle qu'il pouvait connaître dans leur pays de départ, alors il est déraisonnable de penser que ceci réduira ce problème de sur-représentation, au contraire.
Si on n'adopte pas cette solution, je ne vois pas ce que l'on peut faire d'autre que de lutter avec le maximum d'efficacité possible contre l'immigration illégale. Le manque d'efficacité a un coût. Comment, par exemple, ne pas mettre en relation les 40 % d'occupation des prisons d'Ile-de-France par des étrangers évoqués plus haut avec les taux démentiels de surpopulation carcérale (lien) ? Peut-on oublier que ce coût financier est au final aussi un coût humain ? Non seulement cela produit les statistiques que l'on sait, dont la non-évocation pousse certains esprits simples au racisme, mais cela signifie aussi que ce qu'on offre à ces individus immigrés est de l'ordre de l'inadmissible. En terme d'humanisme, ceux qui prônent le statu quo font figure de malhonnêtes ou d'ignares.
Pour ma part, faute d'être convaincu au delà du doute raisonnable que les bienfaits de la seconde solution surpassent ses méfaits, je me rabat donc sur la première et soutien tout ce qui tend à renforcer l'efficacité de la lutte contre l'immigration illégale.
Néanmoins, il est toujours profitable de rappeler que cette lutte ne saurait être efficace que si elle valorise les étrangers qui contribuent positivement à la France. Il ne s'agit pas de vivre dans un monde clôt, il s'agit de promouvoir une logique d'échange qui fait que chaque membre de la cité y participe, que chacun y trouve une place qui lui plaise. Cela passe par une valorisation des individus faisant des efforts d'intégration sociale et culturelle, notamment en étant ouvert en terme d'attribution de la nationalité française à ceux qui marquent le désir sincère de l'obtenir. Cela passe aussi par une systématisation du renvoi de ceux ayant marqué leur refus des règles de notre démocratie en se voyant pénalement condamnés. En ce sens, il serait bon que la peine complémentaire d'interdiction du Territoire de la République, prévue pour de nombreux délits graves et crimes, devienne règle commune, par défaut, laissant néanmoins aux tribunaux le soin de l'écarter s'ils pensent que cela se justifie, avec quelques exceptions de droit (on ne saurait renvoyer un mineur là où nulle famille n'est présente pour l'accueillir). Ceci, que certains appellent double-peine (en mépris des fondements du droit français qui admet de multiples peines complémentaires - et qui donc de droit considère légitime la multiplicité de peines), est parfaitement cohérent avec la règle en matière d'infractions routières graves par rapport au permis de conduire dont personne ne semble contester la logique.
Dans ce cadre, il est important de refuser les logiques racistes de l'extrême-droite et d'une partie de la gauche qui refusent de penser l'immigration autrement que par la généralisation, qui ne donnent pas aux individus la chance d'être considéré comme responsables. Les uns parce qu'ils promettent l'exclusion par le droit à tous ceux qui sont étrangers indépendemment de leurs mérites, en refusant notamment de leur accorder la nationalité transformée en fait biologique. Les autres parce qu'ils promettent l'exclusion par le fait à tous ceux qui sont étrangers indépendemment de leurs mérites, en refusant notamment de tolérer que l'on distingue les condamnés et les honnêtes étrangers, imposant que les honnêtes assument l'image négative crée par les agissements des condamnés.
1. Les statistiques ca ne suffit pas
C'est peut-etre une verité sociologique de dire que les immigrés sont sur-représentés dans les statistiques sur la criminalité, mais c'est une vérité à la Lapalisse.
Si etre sociologue veut dire photographier la réalité, alor rien à dire. Mais l'expliquer? Si on se pose le problème on pourra facilement comprendre que la "tendance" à la délinquence des immigrés est proportionnelle au niveau de discrimination sociale qu'ils subissent et au manque d'opportunité qui leur sont données dans nos sociétés.
Si tu as une vie aisée, un travail, l'école, alors il sera plus difficile que tu tombes dans la microcriminalité. Si tu vis dans un Hlm, coupé du monde qui n'en veut pas de toi, alors là tout se gate... Si tu n'as pas de travail où seulement des job minables qui durent trois mois... la legalité c'est un concept difficile à concilier avec ta vie quotidienne. E alors les statistiques montent et quelq'un dit: "vous voyez, ils ne respectent meme pas nos lois..."