La confiance n'exclut pas le contrôle ; le débat absent sur les lieux de rétention
mercredi XV avril MMIX« La confiance n'exclut pas le contrôle » dixit Vladimir Ilitch Oulianov, un grand comique qui s'ignorait et dont la production, autant philosophique que matérielle, contenait en elle tous les germes des boucheries à venir en son pays (lien). La France aussi, pleine de confiance, se met au contrôle, avec tout autant d'humour - de cynisme ? - par exemple avec son « contrôleur général des lieux privatifs de liberté », lorsque celui-ci s'attelle au cas du dépôt du TGI de Bobigny (Le Figaro, ce jour, lien).
On y apprend ce que nul n'ignore vraiment, à savoir que dans les cellules se trouvent des « odeurs pestilentielles, sanitaires bouchés, présence de bouteilles en plastique remplies d'urine, traces d'excréments sur les murs ». Le contrôleur propose que « des travaux » soient entrepris pour y remédier. C'est évidemment une nécessité - en espérant qu'il ne s'agisse pas, une fois de plus, de se contenter de réparer, de colmater, comme il est de coutume dans les zones sensibles, sans envisager de moyens durables pour éviter la casse.
Si l'on quitte le champ des lieux communs, on apprend que le contrôleur « estime également que l'intimité n'est pas respectée dans le local de fouille et préconise, comme dans son rapport annuel, l'abandon du "retrait du soutien-gorge et de la paire de lunettes de vue" qui "constitue une atteinte à la dignité de la personne qu'aucun impératif de sécurité mis en avant ne justifie ». Le contrôleur propose, dans la foulée, de supprimer « l'éclairage permanent des cellules qui perturbe le sommeil ».
Il n'est guère nécessaire d'être débordant d'imagination pour comprendre en quoi l'armature en fer d'un soutien gorge ou la monture en fer d'une paire de lunettes peuvent être transformés en arme, contre autrui ou soi-même. Une petite tige de fer aiguisée, par le frottement contre les murs en béton, peut faire des merveilles, plantée dans une gorge, oeil, tempe, ventre, que sais-je. Et tout ceci pourrait se faire discrètement, dans l'obscurité, dans l'intimité, de la cellule.
Que penser, en conséquence, de ces recommandations ? Tout dépend si on considère comme prioritaire la sécurité des personnes ou bien leur confort. Toutefois, si de pareilles recommandations devaient être suivies, il serait nécessaire de cesser de considérer, en droit, responsables des retenus ceux chargés de leur surveillance. On ne peut pas vouloir permettre à des retenus de s'armer, les laisser dans l'obscurité, tout en poursuivant ensuite pour mise en danger délibérée de la vie d'autrui ou non assistance à personne en péril, voire homicide involontaire, ceux qu'on a chargé de la mission invraisemblable de leur protection et surveillance.
La doctrine actuelle en matière de surveillance consiste à ne jamais faire confiance aux retenus. Les règlements et notes de service abondent en ce sens, en estimant comme indubitablement fautif tout manque de contrôle ; ainsi une simple allumette non trouvée sur un gardé à vue sera considérée comme une faute professionnelle, une manquement, de la part de celui ayant procédé à sa fouille de sécurité, rendant de facto obligatoires des fouilles faisant peu de cas de l'intimité des retenus, en dépit de toutes les considérations philosophiques et voeux optimistes de la CEDH.
Il semble que personne en France ne veuille clairement et publiquement poser le débat suivant : acceptons-nous une dignité humaine, disons le, très minimale afin d'assurer la sécurité maximale des personnes retenues ou, a contrario, voudrions nous garantir des conditions de dignité optimale sachant que cela implique un risque accru d'incidents sans que l'on puisse blâmer les surveillants des retenus pour ces incidents ? En somme, voulons nous plus de confiance ou plus de contrôle ?
Il faudra bien, pourtant, sortir de la logique actuelle qui consiste à demander à ceux chargés de la surveillance des personnes retenues d'éviter tout en incident tout en diminuant, d'années en années, les moyens de contrôle. Sauf si, comme cela semble être le cas jusqu'à ce jour, on est finalement satisfait de demander tout et son contraire aux lieux divers de rétention judiciaire ou administrative ; ce qui n'évite pas les funestes incidents et implique des sanctions inévitables pour ceux chargés de la mission chimérique de garantir leur absence. Il est, malheureusement, irréfragable qu'il est plus commode de s'outrer épisodiquement en proclamant des exigences complètement contradictoires que de devoir assumer les implications de choix clairs ; il est plus commode de brasser du vent en débats politiciens que de mettre les mains dans le cambouis en décisions politiques.