Le mauvais goût sous l'angle du syndicalisme
lundi VI avril MMIXAprès la vague médiatique évoquant les suicides d'écroués, la presse évoque ce jour le suicide d'un surveillant de prison de Fresnes, où le 20 mars la CGT avait appelé à la mobilisation « pour dire stop aux mauvaises conditions de travail ». On apprend ainsi qu'un « surveillant s'est suicidé dimanche après-midi à la prison [...] avec son arme de service. Le corps a été retrouvé peu après 18h40 dans un mirador de l'hôpital pénitentiaire de Fresnes » alors que le surveillant avait « pris son poste [depuis] environ 30 minutes ». Le défunt, « trentenaire d'origine réunionnaise, marié et père d'un enfant, était un homme "discret" et "sans souci" ».
Jean-François Forget, secrétaire général de l'UFAP-UNSA, affirme sans sourciller, sans la moindre nuance, qu'il « y a forcément un lien avec son travail, puisqu'il est décédé sur son lieu de travail » (20 Minutes, 6 mars 2009, lien).
Ce raisonnement est évidemment aussi simplet qu'il est simpliste. Un suicide peut survenir sur le lieu de travail du suicidé pour un nombre considérable de raisons différentes. Le suicidé peut se donner, par ce biais, par exemple, la garantie que la découverte de son corps ne sera pas faite par ses proches, femme ou enfants. Il est aussi possible que le suicide survienne au travail car ce travail offre des facilités techniques. Voilà deux raisons parfaitement indépendantes de l'emploi a proprement parler. Et, concernant les surveillants de prisons, la seconde recouvre une certaine réalité : les surveillants de prisons ne sont, normalement, armés que lorsqu'ils se trouvent dans l'exercice de leur fonction dans les miradors de surveillance ; contrairement aux policiers, leur travail est strictement circonscrit au cadre carcéral, ils ne sont pas dotés d'arme individuelle (contrairement à ce que l'expression « son arme de service » invite, confusement, à penser), ils n'ont pas de raison d'être armés alors qu'ils ne sont pas en service et ne peuvent l'être.
Le fait que le défunt soit dit « sans souci » n'est pas déterminant pour considérer, en outre, que son implication professionnelle était telle qu'il a mis fin à ses jours du fait de ses conditions de travail, que c'était là un critère déterminant dans son choix funeste.
Bien entendu, il ne s'agit pas ici de substituer à un raisonnement a silentio à un autre. Il ne s'agit pas d'affirmer que le cadre de travail n'a pas été vecteur ou cause de ce suicide ; seule l'enquête judiciaire pourra le déterminer. Toutefois, aucun élément connu de la presse ne permet de tenir pareil langage que celui de Forget. Non, ce n'est pas parce qu'un suicide survient sur le lieu de travail qu'existe un lien spécifique avec ce travail. Une telle conclusion est évidemment abusive, le plus fâcheux étant qu'il est possible qu'elle apparaisse vaguement pertinente lorsqu'il est question de professions physiquement ou psychologiquement éprouvantes, auquel cas il est délicat de déterminer dans quelle mesure les contraintes physiques ou mentales supportées quotidiennement par le suicidé ont impacté sa décision tragique.
Et si le raisonnement tenu là par ce syndicaliste n'est guère pertinent, il est, in fine, surtout d'un mauvais goût certain : il s'agit tout de même de la mort d'un homme, évènement négligeable dans l'histoire des hommes et du monde, évènement important dans l'histoire de cet homme et de son monde. Qui peut se permettre d'impunément l'instrumentaliser, qui peut se permettre de parler au nom du défunt et de prétendre connaître les motivations de cet acte si définitif ?