Le quatrième pouvoir en difficulté ?
dimanche XXX novembre MMVIIISelon le Parti Socialiste, il y a une « volonté d'entraver la liberté de la presse » Reporters Sans Frontières, de son côté, « rappelle que "la France détient le triste record européen du nombre de convocations judiciaires, mises en examen et placements en garde à vue de journalistes" ». Et cela du fait de l'exécution d'un mandat d'amener décerné à l'encontre de Vittorio de Filippis, mis en examen pour un délit de presse, ancien directeur de la publication de Libération (Le Parisien, ce jour lien).
Le mandat d'amener est l'ordre donné, par un juge d'instruction, à la force publique de conduire et faire comparaître devant lui un individu. Il s'agit d'une mesure privative de liberté, ne pouvant excéder 24 heures, exécutée et notifiée par un Agent de Police Judiciaire (APJ) ou un Officier de Police Judiciaire (OPJ) prévue par les articles 122 et suivants du Code de procédure pénale.
Lorsque l'intéressé narre les conditions de son interpellation sur France 3, il le fait en les termes suivants :
Il le fait plus en détail dans son propre journal (Libération, 29-11-2008 lien).
On comprend qu'il se scandalise d'être considéré comme « pire que la racaille » par les fonctionnaires de police exécutant le mandat d'amener. On peut, certes, estimer l'expression d'un tel jugement de valeur pas nécessairement pertinent. Cependant, si on passe outre une neutralité toute artificielle, l'injure n'est telle que selon les propres références de celui qui se pose en victime. D'autant plus lorsque celui-ci revendique le fait de « [faire] remarquer [aux policiers] qu'ils ont profité de son portail sans serrure pour pénétrer chez lui », sur de son bon droit et, de facto, manifestement ignare de celui-ci. D'autant plus lorsque celui « commence à s'énerver » parce que les policiers lui interdisent de toucher son téléphone portable, fait tout à fait normal dans le cadre de la mise à exécution d'une mesure privative de liberté.
On comprend aussi, en résumé, qu'il fait l'objet de deux fouilles de sécurité (qu'il appelle abusivement fouille à corps - alors que même si ces deux actes ont la même matérialité, leur finalité et leur cadre légal n'est pas le même, la fouille de sécurité étant motivée par la nécessité d'écarter tout objet dangereux pour le fouillé ou autrui, la fouille à corps, assimilée à une perquisition, étant motivée par la recherche d'objets et indices intéressants l'enquête en cours). Il est d'abord retenu dans des locaux par des policiers, ces derniers pratiquent par conséquent ladite fouille. Ensuite, il est pris en charge par des gendarmes, qui réalisent à nouvelle fois une fouille. Là encore il n'y a nul scandale, étant donné que, selon la législation, il est sous la responsabilité des concernés, qui ne peuvent se fier les uns aux autres vu les conséquences en cas d'incident funeste.
On comprend, par ailleurs, qu'il a fait l'objet du port de menottes et qu'il en garde les poignets rougis. Ça surprend peut-être, mais c'est normal, et cela sans serrage excessif, tout simplement parce que les menottes entravent tout mouvement et que leur port prolongé induit d'inévitables frictions.
On comprend, finalement, qu'il se scandalise que ses avocats n'aient pas été présents lors de son audition par la juge d'instruction.
Je ne vais pas m'étendre sur la découverte par le monde journalistique des lois en vigueur. Comme le dit prosaïquement Sébastien Fontenelle, avec qui je ne suis en général d'accord sur rien, « Ben ouais, ma couille : ça se passe en France au petit matin, ça se passe en France à midi [...] Dans la vraie vie, c'est tous les jours que des gens qui ne sont pas (du tout) les copains de Joffrin expérimentent les rigueurs du tout-sécuritaire, dans les angles tranchants des cités exilées au large du business » (lien).
Je ne vais pas même accorder d'importance aux propos qui semblent diffamatoires qui sont tenus à cette occasion, souriant au fait qu'à l'origine se trouvent déjà des poursuites pour diffamation. Libération titre « Un ex-PDG de Libération brutalement interpellé à son domicile » (Ibid.), Le Parisien évoque une « Interpellation musclée pour simple diffamation » (Ibid.), alors qu'absolument rien n'indique le moindre geste brutal ou violent. Quand on lit cela, on se dit que les journalistes signant ces articles n'ont guère d'idée de la brutalité du monde qui les entoure.
Non, je me contente d'afficher mon sourire lorsque je vois la débauche d'énergie dont se montre capable la presse pour un pareil non-évènement, débauche qui contredit l'idée fumeuse que celle-ci souffrirait la moindre entrave.