Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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La manifestation de la vérité, une option à la discrétion du procureur de la République ?

jeudi XXIV juillet MMVIII

Si j'en crois le magistrat Michel Huyette, depuis que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a rendu son avis « concernant le procureur de la République de Boulogne sur Mer en poste pendant l'affaire d'Outreau », « les medias en tous genres sont déjà remplis d'articles sur le sujet qui, sur la toile, sont suivis de commentaires d'internautes ». Et le magistrat de s'étonner que « nulle part, sans la moindre exception, il n'est fait état en détail du contenu de l'avis du CSM qui pourtant l'a explicité sur 14 pages » (lien). Le procureur Gérald Lesigne serait-il d'emblée jugé par les médias, comme l'ont été les accusés du procès d'Outreau ?

Sans vouloir participer à cet emballement médiatique, j'ai encore à l'esprit les travaux de la Commission d'Outreau, diffusés sur la chaîne parlementaire. Je ne résiste pas à l'envie de lire l'avis du CSM, publié par Pascale Robert-Diard (lien).

Page 8, il est reproché au procureur l'absence de citation, comme témoin, devant la cour d'assises, d'un enquêteur du Commissariat de Boulogne-sur-Mer ou du SRPJ de Lille :

Il est reproché à M LESIGNE de n'avoir, contrairement à la pratique usuelle des parquet, fait citer devant la cour d'assises de Saint-Orner aucun enquêteur du commissariat de Boulogne-sur-Mer ou du SRPJ de Lille.

L'établissement, par le ministère public, de la liste des personnes qu'il entend faire citer comme témoins relève du pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu par l'article 281 du code de procédure pénale. L'exercice d'un tel pouvoir, dès lors qu'il n'a pas été détourné par M LESIGNE pour faire obstacle aux droits des accusés ou nuire à la manifestation de la vérité, n'est pas susceptible de constituer une faute disciplinaire.

J'ai bon souvenir des déclarations du commissaire de police François-Xavier Masson, du SRPJ de Lille, devant la commission. Il avait « notamment regretté que le prétendu meurtre de la petite fille belge n'ait pas fait l'objet d'une information judiciaire distincte, comme il l'avait demandé au procureur de la République de Boulogne-sur-Mer, Gérald Lesigne », et s'était dit « étonné de ne pas avoir été cité comme témoin lors du procès de Saint-Omer, en 2004, alors qu'il avait dirigé l'enquête pour vérifier l'existence d'une possible piste belge et d'un réseau structuré de pédophilie. Deux questions auxquelles il avait répondu par la négative en juillet 2002 » (lien).

Nous avions donc un procureur de la République qui dérogeait à la coutume en ne citant pas un directeur d'enquête dont le ton mesuré et les conclusions (présentes dans son compte rendu d'enquête) auraient pu utilement inspirer un doute justifié aux jurés. À cette question, le CSM se contente de dire que le magistrat avait le droit de ne pas citer ce directeur d'enquête, sans même chercher à savoir s'il eut été judicieux de le faire sans l'intérêt de la manifestation de la vérité. On peut en conclure que pour le CSM, un procureur de la République n'a pas d'obligation de moyen, il n'est pas tenu de tout faire pour que la vérité se manifeste - c'est à sa discrétion.

Je ne reproche en aucun cas au CSM ses conclusions. Je n'en suis pas même tout à fait étonné. Il a étudié les griefs soulevés et a rendu son avis fondé en droit. Mais ceci me conforte dans l'avis qu'il est nécessaire de mettre en oeuvre l'idée de responsabilité des magistrats. Les magistrats sont les citoyens qui ont, individuellement, le plus de pouvoir en France. Pourtant, il s'agit aussi de ceux ayant le moins de devoirs, dans la mesure où leurs errances et échecs professionnels ne sont pas considérés comme fautifs. Si je ne suis pas favorable à l'idée de leur imposer une obligation de résultat (on ne peut avoir de garantie en matière humaine), imposer une obligation de moyen me semble le strict nécessaire.

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