Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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Les soldats perdus de la CRS n°7

vendredi XIV septembre MMVII

J'apprend à présent que parmi les sept CRS, de la septième compagnie, poursuivis et jugés par la cour d'assises de Paris, trois ont été condamnés à sept ans (que de sept) d'emprisonnement, reconnus coupables de « viols aggravés en réunion par une personne abusant de l'autorité conférée par ses fonctions » pour « une série de onze viols au total [...], commis sur des étrangères généralement en situation irrégulière [...] en promettant de ne pas les inquiéter en échange de rapports sexuels gratuits ». Deux autres ont été condamnés à des peines à temps avec sursis, deux autres ont été acquittés (lien).

Pour onze viols, la juridiction peut sembler clémente. Toutefois, il faut prendre en compte la difficulté d'appréhender le sens d'un viol d'une personne qui habituellement monnaye son corps, sans se réserver à une clientèle précise. On ne peut réellement dire que la prostituée lambda choisit sa clientèle. Si toutes ne sont, certes, pas dépendantes du crack, je ne crois pas me tromper en disant qu'un grand nombre d'entre elles ont depuis longtemps perdu toute estime de leur corps pour faire grand cas du choix des consommateurs. Cela n'éteint pas tout à fait la question du consentement à l'acte sexuel. Mais lorsque l'acte de pénétration est commerce habituel, se pose la question de savoir s'il n'est pas, dans le cas de ces CRS, une fois de plus transaction et non pas « commis par menace ». On apprend que « le psychologue qui a examiné la victime constituée partie civile, Irina, en Albanie, dans son village de Leskovik où elle vit désormais seule avec sa mère, a relevé une "humeur subdépressive et un repli sur soi, une détérioration importante de l'image de soi" » (lien), mais on ne sait pas vraiment si on peut détacher cette condition du fait que la jeune femme a été également contrainte à la prostitution lors de sa venue en Europe de l'ouest et l'attacher à ces faits particuliers.

L'autre raison d'une telle clémence, c'est que ces criminels offrent des gages de reclassement social. Ils sont mariés et on trouvé un nouvel emploi. De fait, ils offrent des garanties de réinsertion permettant de considérer les faits comme de l'ordre du passé. C'est très différent, par exemple, du cas du violeur SDF, injoignable et introuvable, sans qualification et sans volonté de s'intégrer, tout juste accessible à la condamnation pénale, intellectuellement délabré par le temps et un mode de vie épuisant. J'ai beaucoup parlé sur ce blog de la personnalisation des peines, en voilà une fois encore l'expression. Et après examen attentif, on pourrait considérer que la clémence ne fut pas cette fois-ci si éclante que cela, après tout.

Si le profil tant des coupables que des victimes est plus dans les nuances de gris qu'en noir et blanc, s'il ne s'agit pas des faits de viols les plus dramatiques que la justice pénale ait connu, retenons tout de même qu'il s'agit, en tout cas, de l'expression d'une décadence disciplinaire et morale des plus inquiétantes.

Quand bien même ces CRS n'auraient pas été des violeurs -ce que la juridiction à considéré qu'ils sont-, ils auraient au minimum, et ce minimum explose le maximum tolérable de la part de quelqu'un qui exerce une fonction publique, sollicité, sans droit, directement, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour s'abstenir d'accomplir un acte de leur fonction. Bref, ils auraient été indubitablement coupables de corruption passive. On remarque dans la foulée que cette même compagnie de CRS est aussi impliquée dans une affaire de taxis rackettés (lien). Vu de loin, on songe à des similitudes de modus operandi (une clémence vis à vis d'une infraction monnayée), à ceci près que la rémunération ne serait pas un acte sexuel mais de l'argent.

Que penser lorsqu'on entend un coupable déclarer qu' « à la CRS 7, on est très vite livré à nous-mêmes. Il n'y a pas de tutelle, ça peut vite déraper. » (lien) ? Que penser lorsque l'avocate d'un autre, Me François Cotta, lie les faits aux « discours tonitruants [qui] avaient lieu à l'Assemblée nationale. [au] Ministre de l'intérieur [qui] nous expliquait que les prostituées et le racolage, ce n'était plus possible dans nos villes [,] qu'il fallait éloigner les mendiants, les SDF et ne les oublions pas, les gens du voyage » (lien), en 2002-2003, lorsque son client est devenu gardien de la paix ? C'est, dans le fond, un peu facile. Ainsi, ces gardiens de la paix auraient très largement perdu de vue leur code pénal, leur code de procédure pénale, leur code de déontologie, proscrivant sans la moindre équivoque toute corruption (sans même parler de viols) et ce serait du à des débats parlementaires, plus généralement à une ambiance politique ? Ces bons maris et bons pères de familles se seraient adonnés à des actes sexuels avec des prostituées, perdant de vue leurs serments familiaux, bafouant leur conjointe, et il faudrait considérer leur déliquescence morale comme due à un défaut d'encadrement ? Non, c'est bien trop facile. Ces policiers ont profondément déshonoré leur uniforme, ne serait-ce qu'en acceptant la corruption. Nous savons bien que la réalité n'est pas livresque, elle ne se situe que rarement dans l'application la plus stricte et régulière des codes - mais si des petits arrangements peuvent se tolérer (après tout, un homme célèbre n'avait-il pas estimé que les gardiens de la paix ne doivent « ni trop défendre, ni trop permettre, mais toujours veiller »), le détournement ne saurait être considéré comme anodin, quand bien même il serait avéré qu'il est banal en certains lieux. Ceux qui en sont coupables en sont aussi responsables. Ceci étant dit, je n'insiste pas, j'estime que la sanction pénale qui affecte à présent ces hommes est suffisamment afflictive et infamante - trop peut-être pour des hommes déjà réinsérés socialement (et pas de manière fictive par l'entremise d'associations complaisantes).

Si on ne saurait dédouaner ces CRS de leurs responsabilités au titre d'une absence d'encadrement, si je ne considère pas souhaitable que l'on institue un culte de la méfiance vis à vis des fonctionnaires (si cela était nécessaire alors cela signifierait que le personnel ne répond pas aux besoins), on ne peut passer outre la question du contrôle hiérarchique de ces CRS. L'affaire repose sur un contexte de « d'expéditions nocturnes souvent très alcoolisées, au-delà de leur secteur de compétence c'est-à-dire dans Paris » (lien). On ne peut imaginer une hiérarchie effective et efficace qui ignore dans quel état revient ses effectifs, en uniforme, à bord de véhicules sérigraphiés. On ne peut pas plus imaginer une hiérarchie effective et efficace qui tolère que ses effectifs circulent dans ces véhicules alors qu'ils sont imprégnés, imbibés, d'alcool. « Vous savez, cela fait 27 ans que je suis dans la police et tout le monde sait qu'il y a un problème d'alcool dans la police », voilà la piteuse réponse que formule le brigadier supérieur direct des coupables (lien), lorsqu'on lui demande ce que lui inspirent les « virées sur les boulevards des maréchaux hors de tout secteur de compétence de la compagnie, les sorties hors des heures de service en tenue ». Insulter 150000 fonctionnaires pour justifier ses défaillances, voilà qui est grossier. Mais considérer un tel problème comme acceptable, voilà qui est démonstration d'incompétence : quand bien même le problème de l'alcool dans la police aurait les proportions que lui prête ce brigadier, il ne saurait être toléré que des policiers soient revêtus de leur uniforme alors qu'ils sont en ivresse publique manifeste. Faire le constat d'un problème est vain si cela ne débouche pas sur une tentative de résolution de ce problème. On ne peut qu'agréer lorsque l'avocat général Philippe Bilger conclue « Mais monsieur, vous avez 20 personnes sous vos ordres. Tout le monde sait ce qui se passe à la 5ème section et vous, vous ignorez tout ? Brigadier, seriez-vous un incapable ? ». L'étrange conception de l'encadrement distillée par le brigadier semble partagée par le commandant de la compagnie qui « très franchement, [...] ne pense pas » que les faits jugés supposent « une faute de commandement, d'encadrement » (lien).

En résumé, la clémence apparente du jugement de la cour d'assises n'apparaît pas inexplicable. Mais elle reste apparente. Ce n'est pas une condamnation négligeable pour des individus socialement reclassés. Sur leur responsabilité, elle est patente, ils avaient tous les moyens de réaliser d'eux-mêmes le caractère illégal de leurs agissements, même si la qualification criminelle de leurs actes n'était pas évidente. S'il serait dément de vouloir surveiller chaque policier, il semblerait toutefois que le contrôle hiérarchique opéré au sein de la CRS 7 était inexistant ou inefficace, ceci n'étant pas cause du dérapage criminel mais néanmoins circonstance le facilitant. Bref, voici une histoire sans gloire ni honneur, sinon celui de la justice, qui aura pu rappeler à tous que, contrairement à ce que proclame régulièrement Amnesty International (entre autres), le concept d'impunité systématisée des policiers indignes n'existe heureusement pas.

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