Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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Jongler avec la loi, un cas pratique

jeudi IX août MMVII

Ce jour une « adolescente de 14 ans a été mise en examen pour vol et falsification de chèques à Thionville en Moselle à la suite de la plainte de sa mère, une procédure rare au sein d'une famille. [...] Elle comparaîtra le mois prochain devant le tribunal pour enfants de Thionville, pour avoir volé le chéquier de sa mère et mené grand train à Marseille lors d'une fugue avec une amie en juin dernier [...] : en quelques jours, les adolescentes avaient dépensé 2.500 euros. » (lien)

N'existe t-il pas une immunité familiale entre descendants et ascendants concernant des infractions telles que le vol, vous demandez-vous ? Plus tout à fait depuis la loi du 4 avril 2006 « renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs » (lien). Cette loi dispose, en effet, que cette immunité n'est pas applicable « lorsque le vol porte sur des objets ou documents indispensables à la vie quotidienne de la victime, tels que des documents d'identité ou des moyens de paiement ». Or, considérant que la mère est femme de ménage, aux revenus modestes, il est pertinent de considérer qu'il s'agit là d'un vol de moyens de paiement indispensables à la vie quotidienne. Pour Me Le Menn-Meyer, « cette loi a été détournée [...] elle visait exclusivement le conjoint de la victime et non l'ascendant ou le descendant », un détournement aux conséquences « plus graves et difficilement réparables que si ça s'était réglé autrement que par la voie judiciaire ».

On ne peut que suivre l'avocat lorsqu'il dit que cette loi a été détournée. La lettre s'applique mais l'esprit fait défaut. Ainsi, dans le détail des « principales dispositions du texte » (lien), il nous est compté que l'auteur du projet avait prévu que « le vol n'étant pas reconnu entre époux, création d'un délit spécifique en cas de privation par un membre du couple, actuel ou non, de pièces d'identité ou de documents relatifs au séjour ». Dans le détail des « principaux amendements des commissions, on apprend qu'il y a « suppression du dispositif adopté par le Sénat [NDM : la création d'un délit spécifique] et reconnaissance de la possibilité de vol entre époux concernant les documents d'identité, ceux relatifs au séjour ou à la résidence d'un étranger, et les moyens de paiements ». Il est manifeste que la loi, comme son intitulé l'indique, ne visait nullement les relations entre ascendants et descendants, mais bien les relations conjugales, de couple, les conflits d'époux. En creusant un peu plus, on s'apercevrait sans doute que la finalité de la levée de l'immunité pour vol n'était pas de rendre répréhensible le vol en général dans le couple, mais de punir le vol destiné à conserver le conjoint victime sous dépendance matérielle.

L'esprit de la loi est donc étranger à l'affaire du jour. Mais la lettre y est pleinement. Le législateur avait-il ouvert si grand la porte et anticipé ce type de cas ? Si ce n'est pas le cas, il a été d'une gigantesque légèreté car, non seulement, dans sa modification de la loi, il n'y a pas de précision sur la nature du lien familial mais, de plus, le dol criminel n'est pas clairement exigible. Je m'explique : le vol est, selon la loi, la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui. Le dol criminel est donc le fait de soustraire à autrui une chose lui appartenant, sachant qu'il ne souhaite pas s'en défaire, sachant que cela est réprimé par la loi. On avait prévu une immunité familiale entre ascendants et descendants (ne s'appliquant pas aux collatéraux). Puis, on ajoute que l'immunité n'est pas applicable que si l'objet du délit « porte sur des objets ou documents indispensables à la vie quotidienne de la victime ». Mais on ne précise pas la dimension intentionnelle de cet ajout. Aurions-nous ajouté une circonstance aggravante spécifique à la loi sur le vol qu'il eut été possible de dire qu'est réprimé le fait de soustraire frauduleusement la chose d'autrui sachant qu'elle est indispensable à sa vie quotidienne. Mais il n'y a pas de telle circonstance aggravante, l'infraction reste la simple soustraction frauduleuse de la chose d'autrui, il n'est pas nécessaire de démontrer que la mise en cause avait la conscience et la volonté de voler des choses indispensables à la vie quotidienne de sa victime.

Si on peut suivre l'avocat sur l'aspect purement juridique des choses, on peut être plus circonspect sur sa vision des conséquences des poursuites engagées. Même si le vol simple fait encourir une peine de 3 ans d'emprisonnement, la pratique veut qu'un mineur reconnu coupable de vol n'a statistiquement que très peu de chance de subir une telle peine, en particulier pas s'il n'a pas fait l'objet de condamnations multiples antérieures. Il n'est, toutefois, pas dénué d'intérêt que le conflit opposant la fille à la mère, le mépris de la fille pour les biens et le bien être de sa mère, soit connu d'une juridiction répressive, arbitre extérieur, et réprimé.

En conclusion, si l'on peut s'interroger sur le flou de certaines législations pénales récentes, permettant des interprétations sans guère de rapport avec les débats parlementaires s'étant tenus à l'occasion de leur rédaction, peut-être il est-il toutefois immodéré d'y voir la source d'une répression insensible et insensée. Nous avons lu les pires scenarii catastrophes à propos de la loi dite Perben II (lien), l'expérience a bien démontré le caractère affabulatoire de celles-ci : les possibilités légales de répression ne sont forcement exploitées à mauvais escient, malhonnêtement et systématiquement. Qu'on le croit ou non, les magistrats et policiers ne semblent pas tous animés par la volonté maligne de nuire à autrui au point de détourner l'esprit des lois.

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« 12 août, « Après le diagnostic devra venir le temps le temps du traitement »   

    7 août, Du dialogue critique légal avec les intégristes contre l'intégrisme »

1.

Cette poursuite très médiatisée démontre, une nouvelle fois, l'incompétence de la presse : l'immunité familiale, même avant la loi du 4 avril 2006, ne couvrait pas le volet le plus important des faits reprochés à la gamine dont s'agit, la falsification de chèques, par apposition de la signature supposée ou imitée du titulaire du compte bancaire...

La mineure aurait été poursuivie car les victimes des chèques falsifiés sont des commerçants ou autres et non la mère ...

Posté le 9.08.2007 à 21h32 par Parayre

2.

Dans la mesure où les commerçants ont vu les chèques être honorés, si j'ai bien compris, ils n'ont pas de préjudice. Or les commerçants sont rarement tentés de s'impliquer dans la moindre procédure si ce n'est pas pour en retirer dommages et intérêts.

Sauf erreur de ma part, les articles L 131-8, L 163-3 et suivants du Code monétaire et financier prévoient que la falsification de chèque et l'usage de chèque falsifié se fait au préjudice du titulaire du chéquier et de son établissement bancaire - et non pas au préjudice du bénéficiaire du chèque*.

Je ne goûte que peu aux questions de délinquances financières, il est donc fort possible que quelque chose m'échappe. Mais selon ma lecture de ces articles, il est alors normal que ce soit la plainte de la mère qui donne lieu aux poursuites, puisque c'est elle qui est victime des faits.

Ceci étant dit, vous avez raison, l'usage de chèque falsifié ne semble pas être assimilé au vol au regard de l'immunité familiale, l'action publique eut donc, comme vous le dites, été possible avant 2006.

Pour en revenir au propos de mon billet, il faudra tout de même admettre qu'il y a un paradoxe à ce que le vol puisse être poursuivi depuis une loi qui visait à réprimer les violences conjugales. Mais, j'en conviens, le vol du chéquier est un fait trivial par comparaison à l'usage de chèques falsifiés.


(* J'ai découvert à l'occasion que l'article L 131-15 du même code dispose que « toute personne qui remet un chèque en paiement doit justifier de son identité au moyen d'un document officiel portant sa photographie ». Cela rend donc compétent les caissières de supermarchés pour un contrôle d'identité lors de l'encaissement de paiement par chèque)

Posté le 9.08.2007 à 22h28 par Anonyme courageux

3.

En matière cambiaire, les chèques tirés par un "faussaire" engagent au minimum la responsabilité du "tiré" , la banque, dans la mesure où cette dernière se doit, en principe, de vérifier* la validité de la signature au regard de celle déposée par le titulaire du compte sur le "carton" éponyme.

Le titulaire du compte - si les chèques à lui dérobés ont été falsifiés par signature imitée ou supposée selon la formule consacrée - peut obtenir, en démontrant aisément le caractère apocryphe de la signature, d'être à nouveau crédité des sommes un temps débité.

Idem, mieux même, avec les cartes bancaires, puisque la banque, est en cas de vol de la carte de paiement dans l'impossibilité de prouver l'ordre à elle délivré de verser la somme...

Pour revenir au sujet de votre post - dont j'approuve les entiers termes - mon propos était de préciser que sous l'empire de l'ancien code pénal( article 38O ) ou du nouveau applicable depuis 1994, l'immunité familiale m'a souvent permis de poursuivre du chef d'escroquerie ou de falsification de chèques et usage ( peu important en fait que la victime soit le parent ou non )sans pour autant poursuivre du chef de vol .

*La vérification aujourd'hui ne s'opère plus sauf pour les chèques très importants mais pour anecdote, il y a quarante-cinq ans, titulaire d'un CCP, j'ai eu des chèques tirés par mes soins refusés car effectivement ma signature, avec le temps, avait évolué .Désormais, les chèques sont traités informatiquement et donc aveuglément.

Posté le 9.08.2007 à 23h19 par Parayre

4.

Dans l'affaire du jour, il est possible que la démonstration du caractère apocryphe de la signature soit impossible : la fille sait peut-être imiter à la perfection la signature de sa mère.

Concernant les vérifications sur les chèques, j'ai en effet ouï dire que les vérifications ne se faisaient qu'au delà d'une somme (que je ne renseignerais pas céans, étant entendu que le trafic de chéquiers volés est plutôt à la mode).

C'est en tout cas très intéressant d'avoir relevé que la poursuite de tels faits était possible avant 2006.

Une question se pose, pourquoi le parquet a t-il pris le risque de se voir accuser d'interpréter la loi de manière extensive en poursuivant du chef de vol -comme vous le relevez, secondaire au regard de l'usage de chèque falsifié ? La démarche à tout de même l'intérêt de solidifier la procédure, en apparence, en ajoutant une infraction dont les éléments constitutifs sont les plus aisément démontrables.

(Je vous remercie pour vos instructives contributions)

Posté le 10.08.2007 à 9h53 par Anonyme courageux

5.

Je m'interroge avec vous mais crains que le souci dérisoire "du médiatique" ait motivé les poursuites dont s'agit...

Mon collègue Bilger, sur son blog, évoque cette poursuite et, avec justesse, s'interroge sur notre société contemporaine et sur le délitement de ses structures traditionnelles...

L'institution judiciaire doit-elle pallier les manquements de ces mêmes structures et dans ses réponses se voir reprocher ses propres insuffisances ?

Posté le 10.08.2007 à 22h23 par Parayre
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