Rébellion, violences réciproques, ordre de la loi et légitime défense
samedi XXX juin MMVIIL'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que « nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance ».
Cette perception de la nécessaire obéissance à la loi se retrouve dans notre code pénal prévoyant et réprimant le fait « d'opposer une résistance violente à des dépositaires de l'autorité ou chargés d'une mission de service public, agissant dans l'exercice de leur fonction pour l'exécution des lois » (art 433-6 et suivants du CP) tout comme le fait d'avoir « par des cris ou des discours publics, des écrits affichés ou distribués ou tout autre moyen de transmission de l'écrit, de la parole ou de l'image, directement provoqué à la rébellion » (art 433-10 et 433-22 du CP).
Admettons que l'évocation régulière ces temps-ci du concept de « désobéissance civique », que j'ai abordé en détail là lien, ne peut que difficilement justifier l'opposition violente à l'application des lois. Laissons de côté cet aspect là des choses pour le moment. Remarquons, par ailleurs, que l'infraction de rébellion suppose l'existence préalable d'infraction, d'un cadre juridique permettant la coercition de la part de dépositaires de l'autorité publique.
Rentrons dans le vif du sujet. Pour une juridiction répressive, la rébellion, comme l'outrage (qui vont généralement de pair ; celui qui se rebelle reste rarement muet, et la violence physique s'accompagne souvent de violence verbale) est souvent délicate à juger car contestée et alléguée par deux parties qui ont chacune un intérêt immédiat.
En effet, s'il y a eu rébellion, c'est donc qu'il y a probablement eu des violences volontaires commises au moins par le rebelle et, souvent, également par les dépositaires de l'autorité publique l'ayant appréhendé. Les violences commises par ces dépositaires de l'autorité publique ne sont pas pénalement répréhensibles, étant réalisées pour « accomplir un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires » (art 122-4 du CP) et/ou étant défense, nécessaire, proportionnée et concomitante à une atteinte injustifiée constitutive d'un délit (art 122-5 et 122-6 du CP). Donc, si l'individu appréhendé, le rebelle, a quelques blessures, il importe de la part des dépositaires de l'autorité publique de mentionner la rébellion dans leurs procès-verbaux, afin de parer à un éventuel dépôt de plainte contre eux pour violences volontaires, en mentionnant et justifiant dès le début de la procédure les violences qu'ils ont été contraints de commettre.
Les violences commises par le rebelle, elles, peuvent apparaître comme étant légitime défense et le fait de rébellion ne plus être constitué, si démonstration est faite que le rebelle n'avait pas connaissance de la qualité de dépositaire de l'autorité publique de celui à qui il s'est violemment opposé - une ligne de défense délicate à tenir face à des dépositaires de l'autorité publique revêtus de leur uniforme et insignes réglementaires. Mais, plus généralement, accuser les dépositaires de l'autorité publique de la commission de violences volontaires permet de les décrédibiliser, ce qui est particulièrement important si ce sont ces derniers qui ont produit les pièces à charge. Le dépôt de plainte du rebelle peut donc être un artifice, prenant néanmoins le risque d'une poursuite pour dénonciation calomnieuse (art 226-10, 226-11 et 226-31 du CP) ou au moins de provoquer l'ire de la juridiction remarquant le subterfuge, sans autre suite pénale envisageable qu'un classement sans suite.
La rébellion est donc délicate à prendre en considération, constituée à la fois par le fait de ne pas obéir à la loi mais, de plus, de le faire avec violence.
Relatant le procès du 27 juin de « deux jeunes gars [...] inculpés [NDM: prévenus] d'outrage à agent pour l'un et de violences [volontaires] à agents pour l'autre » (lien) dans le cadre de manifestations contre les expérimentations sur les organismes génétiquement modifiés, un article nous apprend que « Maître Girault [...] a rappelé avec ironie que le jeune homme se retrouvait menacé de 70 heures de TIG simplement pour avoir prononcé un mot (celui de "connard", donc) [alors qu'] au départ, il devait être inculpé également de port d'arme (des ciseaux qui se trouvaient sur le campement...) et de rébellion (aucune ITT - Incapacité Totale de Travail - pour les flics, tandis que l'inculpé est sorti de garde-à-vue avec le bras en écharpe) ». En quoi l'incapacité totale de travail aurait-elle été nécessaire, puisque le fait poursuivi eut été la rébellion, et non de violences volontaires aggravées ? Faudrait-il comprendre qu'il ne peut y avoir rébellion que si les dépositaires de l'autorité publique ne parviennent pas à appréhender le rebelle sans être blessés ?
Autre exemple provenant d'une décision du 29 juin 2007 du très réputé (je ne dirais pas en quoi) tribunal de Bobigny reconnaissant un acte de rébellion comme étant légitime défense. Raffiné, le jugement condamne la soustraction à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière mais accorde l'irresponsabilité pénale au titre de la légitime défense pour les violences volontaires sur dépositaire de l'autorité commises par Salif Kamaté, étranger illégalement présent sur le sol français, condamné préalablement pour trafic et consommation de stupéfiants (lien). Toxicomane, sous méthadone (lien), le malien se serait « senti très mal ». Les policiers auraient ensuite usé de coercition pour l'amener à bord de l'avion devant le conduire hors du territoire de la République, coercition à laquelle il résiste en « mord[ant] le bras qui [dit-il] l'étrangle », entraînant 7 jours d'ITT (ajoutons qu'une morsure par un toxicomane incite à la méfiance, vis à vis de risques infectieux probables). Pour rendre un tel jugement, la juridiction a nécessairement considéré la coercition comme étant un « atteinte injustifiée ».
Une telle jurisprudence (qui, rappelons le, n'est en France qu'une source de droit indirecte : notre droit n'est pas coutumier, une jurisprudence ne saurait prendre le pas sur la lettre et l'esprit des lois, si contradiction est relevée) risque de susciter une multiplication des cas de rébellions. D'autant plus que certains, notamment Richard Noyon de RESF, se déclarant « ravi » de cette « décision exceptionnelle », pourraient bien tirer des conclusions que n'avait pas envisagées la juridiction de Bobigny.
Car le paradoxe conséquent est que si, au moment où des dépositaires de l'autorité publique font usage légitime de la force, celui qui en fait l'objet résiste par la violence, se croyant en droit de le faire, il impose à ces dépositaires une escalade dans la violence afin de le maîtriser, eux-même devant faire acte de légitime défense.