Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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samedi XIV avril MMVII

« L'identité nationale n'est pas un tabou que ses promoteurs auraient le courage d'enfreindre. Voici au contraire près de vingt-cinq ans que l'on ne cesse d'en parler dans le débat public français. » (lien) nous dit le sociologue Laurent Mucchielli. Il poursuit en écrivant que « l'extrême droite s'en est emparée au début des années 80, et c'est son fonds de commerce depuis lors. Mais une partie de la droite y a toujours été sensible, et a toujours tiré sur cette corde dans un but électoraliste. A-t-on oublié les petites phrases sur "le seuil de tolérance dépassé" et sur "le bruit et les odeurs", prononcées en juin 1991 par... Jacques Chirac ? La droite n'en a du reste pas le monopole complet, comme les propos d'un Georges Frêche en ont depuis longtemps témoigné. La stratégie de Nicolas Sarkozy n'abuse donc personne ».

Ainsi l'identité nationale n'aurait pas été taboue mais le sociologue pense néanmoins que l'extrême droite « s'en est emparée au début des années 80 ». Si une tendance largement marginalisée, en particulier dans les années 1980, a pu s'emparer d'un thème, c'est-à-dire s'en saisir, en prendre possession, le sujet était-il libre ? Par ailleurs, constatant que lorsque des gens de droite et de gauche en ont parlé, à l'occasion de dérapages que l'on peut considérer racistes, cela fit grand bruit, le chercheur raisonnable n'aurait-il normalement affiné sa réflexion, redéfini sa problématique, notamment en se demandant si le tabou enfreint récemment n'est pas réellement sur le fait de parler d'identité nationale mais sur le fait d'en parler de manière positive et hors de son interprétation raciste proposée par l'extrême-droite ? À mon sens, c'est ce qu'aurait fait le scientifique digne de ce nom : mais un tel cheminement n'aurait pas permis de conclure que « la stratégie de Nicolas Sarkozy n'abuse donc personne », propos qui tombe du ciel par opération du Saint Esprit, évoquant « la stratégie » comme s'il était possible d'évoquer une stratégie qu'on ne décrit pas, supposant qu'une telle stratégie vise à « abuser » des gens, intention prêtée on ne sait au nom de quoi.

Je dirais ne pas tout à fait être surpris de voir sombrer dans la gratuité un article de la plume de Laurent Mucchielli. J'ai ouï dire qu'il aurait déclaré, dans l'émission « C dans l'air » d'Yves Calvi sur France 5, que « le respect de la loi, ça ne se décrète pas » comme s'il s'agissait d'un compte rendu de recherche, alors qu'il s'agit d'un point de vue très personnel, étant entendu que le respect de la loi est ce qu'une société en dit, que le respect de la loi non seulement peut se décréter, se légiférer, mais en plus s'imposer par l'action de la police et de la justice. Je l'ai aussi entendu raconter des âneries consternantes dans l'émission « Arrêt sur image » sur France 5 également à propos des viols collectifs dit « tournantes », assurant que du fait que le viol est un phénomène ancien, il convient de ne pas s'en choquer à présent.

La marque de fabrique de ce sociologue, c'est de mélanger quelques éléments objectifs d'analyse avec un discours sur le présent, c'est à dire de mêler bribes d'analyse scientifique à un discours politique. Or la politique n'est pas une science, la politique, ce sont des choix, éclairés ou pas. Il n'existe pas d'expertise dans l'art de faire des choix sociaux, même si l'existence de l'ENA voudrait nous faire préjuger le contraire. Il y a au présent des choix à faire selon ce qu'on espère pour demain, pas des réponses automatisées par une science. La science peut éclairer, informer, proposer, mais non pas occulter des débats ou personne n'a tout à fait tort ni raison mais où s'affrontent des valeurs divergeantes.

Comme au contraire de Laurent Mucchielli, j'aime démontrer ce que j'affirme, voyons tour à tour ses « quatre arguments supplémentaires pour convaincre [les citoyens menacés par la peur et le repli sur soi] que cette idée d'un ministère de l'Identité nationale et/ou de l'Immigration constitue une terrible régression ».

« Premièrement, [ANALYSE] qu'on le veuille ou non, l'idée d'un ministère de ce type rappelle une autre période de l'histoire de France : les années 30. Appelés pour reconstruire et repeupler la France après la boucherie de 14-18, les étrangers étaient plus de 3 millions à travailler dur dans la France de l'époque, Italiens et Polonais en tête. Mais quand vint la crise, le chômage, la misère et la délinquance, alors on ne voulut plus des "métèques". La xénophobie populiste se déchaîna, au nom de... l'identité nationale menacée. [ANALYSE SIMPLIFICATRICE À OUTRANCE] Les étrangers furent ainsi les boucs émissaires de la crise et de ce que certains appelaient (déjà) le "déclin de la France"..., avant que le vieil antisémitisme revienne se mêler à la partie et que le régime de Vichy réalise finalement la synthèse de tous les racismes au nom de (déjà aussi) "la France aux Français". [AVIS PERSONNEL ET GRATUIT DU SOCIOLOGUE] Rappeler cela, ce n'est pas faire un procès d'intention à quiconque, mais signifier qu'on ne peut prétendre puiser en toute innocence ces expressions dans la mémoire collective ». Rappelons tout de même que la France a subi une cuisante défaite en 1940, que ce n'était pas une heure de gloire, que l'expression « déclin de la France » n'était pas du tout farfelue dans de telles circonstances. Ensuite, signalons qu'il est plausible qu'Adolf Hitler ait une fois déclaré « passez-moi le sel, s'il vous plaît » : est-ce que cela suffit pour démontrer qu'il est dangereux depuis de faire une telle demande ? Est-il manifeste que parler d'identité nationale ou de déclin signifie « puiser des expressions dans la mémoire collective des années 1930 ». Est-ce forcement au regard de ce passé que l'on peut et doit comprendre ces expressions, en sera t-il ainsi à jamais ?

« Deuxièmement, [ANALYSE] après le sommet de barbarie que fut la Seconde Guerre mondiale, il se trouva une génération d'hommes et de femmes politiques pour comprendre que c'étaient notamment les idéologies nationalistes qui nous y avaient menés. Ceux-là inventèrent le rêve européen et commencèrent à le faire exister. Ce rêve est aujourd'hui en panne. [AVIS PERSONNEL ET GRATUIT DU SOCIOLOGUE] Mais la voie du progrès demeure celle qu'ils tracèrent : le dépassement des nationalismes, la recherche d'une identité commune qui fasse que l'on puisse se reconnaître les uns les autres, les uns dans les autres, sans que cela implique que l'on renie ou que l'on renonce à quoi que ce soit dans les multiples facettes de ce qui constitue nos identités individuelles ». Les dérives nationalistes associées aux possibilités guerrières offertes par l'industrialisation ont en effet été un des moteurs des boucheries du siècle. Dire aujourd'hui que le progrès réside dans la recherche d'une identité commune avec une Europe qu'on ne sait plus définir géographiquement, ce n'est pas une donnée factuelle. Gommer dans la foulée les identités nationales, en voulant passer à « une identité commune » superposée sur les identités individuelles, c'est assurément une proposition politique.

« Troisièmement [...] [ANALYSE] Certes, l'époque actuelle se caractérise incontestablement par un déficit d'identité commune et par un questionnement sur le désir et sur les conditions du vivre ensemble. [AVIS PERSONNEL ET GRATUIT DU SOCIOLOGUE] Mais l'identité nationale n'en est pas le remède, c'est un plat réchauffé devenu rance, c'est une idée étriquée ». Et pourquoi l'identité nationale ne serait-elle pas un remède ? Pourquoi l'adhésion à un corpus de valeurs essentielles serait-elle une idée étriquée ? Cette idée à pourtant permis d'assimiler de nombreux immigrés autrefois. Il est d'ailleurs curieux qu'une telle idée choque celui qui propose dans son point précédent de se focaliser « une identité commune » que serait l'identité européenne.

« Quatrièmement, [ANALYSE] la France n'est pas une "nation" préconstituée qui serait menacée par des éléments exogènes appelés "immigrés". C'est une pure illusion et un mensonge historique. Il faut regarder la France de 2007 pour ce qu'elle est : une société multiraciale [AVIS PERSONNEL ET GRATUIT DU SOCIOLOGUE] et en partie multiculturelle. Et il faut cesser de considérer que l'immigration est en soi un "problème". [ANALYSE] Comme l'ont montré les historiens, la France est un pays d'immigration, qui n'a cessé de se constituer dans et par les millions d'immigrants qui sont venus s'y installer et y faire famille. L'immigration a toujours été une chance et une ressource. Aujourd'hui encore, la France doit son dynamisme démographique aux dernières vagues d'immigrants. [ANALYSE PARTIALE et donc PARTIELLE] Et ce qui a permis à ce "creuset français" d'exister et de réussir, ce n'est pas l'adhésion à la mythologie nationaliste ni la lecture émerveillée des aventures d'Astérix le Gaulois ... C'est la capacité du pays à les intégrer économiquement, scolairement et politiquement. [AVIS PERSONNEL ET GRATUIT DU SOCIOLOGUE] Dès lors la question n'est plus d'interroger le "désir d'intégration" des immigrés (pourquoi croit-on qu'ils ont migré ? Pour rester en marge des autres ?), mais d'interroger le projet de la société d'accueil. Sommes-nous capables de réinventer un système économique qui donne une place à tout le monde ? Sommes-nous capables de comprendre que l'école ne peut pas être la matrice de la citoyenneté si elle ne fait que reproduire et sanctionner les inégalités de départ entre les familles ? Sommes-nous capables de réinventer un compromis républicain qui respecte la pluralité des identités tout en donnant à chacun le désir et les moyens de participer à l'écriture d'un destin collectif ? ». La France est-elle multiculturelle ? C'est une point de vue. La Constitution de la France elle ignore la pluralité de culture, elle se fonde sur une loi qui est même pour tous. Si assurément, l'histoire de la France est l'histoire d'une terre de migration, le fait que les migrations furent nombreuses multiples ne signifie pas que toutes les immigrations sont les mêmes. Et on peut estimer que la volonté d'assimilation, le « désir d'intégration », n'est pas une question sans intérêt. On ne peut affirmer que ce désir est certain par une interrogation tout à fait rhétorique « pourquoi croit-on qu'ils ont migré ? Pour rester en marge des autres ? » : pour répondre à une telle question, le scientifique va sur le terrain, au lieu de poser des questions aux réponses faussement évidentes ; et sur le terrain, le sociologue trouvera peut-être des quartiers où les immigrés de tels pays refusent d'adresser la parole et de fréquenter des immigrés de tel autre pays, tout comme il trouvera peut-être des immigrés qui considèrent inconcevable un mariage avec un Français de souche lointaine. Par ailleurs, est-ce vraiment à la France de fonder un projet social donnant une place à l'ensemble des hommes du monde qui voudrait pouvoir en bénéficier ? La France peut-elle matériellement réaliser cela - Michel Rocard répondait par la négative à une telle suggestion ? Si elle ne le peut, n'est-il pas à propos de choisir à qui on ouvre la porte, ne serait-ce pas juste ? Ou bien préfère t-on maintenir la porte largement ouverte, sûr de n'avoir aucun moyen d'offrir un cadre acceptable qui ne fasse pas prospérer la délinquance ?

Si mes réponses aux propos très personnels du sociologue valent sans doute bien lesdits propos -ceci étant dit selon une lecture objective ; en toute subjectivité, je pense que mon point de vue prime sur le sien, sinon je me rallierais évidemment au sien-, je m'exprime en tant que simple citoyen, et non en mettant en avant un savoir universitaire. Ce que ne fait pas ce sociologue. Or, en usant d'une crédibilité hors du propos où elle s'applique, on brise cette dernière.

Mais peut-être est-ce un travers fondamental de la sociologie que de vouloir se méler de science et de politique, à l'image de l'oeuvre de Pierre Bourdieu. Le fondement de la sociologie étant d'étudier les ressorts sociaux des activités humaines, peut-être est-il inévitable que surgisse régulièrement le postulat que tout est social, que la part de l'individuel vaut néant ? Ou peut-être est-ce tout simplement que la sociologie est souvent prise comme outil de militantisme, ceci aboutissant au refus par nombre de ses adeptes, devenus sociologues dans une visée militante, de se cantonner à une démarche scientifique, c'est à dire à une simple recherche de la verité, ayant d'emblée une verité à défendre, se croyant pratiquant « un sport de combat », « combat généralement invisible que mène le sociologue contre l'ordre dominant » (lien).

(Sinon, sur le sujet de fond, je dirais que personnellement, je goûte relativement peu à ces débats sur l'immigration. Il y a bien des immigrés récents qui ont sué ou donné leur sang pour la France pour que je puisse vraiment accepter qu'on ramène toujours tout à cette question, comme le fait toujours l'extrême-droite (Jean-Marie Le Pen n'a pas même été capable de résister à la tentation d'évoquer les origines immigrées de Nicolas Sarkozy, c'est tout à fait révélateur). Je ne suis pas opposé au fait de réguler les flux migratoires, c'est sans doute nécessaire économiquement - et donc, in fine, socialement. Mais ce débat nous est toutefois imposé par cette gauche qui, par réflexe raciste inconscient, mélange immigrés et délinquants, en refusant qu'on s'attaque à la délinquance comme s'il s'agissait une politique raciste. Les déclarations récentes à propos de l'émeute de la gare du Nord me semblent à ce regard tout à fait explicites (lien)).

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« 15 avril, À la recherche du présent perdu (dans la campagne présidentielle)   

   10 avril, La foire du Nord à la gare du Trône »

1.

Trés bon décryptage du discours de Muccielli...

Posté le 15.04.2007 à 13h28 par Polydamas

2.

Malheureusement, Mucchielli n'est pas le seul de mes collègues sociologues à oublier d'être scientifique. Très (trop) souvent la sociologie actuelle est faite d'avis personnels et gratuits (c'est à peu près toujours le cas quand un sociologue intervient dans les médias). Et cela même quand elle fait du "terrain" (on peut interpréter un "terrain" à peu près comme on veut...).
Ce qu'est la sociologie aujourd'hui mériterait d'ailleurs une longue analyse...

Posté le 5.05.2007 à 12h58 par Jean-Michel

3.

à <lien>/ , on apprend que Loïc Wacquant est un sociologue ayant participé à « l'appel relayé par le quotidien Libération le jeudi 19 avril 2007, [par lequel] 200 intellectuels demandent à "tous les électeurs de la gauche, dans la diversité de ses composantes, à se rassembler dès le premier tour sur le nom de Ségolène Royal" ».

Fin sociologue, il estime que « Nicolas Sarkozy constitue "l'homme politique le plus dangereux que la Droite a sécrété depuis les débuts de la Vème République" ».

Posté le 17.06.2007 à 17h04 par Anonyme courageux
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