On annonçait pourtant la fin des idéologies
samedi X mars MMVIIDans l'article « à Dubaï, ni idéologie ni crise identitaire », publié p. 35 du n°852 de Courrier International, reprise d'un article d'Al-Ittihad (Emirats Arabes Unis), on apprend que « Dubaï a catégoriquement refusé toutes les idéologisations. Vous avez une idéologie ? Rentrez chez votre mère ! Vous avez des compétences, de l'expérience, des capitaux à investir ? Soyez le bienvenu ». Selon cet article, intéressant au demeurant, l'idéologie capitaliste, pour lequel l'argent n'a pas d'odeur, n'existe apparemment pas. N'est pas non plus idéologique le choix d'employer une population à 80 % étrangère (Indiens, Pakistanais, Asiatiques) pour « éviter les agissements révolutionnaires des idéologues panarabes ». N'est donc pas idéologique l'évocation de cette société merveilleuse où « la pauvreté est quasi inexistante », où « le taux de criminalité est parmi les plus bas du monde », n'est pas la marque d'une idéologie de contourner les problèmes en utilisant une population de remplacement, tel que cela fut fait en Occident.
Si à Al-Ittihad, il est de bon goût de vanter les bons choix de l'Emir, à Paris, il est également de bon goût de bafouer les mauvais choix du Parlement.
Dans le Télérama n°2982, p. 16, on nous parle de « ceux que tout le monde, ou presque, a oubliés » : les clandestins. Un oublié, c'est quelqu'un dont la cause est « bien plus populaire qu'on ne le croit », régulièrement évoqué dans la presse. Je n'insiste pas sur le contenu de cet article qui nous parle de « piqûre de rappel » comme si les lois votées par notre démocratie constituent une maladie dont il importe de se vacciner. Dans ce même magasine, p. 46, à propos du film « Arrêt de travail », le journaliste nous gratifie d'un festival très prosaïque de vocabulaire pour le moins idéologisée, puisque impossible à déchiffrer sans recourir à l'idéologie. Ainsi, on apprend que Pierre Carles, « documentariste militant », se penchait auparavant sur les « résistances individuelles » ? Résistance à quoi, à qui, légitime ou absurde (la résistance des uns est souvent le terrorisme des autres) ? Sans réponse. Il est dit aussi que « on décèle vite une réelle habilité à bousculer [...] quelques "vérités" communément admises ». Quelles « vérités » ? Pourquoi écrire ce mot entre guillemets ? Mystère et boule de gomme. Gomme surtout, car taire ses arguments est évidemment un procédé qui doit tout à l'idéologie : on ne prête pas le flanc à la critique mais on échange des petits regards entendus aux initiés, initiés par le partage d'un patrimoine idéologique. Il n'est toutefois pas neuf que la qualité rédactionnelle à Télérama est en chute libre depuis des années, pour qui n'est pas un immodéré politique (cf. lien). Ainsi, toujours dans le même numéro, un journaliste se targue de donner des leçons d'historiographie, contestant la volonté de certains historiens comme Max Gallo de laisser la distance se créer entre certains sujets comme la colonisation et la décolonisation -volonté pourtant propre à autoriser la pratique de l'histoire et non la pratique de la mémoire-, en proposant des problématiques qui ne font que refléter un certain manque, voire un manque certain, de connaissances ou de réflexion. Par exemple, Thierry Leclère déclare que « rejeter aux oubliettes la colonisation [NDM : qui a fait une telle suggestion ? Reductio ad absurdum fallacieuse], comme périphérique à l'histoire des Français, évite aussi de s'interroger sur l'universalisme et les valeurs de la République qui ont justifié, entre autres, cette épopée coloniale ». Quelles conclusions pourrions-nous tirer avec une telle problématique, étant pris en considération le fait que l'autre grande puissance coloniale majeure, le Royaume-Uni, ne partage pas avec nous le républicanisme, étant moteur d'un multiculturalisme loin de n'avoir pas fait couler le sang ? Est-il judicieux de postuler d'emblée, au stade de la problématique, que le décorum idéologique national joue un rôle majeur dans la pratique coloniale, cela sans une once d'approche comparatiste, c'est à dire sans se donner les moyens d'analyser profondément les particularités nationales en la matière ?
Presse et idéologie font bon ménage, je ne crois pas que cela constitue une révélation pour qui que ce soit. Mais il n'est sans doute pas inopportun de soulever cette souvent douteuse collusion, de ne point s'y habituer, de ne point la considérer comme tout à fait normale ni souhaitable. Si les idéologies ont sans doute perdu de leur superbe lorsqu'il s'agit de toucher les masses, elles restent largement présentes chez ceux qui ont pris pour profession d'informer autrui.