L'art de communiquer, adaptation ou manipulation ?
dimanche VIII octobre MMVIL'autre jour, entre Basel SBB et Genève CFF, je lisais le passage suivant : « Certains déplorent le déchaînement d'un imaginaire "sauvage" ou d'une affectivité de groupe libérée des carcans "rationnels", chez les individus en quête de nouvelles appartenances ou dépendances. Il n'y a pas à s'étonner devant les figures occupant la nouvelle scène affectivo-imaginaire : elles représentent des réactions contre les excès de la rationalisation et l'intellectualisation croissante des convictions n'a pas épargné le religieux : la théologie est précisément une rationalisation de l'expérience religieuse [...] Le diable a été chassé de l'Histoire au profit des causes objectives, des facteurs sociaux et économiques, des intérêts réels et rationnels, des déterminismes de toutes sortes [...] Mais qu'est-ce qu'une religion monothéiste qui se réduit à une théologie pour spécialistes et à une éthique "humaniste" grand public qui, fondée sur les Droits de l'homme, se passe de Dieu après avoir éliminé le problème du mal ? Par ailleurs, l'athéisme triomphant de la fin du XIXème siècle en Occident a perdu la dimension lumineuse qu'il tenait de son inquiétude initiatrice, pour s'ériger en un dogmatisme destructeur de toute autre raison de vivre que la quête individuelle du "bien-être", supposé garanti par les "avancées des sciences et des techniques", dont on néglige de voir qu'elles ont forgé la "cage de fer" de la modernité. Cette réduction de la "religion du Progrès" à une grossière apologie du consumérisme de masse, aveugle aux effets pervers du progrès techno-scientifique, a provoqué des révoltes de l'esprit dont témoignent autant la pensée philosophique [...] que l'expérience poétique [...] ainsi que l'expérience religieuse des mystiques les plus authentiques, dont Péguy fut une grande figure. » (Taguieff Pierre-André, La foire aux Illuminés, Paris, 2005, p. 381-382)
Je ne suis que modérément convaincu par certains jugements rendus ici, notamment à l'endroit de l'athéisme. Dire que l'athéisme n'a plus « d'inquiétude initiatrice » et le réduire à un « dogmatisme destructeur » demanderait argumentation ; l'athéisme, c'est aussi refuser que les lieux de la République soit des lieux de prosélytisme de religieux. On ne peut vouloir une République laïque et indivisible, c'est à dire neutre en matière religieuse, et lui demander de permettre que ses instances fassent la promotion « d'autres raisons de vivre ». Dire que c'est là une « grossière apologie du consumérisme » est discutable : si tel est le cas dans les faits, c'est une déviance de l'esprit, pas une évolution logique.
Quoi qu'il en soit, ce passage appuie l'idée que dans un monde désenchanté (c'est sans doute très triste, mais devons-nous faire comme Charles Maurras et adopter des croyances parce qu'elles nous semblent importantes, sans cri du coeur, sans adhésion irrationnelle ?) existe une naturelle soif d'explications, de « eurêka ». Et comme l'explication complexe et non-définitive n'est pas disponible et satisfaisante pour tous, on ne se surprend guère de la qualité médiocre des informations, notamment des informations télévisées.
L'auteur, écrivant ce passage, expliquait la soif populaire pour les théories de complots, les best-seller malhonnêtement jouant sur le fil roman historique (un tel roman doit être basé sur des faits historiques, sur un contexte historique, donnant cadre à la fiction ; et non pas présenter comme cadre historique réel des éléments fictifs, tels le célèbre Da Vinci Code présentant comme authentique des absurdités comme le « prieuré de Sion », invention d'une sorte d'hurluberlu français de la seconde partie du XXème siècle, remarqué pour ses extravagances par des rapports de police d'époque). Je pense que cela illustre de même la qualité des informations de Fox News ou de TF1.
Là réside peut-être d'ailleurs le secret de Nicolas Sarkozy, le secret lui permettant de récupérer certaines voix de l'extrême-droite : au lieu de vouloir épater la galerie en disant des choses complexes, qui prennent en considération toutes les subtilités des dossiers évoqués, au de chercher l'admiration d'une poignée d'individus au sein de l'élite, il dit des choses simplistes et explicatives, satisfaisantes en gros, attirant l'adhésion des masses.
Car les masses s'en moquent, de savoir pourquoi tel délinquant multirécividiste continue de leur polluer l'existence. On peut leur donner moultes explications, des explications que les élites trouveront parfaitement fines et lucides. Ces explications sont hors-sujet. Ce n'est pas que les gens concernés soient forcément idiots, égoïstes. C'est que, pour le moment, justement ils sont concernés (concerned avec sa coloration absente en Français relative au trouble serait tout à fait approprié), il s'intéressent d'abord à savoir comment on va faire cesser la délinquance qui les affecte, et non pas de savoir si dans l'absolu on va trouver une solution idéale pour les délinquants.
Imaginez-vous au restaurant. On vous sert du poisson manifestement périmé, vous vous en plaignez au serveur et ce dernier pour toute réponse vous explique à quel point il est délicat de trouver du poisson qui ne soit pas à l'état de putréfaction, que le marché est sans pitié pour les poissonniers en ce moment, sans parler des pécheurs qui ont la vie dure. Lionel Jospin, alors Premier Ministre, quand des salariés d'une entreprise ultra-rentable en voie de délocalisation l'interpellent répond qu'il ne peut rien faire, donne des explications recherchées sur la mondialisation. Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l'Intérieur, quand des grabataires vivant dans une banlieue dégradée l'interpellent répond qu'il va les débarrasser de « ces racailles » (notons le « ces » indiquant ciblage). L'un est le serveur qui laisse en plan devant votre met incomestible en vous parlant de la vie du monde marin, l'autre est celui qui vous dit qu'il va réclamer en cuisine.
Certains diront que c'est de la manipulation. J'ai tendance à penser que c'est de l'écoute : ce propos répond à l'interlocuteur en répondant à sa demande d'une manière qu'il comprend. D'autres devraient en prendre de la graine. Cela manque, à gauche, des individus qui savent s'exprimer autrement qu'à la chaire lors des rencontres paroissiales. Ce serait de la manipulation s'il s'agissait d'annoncer qu'on allait régler des problèmes qu'on ne reconnait pas en tant que problèmes, qu'on ne reconnait pas en tant qu'inéluctable marche du temps. Assurément, cela implique d'avoir de l'imagination en lui et place de résignation.
1. pb technique
l'article est illisible car les phrases du haut se superposent...