Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

.

Ici :

Ailleurs :

« Et puis et puis tu es partie radicale, avec un zèbre, un zèbre mal rayé »

dimanche XXIV septembre MMVI

Où est-il passé, le Renaud de mon enfance, ce petit loubard sans prétention autre quelle celle d'être bruyamment, en mélodie, jeune. Finesse, manque de finesse, sérieux et ironie, un tout déroutant et aguichant, qui sortait de l'image attendue. Le loubard faisait une bande ; un dur, car dans la rue « ça bastonne comme à Chicago ». Le loubard faisait « une bande jeunes à moi tout seul ».

Mais le monde des marlous et des gisquettes est mort, écrasé par le monde des « cailleras » et des « taspés », et Renaud s'est casé.

Il s'est casé, tellement casé qu'il est tout à fait cadré, encadré.

Ce cadre, c'est celui du militant, de celui qui fait de la l'activité politique, devoir et droit de citoyen, une acte militaire. Le militantisme, hier, c'était Georges Marchais en 1981 affirmant que les goulags n'existaient pas (Robert Hue a sauvé le PCF du bolchévisme et du refus du réformisme ; lorsque j'ai voté pour cet homme en 2001, je n'ai assurément pas compris que j'étais le seul ou presque à croire que le PCF pourrait être le renouveau de la SFIO, que j'étais le seul à penser que l'abandon de l'idéologie de Moscou, de ses 21 Conditions de l'abrutissement et de la servitude intellectuelle offrait un avenir à ce parti : l'avenir m'a donné tort, le PCF est redevenu un repaire de révolutionnaires, de nihilistes, dilapidant l'apport de Hue lien). Le militantisme, aujourd'hui, en 2006, c'est soutenir une coalition où l'on trouve à sa tête Fidel Castro, un type qui se réclame de Marx -pour qui la religion était opium- racontant qu'un pays islamiste -un pays où la loi est considérée comme une révélation divine- agit pour un « monde meilleur et plus juste » (lien). Le militantisme, c'est la conviction que l'histoire à un sens, que l'action est forcément bonne, qu'existe un gigantesque paradigme toujours valide, un truc qui explique tout et qui donne la marche à suivre. Le militantisme, c'est l'idée que la fin justifie les moyens, que tous les signes qui incitent à la méfiance sont des leurres.

Le loubard, quand « père l'agace, il fait zop ». Il fait des chansons sur les « bobos », sans qu'on sache bien ce qu'il leur veut. Et puis il nous décrit l'électrice du Front National, c'est à dire 20 % des votants de de la population française au premier tour. Un portrait seyant. Elle est « aryenne jusqu'au fond des yeux », elle « aime aussi sa blanche peau », d'ailleurs elle « pourrait bien se faire tondre ». En bref, l'électrice FN est néo-nazie et il serait justifié de remettre au goût du jour la tonte des femmes dénoncées comme collaboratrices, et peut-être, pourquoi pas, dans la foulée, aussi les viols collectifs qui sont parfois allés de pair pendant l'été 1944, période où les Français n'ont pas perdu leurs bonnes habitudes de haines collectives et de dénonciations malhonnêtes développées à partir de 1940. Assurément, il ne faisait pas bon être fille de joie en 1944. Mais il ne fallait pas non plus avoir osé l'amour avec un Allemand (tous des nazis convaincus, tous des tortionnaires, croit-on lire parfois, lien). Et il ne fallait pas manquer de chance, ne pas gêner un voisin, de ceux qui ont fait la fortune services postaux par des signalements de bons français, du genre qui n'imaginaient pas que les juifs partis pour résoudre la crise du logement, déjà pénible à l'époque, n'allaient pas tous en camp de vacances. Des bons français du genre des bons allemands qui n'auraient rien vu venir, quand Joseph Goebbels écrivait dans le journal Das Reich « Nous vivons actuellement l'accomplissement de cette prophétie », c'est-à-dire « l'anéantissement de la race juive en Europe » promis par Adolf Hitler dans son discours du 30 janvier 1939 (Martens Stefan, « L'irrésistible ascension d'un écrivain raté » in L'Histoire, n° 312, p. 47, sept 2006).

Renaud nous rappelle les heures glorieuses de l'Europe, ces heures qui selon certains membres des non-alignés évoqués plus haut, les charmants démocrates iraniens (non, je ne parle pas des démocrates de Corée du Nord), seraient en fait un hoax, un complot judéo-bidulo-sioniste (il y a plusieurs versions connues de ces complots là, c'est comme les Protocoles des Sages de Sion, ça circule beaucoup à l'extrême-gauche, à l'extrême-droite et chez nos amis islamistes pas belliqueux pour un shekel ; très en vogue, ces temps-ci, dans la collection automne-hiver 2006, le fameux complot américano-sioniste du Nine Eleven de Thierry Meyssan, qui fait un véritable carton au Émirats arabes unis, en Iran, en Syrie et au Venezuela - c'est de la bombe s'exclament les jeunes, une vraie tuerie, bientôt dans les Bacs ou à la rigueur à la DNAT lien).

Sur RTL, l'ex-loubard nous assure « Il n'y a pas de polémique [...] Il n'y a pas d'incohérence, ni d'insulte, ni de calomnie. Si je dois débattre avec Sarko (sic), j'ai d'autres arguments : le traiter de populiste, de démago, lui reprocher d'insulter la jeunesse des banlieues » (lien). Le pauvre homme. « Traiter », c'est selon lui « argumenter ». « Populiste », « démago », ces termes ne sont pas calomnieux dans sa bouche, selon lui.

Le populisme, c'est le terme qui fut choisi pour désigner Napoléon III, usant du plébiscite pour modifier la IIème République et la transformer Second Empire (lien). Si le premier Napoléon du nom est mal vu dans l'Europe entière hormis la France, ce dernier Napoléon là lui parvint à être également haï en France. Dire de quelqu'un qu'il est populiste, c'est consciemment ou pas l'accuser de fomenter un coup d'État.

Le démagogue, c'est celui qui conduit le démos. Nous en revenons, comme si souvent, à nos amis les grecs anciens. Le démagogue, c'est le malfrat tel Pisistrate, celui qui s'allie avec le peuple contre les oligarques - un tyran. C'est évidemment un malfrat aux yeux d'auteurs partisans de l'oligarchie - en histoire ancienne, on fait avec les sources qu'on a, vae victis. Le terme tyrannie qui ne comportait pas de connotation spécifiquement péjorative à l'époque sert aujourd'hui à désigner un régime infâme. Nous avons sans nul doute hérité et cultivé une haine de l'ennemi de l'oligarchie. Le petit loubard se fait le colporteur de cette haine. Nul doute « qu'il voterait Ségolène Royal au second tour de la présidentielle ».

Le Renaud de mon enfance n'existe plus que sur disque. Sur de vieux disques.

Mise-à-jour à 22h : j'apprend que deux mosquées ont fait l'objet d'actes de dégradation, notamment des tentatives d'incendie et des tags. Les tags faisant référence au nazisme, la piste de l'extrême-droite semble être la première envisagée. On remarquera toutefois que si les auteurs des faits sont néo-nazis, alors ils ne sont pas très bien renseignés sur leurs références, puisque la swastika est réalisée à l'envers (normalement, elle tourne dans le sens contraire des aiguilles d'une montre, le nazisme se voulait à contre-nature, lien). Je ne cache pas que je trouve qu'il y a une forme d'ironie à ce que la communauté musulmane puisse apparemment faire l'objet d'agressions de la part d'individus se réclamant du nazisme alors que c'est actuellement dans le monde musulman où l'on trouve le plus facilement en circulation les théories négationistes, sans qu'elles ne soient contestées un seul instant. Je constate que Dalil Boubakeur s'est empressé de déclarer l'acte « odieux parce que c'est bête et méchant » (lien). Récemment, son empressement était dévolu à ce que le pape Benoît XVI retire ses propos sur la tendance à la violence des adeptes du culte musulman, évoquant « les dangers communs qui menacent tous les croyants à savoir en particulier l'extrémisme, le radicalisme, l'intolérance et la violence ». Je n'ai pas eu la chance de l'entendre condamner fermement tous les actes anti-chrétiens qui se sont produits suite aux propos de Benoît XVI, des actes assurement « odieux parce que [...] bêtes et méchants ». Osera t-on dire que finalement, comme on l'entend dire à propos des islamistes face au pape, que si ces faits ont réellement été commis par des néo-nazis, ce seraient en fait les musulmans dans leur ensemble qui en sont responsable ? Non, on ne le dira pas, parce que ce serait évidemment parfaitement abruti de considérer les responsabilités individuelles abolies, de croire qu'un méfait se justifie par d'autres méfaits. C'est pourtant le laïus auquel nous avons eu droit tout au long des récents troubles autour des propos du pape.

.

« 25 septembre, De bonnes idées   

   22 septembre, Désolé, bergère »

Pseudonyme, nom :

Adresse (url, courriel) :

Titre du commentaire :

Commentaire :

Retour à l'index