Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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Les Nord-Américains et l'ONU

mardi XIX septembre MMVI

L'ONU, c'est bien, c'est la poursuite de la défaillante SDN en mieux, ça tente de régler par le Droit les conflits du monde. Voilà ce que l'ONU m'inspire, sans trop creuser la question.

En creusant la question, je suis toutefois contraint à un certain scepticisme. Le pire étant que ce scepticisme ne repose pas tant sur l'inefficacité flagrante de l'ONU sur certains dossiers mais sur le principe même d'équilibrage international. J'ai déjà évoqué ce point lorsque je demandais si pour « arriver à une entente cordiale avec les anciennes colonies, ne devrions-nous pas commencer par un splendide isolement » (lien - les attentifs feront remarquer que le splendide isolement britannique était une forme d'équilibrage entre puissances continentales, certes, mais ayant pour seul principe d'éviter qu'elles puissent être dangereuses pour soi).

Revenons-en à la Der des Ders. On explique généralement son amorçage crescendo par le jeu des alliances : la Triple Entente (France, Royaume-Uni, Russie) et la Triplice (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) se devaient d'entrer en guerre si tôt que l'un de leurs membres la déclarait. Ainsi, lorsque la Russie entra en guerre contre l'Autriche-Hongrie, après que cette dernière ait attaqué la Serbie, elle-même alliée à la Russie, l'Allemagne exigeât le retrait russe et la non-implication française si la Russie en venait à rester à une position belliqueuse. La Russie maintient sa position, la France la soutient, espérant bien y retrouver l'Alsace et la Lorraine au passage. Mais l'Italie, elle, tôt virera de bord - comme quoi les alliances n'imposent des enchaînements dramatiques que lorsqu'on y trouve son compte.

Dans l'affaire, les États-Unis étaient neutres, indépendamment du fait qu'ils pratiquaient le commerce avec les pays desquels ils étaient historiquement les plus proches, c'est-à-dire les pays de la Triple Entente. En 1917, alors que la Russie s'écroulait sous les révolutions et s'apprêtait à se retirer, les États-Unis, las de voir leurs paquebots coulés par la flotte sous-marine allemande (lien), entrait en guerre. À l'époque, leur armée ne valait pas tripette, néanmoins après quelques mois d'entraînement, à l'étonnement général, elle fit figure tout à fait honorable dans la grande boucherie des tranchées, contribua à rompre l'équilibre des tranchées qui faisait que des centaines ou des milliers d'hommes disparaissaient pour avancer de quelques mètres (visitez des tranchées, notamment au col du Linge, dans les Vosges, vous serez surpris de voir le peu de distance qui séparait les piteuses tranchées françaises des très carrées tranchées allemandes).

Jusqu'ici, je n'ai fait que rappeler des choses bien connues, qui ne font pas débat. Cette remise en contexte ne m'apparaissait toutefois pas inutile. J'en viens maintenant au point que je voulais aborder en écrivant ce billet - ce n'est pas que je ne peux exprimer un propos sans me perdre en digressions, c'est juste que j'ai ici envie de prendre le temps, ce qui n'est pas possible dans d'autres contextes où il s'agit d'être simplement et brutalement opérationnel et efficace.

La question qui me turlupine est la suivante : et si, au lieu de prendre parti les États-Unis avaient envoyé une aide financière et à la Triplice et à la Triple Entente ? Et si, au lieu d'aller au Front et de permettre des percées, il s'étaient mis au milieu, réclamant un cessez-le-feu alors que les forces en présence n'étaient pas encore mentalement suffisamment démolies pour accepter de baisser les armes ? Aurait-on imaginé la France admettre que finalement la guerre s'arrêtait au Chemin des dames (lien), mangeant son chapeau concernant ses prétentions séculaires des bords du Rhin et de la Moselle, par exemple ?

Bien entendu, de telles questions sont vouées à rester sans réponse. L'histoire se fait avec des faits, des hypothèses, pas avec le travestissement des faits à base de « Et si ». Là où je veux en venir, ce n'est pas sur l'idée que le passé aurait pu être différent -il aurait sans doute pu l'être mais nous n'en saurons jamais rien- mais sur l'idée qu'une aide et une médiation apportée à des personnes qui manifestement veulent toujours en découdre, de sorte à équilibrer leurs forces, n'est pas nécessairement la garantie d'une issue positive, puisque ça les approvisionne en nerf de la guerre.

Ceci étant dit, vu la fin de conflit là, on pourrait dire que l'issue n'était de toute façon pas positive : encore plus de morts et un, très compréhensible dans le contexte, diktat de Versailles en bonus contenant une partie des germes de la fin de la République de Weimar et de la montée du NSDAP (sans même parler de la question de Fiume - lien).

Je ne vous propose pas de prêt à penser. Rien dans tout ceci ne permet d'affirmer que si les État-Unis avaient agi en 1917 comme l'ONU depuis sa création, le conflit aurait perduré de manière encore plus constante, l'empêchant de trouver une fin. Car l'entre deux guerres dura 22 ans, ce n'est pas négligeable ; aussi fragile fut-elle, on ne peut pas comparer cela à la situation au Proche-Orient. Rien ne permet d'affirmer qu'une approche différente de la part des États-Unis aurait permis une issue plus heureuse, disais-je, et rien ne le permettra jamais, car on ne refait jamais l'histoire, néanmoins je crois légitime, par les temps qui courent, de se demander quelles sont les conséquences probables du rôle de médiateur qu'on essaye de s'attribuer. Ça fait chic de se dire médiateur du monde, grand pacifiste façon pacificateur refoulé. Mais on devrait toujours se demander dans quelle mesure notre action n'est pas un frein à la résolution du conflit. L'ONU décide de « résolutions », un objectif bien généreux qui parfois ne semble n'être que jeu de mot.

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