Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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Ma naïveté confondante

vendredi VII avril MMVI

... me perdra.

Je croyais que l'on parlait de décentralisation et de déconcentration, on avait un réel objectif concret qu'on essayait globalement de suivre. Mais apparemment non, puisque lorsqu'il s'agit de créer un « atelier de maintenance des rames du TGV Est », c'est bel et bien en région parisienne, à Pantin, qu'on le place (lien). Histoire de créer de l'emploi toujours au même endroit, accessoirement là où le coût de la vie (notamment du logement) est le plus élevé.

Je croyais que l'on parlait de hausse des taxes sur les cancerettes, le but était de réduire la consommation nationale de tabac, dans une optique de salubrité publique. Mais apparemment non, puisque ce sont en fait des « hausses insensées » car elles ont causé « une chute en volume de 27,7% » de la vente de tabac, si on se fie à la Confédération des débitants de tabac (lien). C'est donc que ce n'était pas leur objectif, si une telle chute de la consommation du tabac n'est pas une bonne nouvelle en soi.

Je croyais que lorsqu'on se revendique « tous casseurs », le but était d'adopter une posture politique jusqu'au-boutiste pleinement assumée (lien). Mais apparemment non, puisque ceux qui se réclament « tous casseurs » sur internet considèrent très injuste qu'on les considère comme des casseurs et les envoie visiter le tribunal correctionnel (lien).

Je croyais que lorsqu'on disait que « le droit aux soins [...] est un droit fondamental [...], il ne doit jamais être utilisé à d'autres fins que la préservation de la santé », il s'agissait de se donner les moyens de prodiguer des soins à qui en aurait besoin, sans pour autant accepter d'être manipulé ce faisant. Mais apparemment non, puisque pour Médecins du Monde il s'agit en fait de faire des lieux publics de soin des espaces où les lois de la République cessent de s'appliquer, des zones de non-droit, où tout contrôle de titre de séjour, par exemple, serait exclu (lien). Ce droit au soin est donc matière à invoquer une « règle tacite mais admise qui protège les patients dans les lieux de soins » des effets des lois de la République, une fin qu'on ne peut estimer du domaine des soins.

Je croyais que lorsqu'on est journaliste et avocat, on se devait de respecter un certain sens de la loyauté et de la mesure. Mais apparemment non, puisque chez Télérama on peut titrer « comment a été étouffée la vérité sur la mort des deux jeunes de Clichy-sous-Bois ? » (n° 2934, avril 2006), postulant ainsi d'emblée que la vérité sur ces décès a été étouffée, arguant que le fait que la presse ait, dans un premier temps, donné des informations erronées sur l'origine de la poursuite des défunts aurait un impact sur la légitimité pour des fonctionnaires de police à poursuivre des individus qui délibérément refusent un contrôle et remettrait en question le principe de responsabilité personnelle qui veut que lorsqu'on se jette délibérément du haut d'une falaise, même pour échapper aux représentants de la force publique, on en est seul responsable (sinon il suffirait de se promener en permanence avec un revolver sur la tempe pour prétendre échapper à toutes lois). Naturellement, quand on est avocat, demandeur à l'action civile, on se garde bien, lorsqu'on prétend écrire « pour rétablir la vérité des faits », de se poser des questions sur le déplacement de la procédure judiciaire, pour non-assistance à personne en péril, vers l'arène médiatique dont l'affaire dite d'Outreau a révélé les multiples vertus. On se garde bien d'être mesuré, de faire preuve de délicatesse, lorsqu'on proclame qu' « en affirmant que les adolescents avaient quelque chose à se reprocher et qu'ils essayaient de fuir, on a tenté de légitimer la course-poursuite des fonctionnaires de police » ; car de toute évidence, s'il est établi que les adolescents n'avaient rien à se reprocher, personne ne peut contester qu'ils essayaient, néanmoins, de fuir à un contrôle de police, et ce faisant, une poursuite s'avérait parfaitement légitime. Un avocat devrait savoir, présomption d'innocence toujours, que le fait qu'un individu soit poursuivi par la police ne permet en rien de préjuger de sa culpabilité, que l'établissement de la culpabilité n'est pas un pré-requis au contrôle de police (si tel était le cas, il n'aurait plus d'objet et serait théoriquement hors du champ de possible). Ensuite, il est déclaré que l'instruction judiciaire pour non-assistance à personne en péril devra « examiner » l'origine et la nature des versions relayées par la presse, ce qui semble parfaitement hors-sujet dans le cadre de cette instruction ; mais cohérent si on proclame ce que dit le titre de l'article de Télérama. Dans cette logique, les conclusions de Me Jean-Pierre Mignard ne surprennent pas : lorsqu'il dit « je suis ahuri qu'une affaire gravissime comme celle de Clichy puisse survenir [...] l'égalité voudrait que si les jeunes des cités sont jugés comme la loi l'exige lorsqu'ils sont coupables, il leur soit aussi reconnu le statut de victime lorsqu'ils sont victimes », il faut comprendre qu'il ne parle pas de victime au sens général, il ne parle pas de victimes d'une tragédie humaine, ce qui serait normal vu les circonstances. Non, l'analogie avec le cas de culpabilité sanctionnée par la loi montre qu'en fait il se place dans une perspective pénale. Il proclame qu'ils sont victimes d'une infraction pénale, donc il bafoue en long et en large la présomption d'innocence. Et s'il parle d' « affaire gravissime », il est douteux qu'il limite les contours de l'infraction à une non-assistance à personne en péril, un délit qui n'est pas spécialement grave (peine encourue : 5 ans), alors qu'il n'a apporté sur la table pas le commencement d'un début de preuve justifiant de telles accusations. C'est bien beau de vouloir parler des « mensonges » publiés dans la presse, je ne suis pas contre, mais ça ne prouve rien sur les faits eux-même - bien que cette méthode soit couramment employée par les négationnistes concernant le génocide nazi.

Je croyais que lorsqu'on s'auto-proclame « Ligue des droits de l'homme », le but était de faire la promotion de la teneur de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, notamment que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », que la Loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse », que « tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance », que « la garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique ». Mais apparemment pas du tout, puisque ceux qui s'auto-proclament de la sorte estiment anormal que la Justice ose condamner systématiquement les auteurs d'infractions pénales et « s'insurge[nt] contre la sévérité d'[une] condamnation, [qu'ils estiment] disproportionnée au regard des faits reprochés » (lien), niant ainsi la légitimité de la Loi en estimant disproportionnées les peines encourues prévues par elle.

Mais je ne suis qu'un naïf. Voilà la seule conclusion logique.

Par exemple, moi, quand quelqu'un agresse, je considère que c'est un agresseur. Je conçois parfaitement qu'il y a un cheminement qui a fait d'un individu un agresseur, c'est à dire quelqu'un qui ne respecte pas les droits d'autrui. Mais je ne parviens pas à concevoir que cet agresseur, à moins qu'il ne souffre de troubles psychiques ou neuropsychiques altérant ou abolissant son discernement, puisse ne pas disposer du libre arbitre qui lui permettrait de choisir de respecter autrui comme il aimerait qu'on le respecte lui. Je pensais que le temps de la culpabilisation des victimes, des femmes violées qui soit disant l'aurait cherché, des beaufs agressés qui aurait tort de parler d'insécurité car la faute reviendrait à la société injuste, était fini. Je pensais que le temps de la déresponsabilisation des agresseurs, présentés comme des laissés pour compte de la société alors que les zones urbaines qu'ils habitent bénéficient de largement plus d'attention que les autres, notamment en matière d'infrastructure sportives, éducatives et culturelles, était fini. Mais les étudiants de la Sorbonne, du moins ceux qui se proclament « Assemblée Générale de la Sorbonne », sont là pour me détromper. Ils ne peuvent « nier les vols et les agressions physiques perpétrés par ces jeunes à l'encontre de plusieurs d'entre [eux] » mais en arrivent tout de même à la conclusion que la faute en revient à l'État (lien). Ce serait « la violence d'État » qui ferait qu'ils sont en fait eux des victimes, et les agresseurs, ainsi, n'auraient aucune marge de manoeuvre, aucun libre arbitre, de véritables aliénés. Je suggère à ces braves gens, en l'occurrence « l'AG de la Sorbonne », à l'avenir, lors des manifestations, de se distinguer et revendiquer leur position. En portant au dessus de leur tête un gros panneau "bolos", la police saurait qu'ils sont désireux de se faire éclater la tête et qu'ils estiment illégitime une intervention en leur faveur ; de plus, les racailles sauraient qu'ils y a des amateurs pour un dépouillage dans les règles de l'art ; et eux, ils n'auraient pas à culpabiliser de contribuer à l'infâme « violence d'État ». C'est ce qu'on appelle une situation gagnant-gagnant.

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«  8 avril, Comment nos Droits de l'homme et du citoyen sont bafoués   

    6 avril, Caught in the crossfire »

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