Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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Libération : constance dans la défiance

jeudi XVI mars MMVI

Je me tiens au courant de l'actualité judiciaire en particulier via le site lien tenu par le criminologue Stéphane Bourgoin. Cela signifie que dès que je découvre un nouvel article, sa source n'est pas flagrante, puisqu'elle n'est précisée qu'en bas de page.

Et pourtant, dès les 4 premières phrases, je sais lorsqu'un article vient du journal Libération.

C'est simple : aucun autre grand journal ne donne à ce point dans la défiance systématisée à l'encontre de la police. Si je devais appuyer ma théorie de manière scientifique, je devrais bien entendu m'attarder sur plusieurs articles du journal. Je définirais une période et prendrais en compte l'ensemble des articles évoquant la police. Mais Libération ne m'intéresse pas assez, je vais donc rester dans le domaine de la suggestion, de l'essai. Et, ainsi, je vais me focaliser exclusivement sur l'article d'aujourd'hui intitulé « La police est arrivée juste après que ça a cessé de tirer Â», d'Olivier Bertrand (lien).

Cet article évoque la mort par homicide manifestement volontaire d'un père de famille algérien à la sortie d'un bar, à Oullins, le 4 mars dernier.

La phrase magique qui me fait d'emblée supposer que l'article vient de libération est la 4ème : « Après des premières constatations bâclées le soir du meurtre, la justice a promis, la semaine dernière, de reprendre l'enquête proprement Â». La Justice à promis ? Qui ? Le procureur de la République ? A t-il réellement déclaré que l'enquête préalable n'avait pas été faite « proprement Â» ? Il y a t-il eu déjà une évaluation disciplinaire qui permet de savoir si les premières constatations étaient « bâclées Â» ? Les boeuf-carotte sont-ils en route ? Comment sont fondées de telles accusations ? Vous n'en saurez rien, car l'article se contente de déclarer, pas de prouver. Cet article surfe sur des présomptions, des déclarations et des sentiments - pas sur des éléments probants. Ces accusations peuvent être exactes, je n'en sais rien. Mais on ne peut mettre la charrue avant les boeufs. Il s'avère en l'occurrence que la présomption de malhonnêteté ou d'incompétence de la police semble être un trait de caractère des articles de Libération.

« Mais les proches conservent une profonde méfiance. Ils ont l'impression que la mort de Chaib est traitée par-dessus la jambe Â» poursuit l'article. Est-ce si rare, que l'entourage d'une victime estime que la Justice ne frappe pas assez vite, ne frappe pas assez fort ? L'entourage des victimes n'est-il justement pas le plus mal placé pour évaluer de l'efficacité de la Police et la Justice, puisqu'il est le plus impliqué sentimentalement ? Peut-être que dans ce cas de figure, ils ont raison. Mais de tels sentiments ne prouvent rien.

L'article rapporte plus loin « qu' un jeune témoin, Sid-Ali, affirmait avoir entendu "sale Arabe", et "race de merde". [...] Mais les enquêteurs estiment que le distributeur vidéo où il retirait un DVD se trouve trop loin de la scène. Lui explique qu'il s'est approché aux premiers coups de feu. La jeune femme qui se trouvait à la fenêtre confirme : "Il y avait deux jeunes d'une vingtaine d'années de type algérien au Videoland en face. L'un a commencé à s'avancer. Son pote lui a dit : "Reviens, t'es fou !" Quand les flics sont arrivés, ils se sont jetés sur lui. J'ai crié qu'il n'y était pour rien. Â». La défiance se poursuit. On rapporte les faits sans tentative d'objectivité. Le « jeune témoin [...] explique Â» et la « jeune femme [...] confirme Â». Pourtant, la confirmation n'en est pas une. Elle ne dit pas que le jeune témoin était proche de la scène, elle dit que le jeune témoin « a commencé à s'avancer Â».

On note qu'il est toujours amusant de signaler que lorsqu'on parle à la police, il faut « crier Â» (« j'ai crié qu'il n'y était pour rien Â»). Mais on note également que la crédibilité de la jeune femme témoin reste à évaluer. Car on peut aussi lire dans l'article que « la jeune femme affirme qu'elle n'a pu distinguer ce qui se disait, car "tellement de personnes criaient que je n'arrivais pas à comprendre" Â». Il est épatant que ce témoin ne puisse pas distinguer ce qui se dit à proximité, étant témoin oculaire de l'homicide, mais puisse cependant distinguer ce que l'ami du jeune témoin, éloigné, lui « dit Â» (pourtant, lui, il ne crie pas : « Son pote lui a dit : "Reviens, t'es fou !" Â»).

On apprend plus bas que « Les horaires confirment que la police a tardé à venir Â». Mais il ne faut pas en demander plus à Libération. Car rien de plus ne sera donné que de vagues propos à ce sujet (« La police est arrivée juste après que ça a cessé de tirer Â»). Non, les horaires confirment !

Puis l'article se conclue sur la « jeune femme Â» témoin oculaire : «  "Ils sont arrivés juste après, dès que ça a cessé de tirer." Lorsqu'elle leur a dit que Sid-Ali n'y était pour rien, un policier lui a demandé dans quelle direction s'était enfui le tireur. Elle lui a indiqué de la main. Mais personne n'a pris son identité, personne n'est revenu la voir. Et douze jours après le meurtre, elle n'a toujours pas été convoquée. Â».

On peut gager que si le policier en question avait pris le temps de relever son identité avant de tenter de retrouver le tireur, cet acte aurait été à charge à l'encontre de la police dans ce même article de Libération, qui y verrait là un desintérêt pour la poursuite du criminel. Il est indéniable qu'il n'est pas bon qu'un témoin oculaire ne soit pas entendu par les enquêteurs ; mais rien n'interdit à un témoin se rendre de lui-même au commissariat s'il pense que son témoignage peut-être utile. C'est même encouragé.

Que conclure ? Peut-être que l'enquête n'est pas bien menée, je n'en sais rien. Mais je ne vois rien qui le prouve ici. Je constate qu'on se base sur l'avis d'entourage de la victime pour déclarer que ça ne va pas assez vite : argument ridicule, ça ne va jamais assez vite pour les victimes, et cela s'entend très bien (on ne saurait reprocher à l'entourage d'avoir ce sentiment). On évoque ensuite un témoin estimé non-fiable par la police, puis un témoin dont la fiabilité reste à étudier. Ce second témoin n'a pas été entendu, c'est dommage, mais son réflexe aurait du être, en tant que citoyen, de se rendre au commissariat.

Mais que cherche Libération, de son coté, entretenant une défiance à l'encontre de la police, qu'on accuse de « bâcler Â» son travail, un travail n'étant pas fait « proprement Â», parle « des errements de l'enquête Â» ; qu'on accuse au mieux d'être incompétente, au pire d'être malhonnête. En quoi le travail de Libération constitue t-il un travail d'information ? En quoi ce compte rendu est-il objectif et fait-il la part des choses entre la position des uns et des autres ? Pourquoi, par exemple, n'est-il pas venu à l'esprit du journaliste de demander aux policiers leur point de vue ?

Bien entendu, ceux qui me connaissent diront que je ne suis pas d'une grande neutralité, que j'instruis à décharge au profit de la police. Mais lorsqu'on tombe sur des articles qui ne sont qu'à charge, comment pourrait-il en être autrement ? Je ne prétend pas que les policiers en charge de cette enquête sont compétents et honnêtes. Je n'en sais rien. Par contre, je trouve inacceptable de présumer le contraire.

De plus, je trouve lamentable de constater, une fois de plus, que certains médias aiment à se plaindre d'une Justice trop expéditive en pensant à Outreau tout en défendant des exigences de résultats immédiats par ailleurs (attitude dans l'affaire Halimi).

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« 17 mars, L'avocat rêvé pour le procès pénal   

   15 mars, Les plaidoiries d'Outreau et l'esprit de Grand soir Â»

1. <url>/

J’abonde dans votre sens s’agissant de la nécessité de ne pas s’emballer dans ce type d’affaires, de ne pas préjuger de la pratique de tel ou tel corps. Il y a dans le corps de la police comme partout des gens bien et des gens moins bien. Et il ne faut pas se leurrer, la police à une image détestable dans l’opinion publique. Libé dans ce sens et de par sa culture et son histoire fait de temps à autre des généralisations pour construire un scoop. Il ne faut pas oublier que cette entreprise est là aussi pour vendre.

Mais je pense que le manque de contact régulier des policiers avec les habitants, le manque de diversité culturelle (même si je vous l’accorde, ça change petit à petit) fait que nous nous retrouvons dans une situation détestable de méfiance réciproque.


Posté le 18.03.2006 à 20h25 par Peckinpache

2.

La police nationale est l'un des corps de fonctionnaire français qui connaît le plus de diversité.
On estime que d'ici les 5 années à venir, 50 % des effectifs seront féminins - et cela à tous les niveaux hiérarchique.

Par ailleurs, les agents, officiers et commissaires d'origine arabe ne sont pas rares (je ne vais pas donner dans la langue de bois, n'est-ce pas), même s'ils sont parfois vu comme des traîtres par une certaine délinquance.

En ce sens, je ne suis pas sur que la composition sociologique de la police puisse révolutionner quoi que ce soit. Encore moins la marche forcée à coup de mesures de discrimination positive - mieux vaut recruter au seul critère de la motivation et compétence.
Je ne crois pas qu'il existe d'autres corps de fonctionnaires qui puisse se vanter d'une telle variété dans son personnel.

Je pense que c'est dans le propre du métier de flic de focaliser certaines petites haines.

La plus évidente, c'est que la police n'est pas aimé dans les lieux à fort taux de délinquance. Parce qu'ils y sont les empêcheurs de tourner en rond, ils gênent évidemment ceux qui s'adonnent au commerce souterrain - illégal. Parce qu'ils y sont nécessairement présent régulièrement, parce qu'il n'y a pas de solution magique pour distinguer un délinquant d'un autre citoyen, il y font beaucoup de contrôles et autres mesures coercitives ressenties comme injustes.

La moins évidente, c'est que la police représente l'ordre. La police est pour faire appliquer la loi, défendre les libertés publiques, maintenir l'ordre public. Nécessairement, tout esprit de révolution est amené à voir la police comme un valet de l'ordre établi.


Là ou je pense que Libération est authentiquement infâme, c'est qu'il pratique une méfiance constante de la police nourrie par cet esprit révolutionnaire (réel ou de marketing) tout en exigeant des résultats, de la rapidité.

C'est cela l'hypocrisie du moment. Ci et là, on disserte sur les moyens de la défense qui seraient trop défavorisés par notre système pénal, mais au même moment on considère comme une faute qu'une affaire ne soit pas vite résolue (ex : cette affaire, affaire Fofona).

En voyant à plus long terme, je pense qu'on devrait essayer de se rappeler de ce qui s'est passé lors de nos dernières élections présidentielles, lorsqu'on s'est rendu compte que le droit à la sécurité était d'importance et que nos citoyens ne le considérait pas comme anecdotique.


Posté le 19.03.2006 à 10h36 par Marcel Patoulatchi
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