Les plaidoiries d'Outreau et l'esprit de Grand soir
mercredi XV mars MMVIAprès m'être intéressé aux actes des magistrats impliqués dans l'affaire d'Outreaux, de ceux des services de police, de ceux des médias, j'en arrive à m'interroger sur ceux des avocats de la défense.
En effet, sur cet aspect, je nage dans le vide absolu. Je n'ai absolument aucune idée des méthodes qu'ils ont employées.
En jettant un oeil à un certain nombre d'articles publiés pendant le second procès, on peut par exemple lire que « questionné sur les viols à répétition reconnus par les Delay-Badaoui sur leurs propres fils, l'abbé [Dominique Wiel] est aussi dubitatif » (lien). S'agit-il d'une sur-interprétation de la part du journaliste, ou à l'audience des accusés ont-ils émis des doutes sur les faits à l'origine de l'affaire ? Le second cas de figure semble intenable.
Mise-à-jour à 17h: Cet après-midi, à la Commission d'Outreau, on en vient à clamer que le fait que le Parquet soit à l'audience sur une estrade, placé plus haut que les avocats de la défense et les avocats des parties civiles, est une « erreur de menuiserie », marque de déséquilibre entre l'accusation et la défense. Je m'étonne que symboliquement on cesse de considérer que la défense de l'intérêt commun est supérieur à la défense de l'intérêt individuel. Je dois toutefois reconnaître que cet étonnement n'est que partiel : lorsqu'une cité semble se déliter, se séparer en groupes ethniques ou culturels distinct, les organes civiques apparaissent comme l'incarnation d'un pouvoir externe nuisible - et non plus comme l'outil de tous au service de tous. Mais en se focalisant sur cette symbolique fondée par la notion même de justice poliade, le problème le plus grave n'est-il pas la perte de vue de l'importance du travail fait ou pas par les avocats de la défense ? Il semble facile de donner l'image d'une magistrature debout en collusion avec la magistrature assise, d'une trahison de l'impartialité objective du tribunal, lorsqu'on ne se donne pas la peine d'examiner scrupuleusement les actes de ceux chargés de faire valoir les intérêts privés de l'affaire. Dire qu'il y a une preuve de collusion entre autorité de poursuite et autorité de jugement dans l'inefficacité mesurable des avocats de la défense n'est pas une démarche intellectuellement satisfaisante, à mon sens.
La commission qui rêve d'avancer « à grand pas » (dixit M. Fenech) me semble creuser des pistes intéressantes. Mais j'ai quelques appréhensions quant à son aptitude à proposer des solutions d'équilibre, alors même qu'elle parle d'équilibre entre défense et accusation. Ainsi, évoquant la garde à vue, elle semble empressée de permettre aux avocats une intervention dans le dossier à la nord-américaine (présence pendant toute la garde à vue). Mais elle ne semble guère attentive à la judicieuse remarque de Jean-Olivier Viout, procureur général près la cour d'appel de Lyon, lorsqu'il souligne qu'une telle approche devrait impliquer la présence coinjointe des avocats de la partie civile, faute de quoi on déséquilibrerait les intérêts de ces derniers. Et si on en venait là, on peut estimer que se passeraient dans les locaux de la police des éléments de procédure qui sont pourtant tout à fait de l'attribution du siege, voire du jugement. Le tribunal serait ainsi en déportation au commissariat.
Il est facile de jouer en grand seigneur, bon prince, très préoccupé par l'intérêt des mis en cause dans une procédure pénale sans se soucier des conséquences des solutions que l'on recommande sur les droits des victimes, lorsqu'on intervient suite à un échec judiciaire ayant peiné des innocents. On peut s'inquiéter d'une volonté d'avancer « à grand pas » en matière de droit pénal, alors que rien ne semble plus subtil que la recherche de l'équilibre entre droits des uns et des autres. Car oublier les victimes supposées n'est pas préférable à l'oubli de la présomption d'innocence. Espérons que la Commission n'attaquera pas le code de procédure pénale au marteau et au burin, car, même si certain de ses membres croient, et peut-être à raison, que « nos concitoyens attendent » une évolution à grand pas (dixit M. Fenech), le législateur reste aussi comptable des errances de la justice lorsqu'elle s'avère trop favorable aux mis en cause - et cela en dépit de ce que la foule mal informée exige à un instant précis.
Je partage la méfiance de Jean-Olivier Viout à l'égard du concept de « grand soir », nous pourrions nous mordre les doigts plus tard d'avoir une fois de plus créé un nouvel déséquilibre pour palier à un autre. L'humilité indique qu'il est préférable de régulièrement procéder à de léger ajustements, en fonction des résultats que l'on observe, plutôt qu'à croire qu'on détient la solution miracle auquel nul autre n'a pensé, plutôt qu'à croire que l'herbe est plus forcément verte ailleurs et que nous n'avons que des leçons à recevoir des justices d'autres pays. J'ajoute qu'il y a apparemment un bon nombre de propositions concrètes, déjà mises en application pour certaines, qui ressortent du propos de Jean-Olivier Viout.
Écoutons les modérés qui font évoluer à petit pas plutôt que les excités qui parlent de révolution en marche forcée !
Mise-à-jour à 19h: Ils ont soif ces élus réunis en commission ! Et, selon toutes apparences, sur la chaîne LCP, on ne s'empresse pas de rendre méconnaissables les marques, car on peut facilement identifier la marque des multiples bouteilles visibles. :^P