Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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De la cohérence des témoignages

mercredi VIII mars MMVI

« Jean-Luc Viaux, un expert psychologue mis en cause dans l'affaire de pédophilie d'Outreau, estime mardi avoir été "diabolisé" », nous dit aujourd'hui Reuters (lien). C'est lui qui déclara « Quand on paie des experts aux tarifs d'une femme de ménage, on a des expertises de femme de ménage ».

Aujourd'hui, il dit accuser le coup et affirme qu'il a « eu une phrase malheureuse, [...] détachée de son contexte ». La dépêche nous dit que « Pour son expertise proprement dite, qui concernait les quatre enfants du couple Badaoui-Delay, il a défendu son travail, estimant qu'on avait stigmatisé à tort une de ses conclusions ».

En particulier « l'expert a reconnu avoir utilisé la fonction 'copier-coller' » en disant que « Le traitement de texte existe. De même que les questions du juge sont les mêmes, les réponses sont les mêmes. Il nous semblait que les enfants étaient tous les quatre dans la même situation ».

La ligne de défense ce monsieur est donc l'affirmation de son incompétence et le danger qu'il constituait en tant qu'expert agréé auprès des tribunaux. Car si l'on pose quatre fois la même question à propos de quatre personnes différentes, c'est bien parce que l'on veut avoir quatre réponses individualisées, et non pas un prix de gros. Le formalisme imposant de donner à plein dans la paperasse n'existe pas par sadisme, mais bien parce qu'un procès pénal joue sur la vie des gens, qu'on ne peut se permettre, en dépit de ce que l'on pense de sa rémunération, d'être léger.

Cela est d'autant plus crucial que la cohérence des témoignages est un aspect auquel les tribunaux sont extrêmement sensibles, pour des raisons évidentes.

Certains l'ont bien compris. Dès lors qu'un procès concerne des jeunes manifestants, généralement l'incohérence des témoignages des policiers ayant procédé à l'interpellation est mise en avant. Ce n'est pas tout à fait par hasard, ça répond aux conseils que s'échangent entre eux les habitués d'une certaine délinquance politique, qu'on retrouve par exemple dans le « Guide des manifestant-es actif-ves » de Noborder (lien). Dans ce guide, il est dit que « Lors de votre passage chez le procureur, vous subirez un nouvel interrogatoire qui aboutira à un second procès-verbal. Il est très important que ce procès-verbal soit cohérent avec celui que vous avez fait au commissariat, ou qu'il le démente tout à fait formellement, sinon le juge vous coincera au tribunal en vous accusant de mentir. Si vous voulez démentir le procès-verbal policier, précisez-le bien et argumentez en expliquant la tension de la garde-à-vue, le fait que vous avez subi des pressions », puis qu'au procès « Avocat et équipe légale auront étudié le dossier en cherchant à amoindrir les dépositions des flics qui en général regorgent d'incohérences et de contradictions. [...] les avocats arrivent à montrer les incohérences parfois énormes, les contradictions recueillies dans les témoignages policiers ». Ledit guide n'est pas avare de détails et indique comment organiser sa défense : « il faut d'abord récupérer le dossier d'instruction au tribunal (par le biais de l'avocat), le lire de la première jusqu'à la dernière ligne, et accorder une attention particulière aux procès-verbaux (PV) des policiers témoins à charge contre vous. Vous devez les critiquer en contestant leur version des faits, d'abord mot-à-mot. C'est-à-dire que vous devez lire attentivement chacun des faits que le policier avance et y opposer votre version lorsque vous n'êtes pas d'accord. [...] S'il y a plusieurs PV policiers (c'est souvent le cas), vous devez les confronter entre eux afin de détecter des incohérences, voire des contradictions entre les déclarations des différents policiers ».

Si évidemment on ne peut considérer comme souhaitable que les rapports de différents policiers soient incohérents, à la rigueur cette incohérence semble plus saine, puisqu'elle reflète la plausible différence de souvenir et de perceptions d'un même évènement de la part de différents individus. Quelque part, on pourrait penser que la totale cohérence de témoignages est plus suspecte, qu'elle suggère la possibilité d'accords fait après coup sur la version à donner. Et il ne serait pas surprenant que cela se produise de plus en plus... Sachant que la défense d'un casseur tablera là-dessus (exemple récent : procès des jeunes interpellés lors des manifestations de lycéens en 2005), on peut s'attendre à une uniformisation des rapports concernant ledit casseur.

En histoire, on dit qu'il faut se méfier des dates et chiffres trop précis. L'excès de précision est parfois la marque de la dissimulation. La cohérence des témoignages est commode pour savoir si des faits se sont produits ou pas ; mais seulement tant que les témoins sont des individus désorganisés.


Hors-sujet : cet aprèm est passé sur « Planète Choc » l'épisode de l'émission « Frères ennemis » produite par France 2, qui n'est jamais passée sur France 2 sauf erreur de ma part. Cet émission met en rapport une militante FN et une famille d'origine algérienne, les seconds hébergeant la première dans leur maison. Cette émission vaut le détour. Cette famille d'origine algérienne, selon moi, incarne vraiment la France tel qu'un Fustel de Coulanges l'aurait décrite, des Français de coeur, aussi Français avec leurs coutumes algériennes que les Alsaciens pouvaient l'être avec leur langue germanique. C'est émouvant. Ils ont toute ma sympathie.

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