Marche silencieuse (virtuelle) pour les victimes
samedi V novembre MMVComme tout le monde, je trouve très triste que de jeunes gens soient décédés en entrant dans un transformateur électrique, passant outre les instructions indiquant le danger de mort constitué par ces transformateurs.
Comme bien d'autres, je trouve que le fait que des gens aient eu peur de policiers, d'un contrôle de police, au point de mettre leur vie en péril, inquiétant. Toutefois, à ce fait (cette peur), je n'associe aucun présupposés ; en particulier, je ne présuppose pas que cela soit dû aux policiers (ce qui impliquerait qu'ils aient exercé une contrainte *), à leur image plutôt, image qui n'est pas de leur seule responsabilité, loin de là.
Pour certains, en l'occurrence des journalistes de Libération qui prétendent faire parler « les jeunes des cités » (« les » écrivent-ils, et non « des »), « le « manque de respect » du ministre est à l'origine des troubles » (Libération, 07 novembre 2005, lien ).
Mais est-il acceptable, dans une démocratie, que des individus qui ne se sentent pas respectés détruisent les biens de la communauté (tels des bus, bureaux de poste, etc) comme ceux des particuliers (véhicules personnels, etc) et attentent à la vie d'autres citoyens (tirs à balles réelles sur des véhicules de police ; mais aussi engins incendiaires lancés contre des bus de transports public en service). Acceptable, non, je crois que tout le monde, ou presque, s'accordera à le dire.
Est-ce compréhensible ? On peut certes comprendre que des jeunes proches des deux défunts aient pu, par rage, sans intelligence, taper sur tout ce qui bouge. On pourrait même, si on devait les juger, se poser la question de « l'abolition de leur discernement ou contrôle de leurs actes », en terme de responsabilité pénale. Mais on ne parle là que d'une poignée de personnes, voire d'un quartier au pire. Rien de l'ampleur des émeutes actuelles. Alors quelles sont-elles, les justifications des émeutes qui se produisent hors du quartier de l'incident ?
Qu'on apprécie le ministre de l'Intérieur ou pas, peut-on accepter que des émeutes décident de l'avenir politique de la Nation ? La Nation est-elle une jungle ou le plus fort devrait, par la force, dans la rue, imposer des choix politiques ? Allons-nous jeter à la poubelle nos procédés traditionnels (peu en vogue, vu l'abstentionnisme, il est vrai) garants de la démocratie, c'est à dire garants d'une égalité de droit entre citoyens ?
Si je devais faire une marche silencieuse, ce ne serait pas pour les deux jeunes défunts. Leur mort est très triste, je comprend la douleur des familles. Mais il arrive tous les jours que des jeunes se tuent, pas inconscience, par accident. Par contre, il n'arrive pas tous les jours qu'un père de famille soit battu à mort devant sa fille et sa femme parce qu'il prenait des photos, il n'arrive pas tout les jours qu'une femme soit grièvement brûlée par ce qu'elle prenait le bus dans une zone en ébullition -- et je ne parle pas des pertes matérielles de la Nation. Ces personnes là sont d'authentiques victimes de la connerie des autres.
Et s'il y a des actes qui me paraissent louables, ce ne sont certainement pas ceux qui consistent à détruire le bien commun et à délibérément mettre en péril la vie d'autrui, peu importe leur prétexte, peu importe leurs motivations ; non, ce sont ceux qui consistent à accepter un péril injuste pour le bien de la communauté. Je parle évidemment des actes des policiers, des pompiers et des chauffeurs de bus ; d'une manière générale, de tous ceux qui sont pris pour cibles, que ce soit leur boulot ou pas.
Ceux qui me connaissent penseront sans doute que mon point de vue n'est pas neutre. Non, il ne l'est pas, c'est vrai. Pourquoi le serait-il ? Il me semble néanmoins tout à fait objectif de constater qu'il y a des individus qui causent un tort important au reste de la société. Et c'est à nous, citoyens de gauche, de droite ou du milieu (peu importe), de faire front, avant que les extrêmes de gauche et de droite, en manipulant les plus malléables des citoyens, provoquent l'effondrement de notre société ; société imparfaite mais néanmoins humaine et doté de rouages démocratiques.
Nous savons ce que nous pouvons perdre, une démocratie imparfaite mais réelle, qui après tout dépend avant tout des citoyens, nous ne savons pas ce que l'on peut gagner d'une révolution. Historiquement, rares sont les révolutions qui ne s'accompagnent pas d'effusions incontrôlées de sang. Et si on y pense bien, les apports de la Révolution française, à titre d'exemple, furent avant-tout développés intellectuellement, sur papier, et non pas trouvé sur le tas entre deux décapitations.
(* La contrainte : en droit pénal, on considère qu'il y a 4 formes de contrainte, dont 3 seulement provoquent une irresponsabilité pénale. C'est à dire que seulement 3 de ces contraintes permettent de considérer qu'un individu n'est pas responsable de ses actes. Il existe la contrainte physique externe, où l'individu se retrouve physiquement contraint par un élément externe à sa personne (ex : cycliste enfermé dans un peloton renversant un policier, père de famille ne remettant pas son enfant mineur à son ex-femme en raison d'intempéries d'une rare violence) ; la contrainte physique interne, où l'individu se retrouve physiquement contraint par son propre organisme (ex : voyageur ayant dépassé sa gare de destination pris par le sommeil, cessation de paiement de pension alimentaire lié à une cessation complète d'activité pour cause de maladie cardiaque) ; la contrainte morale externe, où l'individu se retrouve moralement contraint par la crainte d'un mal imminent (ex : fermier ayant hébergé des rebelles du FLN sous la menace de mort pendant la guerre d'Algérie -- on note qu'il n'y a pas de contrainte morale externe lorsque l'idée de commettre l'acte est suggérée sans être véritablement imposée (ex : provocation policière en matière de stupéfiants)) ; la contrainte morale interne, où l'individu agi motivé par ses sentiments, opinions (ex : amour, haine, jalousie, refus d'un pharmacien de délivrer une pilule abortive par religion, refus d'hospitaliser un malade par croyance). La contrainte morale interne est irrecevable comme critère d'irresponsabilité. La peur, en tant que sentiment, est un argument irrecevable pour considérer les jeunes défunts comme irresponsable de ce qui leur est arrivé. C'est bien entendu selon les considérations du droit pénal ; ceci étant dit, quoi de plus logique que ces considérations ? Comme on peut raisonnablement le constater, la logique veut que les policiers concernés ne soient pas un seul instant inquiétés, car il n'a jamais été question de contrainte physique, car il n'a jamais été questions de menaces ; qu'ils aient effectivement poursuivi les victimes ou pas. Il est assez effarant que je n'ai pas été capable de trouver le raisonnement que je viens d'exposer dans le moindre article de presse. Peut-on, à l'heure actuelle, faire l'économie d'une réflexion de fond sur ce point, par exemple en contournant le problème comme l'ont fait les autorités en se focalisant sur le fait, presque hors-sujet, que les défunts n'aient pas été visés par le contrôle ?)