Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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L'oxymore du moment : discrimination positive

lundi VII mars MMV

La discrimination serait un moyen pragmatique de contribuer à l'égalité sociale. C'est un credo en vogue ces temps-ci. Credo importé d'outre-Atlantique avec fierté : c'est bien connu, les gens là-bas sont pragmatiques (c'est bien), au contraire de nous, qui serions idéologiques (c'est mal).

Moi je soutiens que l'idée de discrimination positive est une idée raciste reposant sur un malentendu.

Le malentendu, c'est de faire passer de l'enfoncement de portes ouvertes pour un programme politique. C'est par exemple dire que l'État va innover en favorisant des défavorisés. Il n'y a nulle innovation là dedans, toute l'idée de service public est là ; or en France on ne peut pas vraiment dire qu'il n'y a pas de service public. Ainsi, par le truchement des impôts, chaque citoyen participe à hauteur de ses moyens à l'existence d'un tel service public, service qui est là lorsqu'un citoyen est dans la défaveur d'un chômage qui se prolonge, d'une hospitalisation qui se produit, d'une agression qui le dépouille etc etc. Ainsi on se présente « pragmatique », le type qui s'encombre par l'esprit d'inutilités (un mec génial me souffle t-on à l'oreille dans l'audience), par distinction avec l'abruti « idéologique », le type qu'on peut soupçonner de sympathies nazies ou bolcheviques (car on aime réduire aux grands paradigmes criminels toute démarche guidée par un idéal). Ainsi on propose des politiques se voulant être égalitaire sans pour autant se réclamer d'un idéal : à quoi bon désirer favoriser une quelconque égalité, alors, sinon pour satisfaire des intérêts individuels ou grégaires très séculaires ?

Ce malentendu étant éclairci, en quoi la discrimination positive est-elle une didée raciste pour autant, vous demandez-vous ? Parce que, selon moi, elle implique un discours sur l'identité des individus qui place comme priorité une distinction en races. Si la discrimination positive n'était qu'affaire de favoriser le défavorisé selon des critères sociaux et économiques, le concept ne serait pas neuf... et on ne ressentirait même pas le besoin de parler de discrimination. Non, je constate que lorsque l'on parle de discrimination positive, on parle de quotas de personnes de couleur à la télé, de quotas de nord-africains embauchés. En bref, on raisonne sur des « races » (Mot qui gène un peu, non ? J'y reviendrais plus loin). Ce faisant, on entérine l'entrée d'un débat de races, un préliminaire pour un racisme brut de décoffrage prônant l'inégalité des races, dans le cadre de la réflexion sur les disparités sociales. Dit autrement, on camoufle la priorité du problème social constitué par le fort chômage de certaines populations en France par un problème de racisme. Et quand je parle de « certaines populations », je ne parle pas de groupe ethnique, de race, je parle bien d'ensembles de personnes qui ont comme caractéristiques communes le fait d'être pauvres, de vivre dans une jungle urbaine autrefois cité riante, d'avoir un niveau d'étude en conséquence. Parmi ces gens là, on trouve beaucoup d'immigrés ou d'enfants d'immigrés : évidemment, tout comme dans les statistiques de la délinquance, on trouve des pauvres qui ont des comportements de pauvres. Non pas que tous sont condamnés, non, mais évidemment il sont défavorisés. Et cela même lorsqu'ils sont français d'origine immémoriale. Comment une « discrimination positive » qui raisonne en termes de « races » peut-elle résoudre ce problème de défaveur social ? Pour donner dans le concret, que sont les effets prévisibles de loi de discrimination positive ? Untel est embauché et se trouve être noir : est-il valorisé sachant que le choix de sa candidature coïncide avec le besoin de son entreprise d'avoir son noir de service ? Untel autre noir contacte la même entreprise et n'est pas embauché : si ça se trouve, c'est parce qu'ils ont déjà leur noir de service, et hop le problème potentiel du racisme revient au galop. Untel autre blanc étant en concurrence avec le premier noir, celui qui fut embauché, étant d'ailleurs dans une situation sociale plus catastrophique et étant plus compétent pour l'emploi donné, a vu sa candidature déboutée : comment va t-il comprendre un refus motivé par le fait qu'il n'est malheureusement pas noir ? Ces cas de figure sont fictifs, évidemment. Mais je vois mal ce qui pourrait faire qu'ils ne deviennent pas réalité en établissant des quotas par la force de la loi. Un exemple moins fictif est donné par le cas d'Aïssa Dermouche, préfet de la République, mis en place alors que, peu de temps auparavant, le ministre de l'Intérieur en fonction (Nicolas Sarkozy), avait annoncé l'arrivée d'un « préfet musulman » sur France 2. Alors que selon toute vraisemblance Aïssa Dermouche ait la carrure, le parcours et la formation adaptée pour être préfet de la République, on nous l'annonce en termes ethniques, en confondant religion musulmane et culture nord-africaine au passage. Bref, ce préfet fut annoncé en termes racistes et je suis persuadé que des gens en France pensent que nous avons un préfet qui est là pour sa couleur de peau ou la religion que l'on lui attribue (je ne sais pas, personnellement, s'il est réellement musulman). Pire, nous avons un ministre de l'Intérieur qui a cru que le concept de « préfet musulman » n'était pas une injure à la Nation : ose t-on parler de préfet catholique, de préfet juif, ose t-on transformer le préfet, incarnation du gouvernement dans les régions, en représentant communautaire ? Tout ceci, décidément, fleure mauvais le racisme, la distinction à tout va des individus en fonction de leur religion ou de leur couleur de peau.

D'où vient la « discrimination positive » : de l'Amérique du Nord, appelée « affirmative action ». Comme les américains du nord sont loin, on peut facilement tout leur attribuer, même s'ils sont nombreux et apparemment pas si unis que cela. Pour ma part, pour consulter fréquemment des sites d'information anglophone (BBC en premier lieu) et regarder de nombreuses séries (dont le réalisme n'est pas démenti par les journaux) ayant trait à la justice aux États-Unis (Tribunal Central, New York Police Blues, the Practice, the Shield...), j'ai la nette impression que le monde anglophone est moins complexé par l'emploi du mot race appliqués aux humains. En France, on parle de tel délinquant à la peau mate ; on ne dit pas tel délinquant de « race blanche » par exemple. Ainsi, si on va sur le site du comté de Maricopa aux États-Unis, on constate qu'un certain Jullian B. Gonzales, accusé d'agissements criminels, est tout naturellement décrit comme de sexe masculin, aux yeux bruns, de race hispanique lien . Si on va consulter les avis de recherche du FBI, on apprend que tel individu non-identifié est lui de « race noire » lien . Si on se rend sur le site Internet de recherches criminelles de la police nationale (française), on constate que tel individu est décrit comme étant de « type nord africain » lien , tel autre comme étant de « type européen » lien . Or nous avons affaire exactement au même type de documents officiels. La chose me semble révélatrice. C'est un exemple, je pense que l'on peut en trouver de nombreux autres. Pourquoi aux États-Unis parle t-on de race à propos d'êtres humains ? À vrai dire, je pense que la question à poser est plutôt de savoir pourquoi nous, français, ne parlons pas -plus- de races. Sans avoir fait de recherches sur le sujet, je serais près à parier que cela date du fâcheux épisode de l'histoire européenne que ni les États-Unis ni le Royaume-Uni n'ont palpé de manière directe (après tout, ça ne s'est pas passé chez eux) du génocide nazi, interdisant de fait la réflexion en termes de races (quoi que certains phénomènes, tels Nation of Islam ou le Ku Klux Klan, devrait favoriser une réflexion sur la question), réflexion remise au goût du jour par les défenseurs, sans doute bien malgré eux, de la discrimination positive - l'enfer est pavé de bonnes intentions. Je formule là une hypothèse et je suis certain que l'élément suivant lien (que je n'ai malheureusement pas) confirmerait ou invaliderait mon propos. Les anglophones eux ne semblent pas en finir : il est envisagé au Royaume-Uni de séparer les garçons noirs des autres élèves pour améliorer leurs résultats scolaires, de l'avis de Commission pour l'Égalité Raciale (« Black boys may have to be separated from their classmates to help improve their school performance, says the Commission for Racial Equality »), cf lien . Un avant goût du travail que produira la « Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité » ? L'avenir nous le dira.

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