Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

.

Ici :

Ailleurs :

Vivre dans un État de droit

dimanche XXIII janvier MMV

Ce samedi soir, un documentaire de 55 minutes intitulé « Des gens comme nous » était diffusé sur France 3, ayant pour sujet sur des faits de violence policière en Seine-Saint-Denis.

Télérama estima ce documentaire de très bonne qualité (N° 2871, p. 89), lui attribuant deux T noirs (oui, je parle toujours de T noirs, habitude prise du temps des T blancs disparus depuis). Ainsi, nous apprenons que le documentaire porte sur « les meurtrissures d'hommes et de femmes qui veulent vivre dans un État de droit, leur combat contre les dérives de l'institution policière ».

Les faits évoqués dans le reportage sont inquiétants. Et ils ne peuvent être tout à fait basés sur des inventions. Il y a forcément une part de vérité dans les récits qui nous sont fait, la chose est palpable, il y a du avoir des bavures, des abus de pouvoir, des violences dépassant la règle de proportionnalité de la légitime défense. Pour autant, je ne peux me résoudre à exprimer un avis sur l'affaire, encore moins faire preuve d'empathie pour les victimes. Parce que je n'ai jamais vu dans ma vie un documentaire s'attacher à ce point à ne donner la parole qu'aux mêmes personnes. Tout vient des supposées victimes* : le récit des faits, le récit de la procédure judiciaire, les propos qui auraient été tenus par untel. Jamais, pas un seul instant, ne se déroule le moindre débat contradictoire. De la police, nous n'entendons pas la voix : en début de reportage, un policier dit que la Seine-Saint-Denis est une zone troublées ; en milieu de reportage, deux policiers (dont le grade même nous est inconnue ; gardiens de la paix ? brigadiers ? officiers ?) bafouillent deux mots sur la difficulté des choix à effectuer dans le cadre d'une intervention. Jamais, tout au long des 55 minutes, nous n'avons accès à la version de faits de la part des accusés.

Et si les accusés n'ont pas la parole, l'arbitre non plus. Apparemment, pour Télérama, les cours de justice sont des composants de « l'institution policière » (niant, de fait, l'impartialité des tribunaux de notre pays), ceux-ci étant également la cible des critiques du documentaire. Cible des critiques, on entendra jamais leur avis. On apprend leurs décisions de la bouche des victimes supposées*. On ne sait pas ce qui motive leurs décisions. Non, on ne fait qu'entendre l'avis des victimes supposées*, accusant les juges de couvrir les policiers. On évoque une question posée par tel juge (sans savoir s'il s'agit d'un juge d'instruction, d'ailleurs) qui s'avère déstabilisante pour la victime supposée* ; on relaye sans le moindre questionnement l'idée que l'objectif de la question est la déstabilisation de cette personne ; à aucun moment, on ne rappelle qu'un juge est là pour rechercher la manifestation de la vérité, même si cela peut heurter. Aussi, on nage dans la confusion la plus totale quant aux procédures en cours : telle victime supposée* est accusée d'outrage, tel policier accusé est mis en examen ; ces deux situations sont tout à fait différentes. L'existence de ces deux situations bien différentes semblent montrer que justice suit son cours équitablement, puisque il est flagrant que la justice ne dédaigne pas à poursuivre des policiers en cas d'accusation apparaissant fondée. Mais la voix off du documentaire, ne s'intéresse qu'au coût de la procédure judiciaire pour les victimes supposées* lorsqu'il est question de la mise en examen des policiers. Ça coûte cher en frais d'avocat, dit la voix off. Ça coûte cher, rappelle la voix off aux victimes supposées* qu'elle interviewe.

Si bien informés par les récits des victimes supposées*, guidés par la voix off, très brièvement, on entend ici parler d'une matraque que telle victime supposée* aurait eu en main, on entend ici parler du fait que telle victime supposée* aurait « touché des policiers », on entend ici parler du fait que telle victime supposée* aurait « poussé » telle autre personne. Mais rien n'est clair. On apprend ces choses au hasard, sans avoir les moyens de jauger leur importance. Les moyens nécessaires pour nous forger un avis ne nous sont pas donnés. Il y a des choses que l'on ne sait pas, des choses qu'on ne fait qu'entrevoir. Pourquoi ?

Selon Télérama, le documentaire est « fidèle à l'approche [de François Davisse], sensible des choses et des gens ». Cette sensibilité oublie t-elle que les personnes accusées pendant 55 minutes sans avoir le moindre droit de réponse sont aussi des « gens » ? Est-il légitime d'adopter une approche si farouchement accusatoire tout en dédaignant l'idée d'établir, de vérifier, les faits ? Que les récits soient authentiques ou pas, il est impensable de parler ici de justice, de démarche en faveur d'une logique de Droit ; pas de débat contradictoire, dédain le plus complet pour la parole de tribunaux, je doute qu'un juriste puisse cautionner cela. Pas plus qu'un historien ne le pourrait : aucun recoupement des sources n'est effectuée, le documentaire n'est rien de plus qu'un montage de témoignages oraux (les plus fragiles, intrinsèquement) - non, on ne peut prétendre faire de l'histoire ainsi. Comment qualifier ce documentaire ?

Si je n'oserais identifier ce documentaire (j'ose espérer -et je sais- que le journalisme et la sociologie ne se résument pas qu'à cela), je n'hésiterais pas à le qualifier : c'est le documentaire le plus lamentable que je n'ai jamais vu de toute ma vie. Et pourtant, j'ai vu plus d'un documentaire réalisé par TF1, c'est dire !

(* Si je parle de « supposées victimes », ce n'est pas pour nier à ces personnes la qualité de victime. C'est pour souligner le fait que je n'ai aucune certitudes quant aux faits, quant à leur qualification. Je ne peux avoir de telles certitudes car je n'ai connaissance d'aucune décision de justice au regard de leur affaire et ne peut donc que faire des suppositions.)

.

« 29 janvier, Toubon et internet   

    9 janvier, Sondages : prédire ou choisir ? »

Pseudonyme, nom :

Adresse (url, courriel) :

Titre du commentaire :

Commentaire :

Retour à l'index