Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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La presse sous pression ?

samedi V mai MMVII

Ces temps-ci, on aborde l'influence de certains candidats sur la presse.

Mais la presse a t-elle véritablement besoin d'être mise sous pression pour se montrer silencieuse sur certains thèmes ou, pire, sur certains aspects des thèmes qu'elle aborde effectivement ?

Si l'on croit Libération, « la justice française vient d'interdire toute velléité de camper un flic en cochon » condamnant « Jean-François Duval, dit Placid, [...] à 500 euros d'amende pour avoir dressé le portrait d'un policier doté d'un nez retroussé, aux narines très apparentes, susceptible de passer pour un groin » (lien).

« Placid a beau expliquer qu'il a toujours dessiné toutes sortes de personnages au nez retroussé ­ "c'est inconscient, sans intention de dessiner un cochon" ­, rien n'y fait. » nous dit Libération.

Libération disserte du droit de caricaturer, évoquant l'affaire des caricactures danoises de Mahomet. Mais Libération se garde bien de parler du contenu de l'arrêt de condamnation. Libération se garde bien de dire que le dessinateur Placid n'était en fait que poursuivi que pour complicité d'injure publique. Libération dit l'arrêt « caricatural » mais décrit Clément Schouler comme « condamné pour avoir "présenté de façon péremptoire comme établi un comportement reproché à l'ensemble de la police nationale" », phrase qui ne veut rien dire (on voit mal en quoi il serait repréhensible de présenter comme établi un comportement dores et déjà reproché, donc établi), sans signaler qu'il était lui poursuivi pour diffamation.

Que dit-il cet arrêt ? Qu'est-ce donc qui justifie une condamnation du point de vue de la cour d'Appel ?

Sur le dessin, qui n'est que le volet injure publique de la poursuite, il estime qu'il « présente le policier sous des traits particulièrement dégradants dont l'accumulation et le caractère outrancier participent d'une volonté délibérée de donner une image à la fois humiliante et terrifiante de la police ». Je vous laisse juge : lien

Il est dit aussi que celui-ci vise « l'institution de la police nationale dans son ensemble » vu l'emploi de « l'expression générale "que faire face à la police" ».

Mais l'essentiel, qu'occulte complètement libération, c'est le fait que ce dessin est « en totale contradiction avec le style de l'ouvrage qu'il entendait illustrer ; ouvrage dont il n'est pas contesté qu'il était dépourvu de toute vocation humoristique ou même pamphlétaire », « publié sous le timbre d'un syndicat de magistrats [...] dont il pouvait être attendu une plus grande retenue dans l'illustration du sujet traité ».

Aussi, si le juge Clément Schouler est condamné, c'est pour avoir écrit que « Les contrôles au faciès, bien que prohibés par la loi, sont non seulement monnaie courante mais se multiplient », propos jugé diffamatoire, volet qu'occulte complètement l'article de Libération.

La cour d'Appel rend son jugement « considérant que le propos prête à l'ensemble des services de police [...] la commission très répandue et croissante [...] de pratiques arbitraires et discriminatoires », imputant à la police « non des dysfonctionnements ponctuels [...] mais la commission délibérées et à grande échelle d'infraction pénale », « considérant que les éléments versés aux débats [...] s'il illustrent l'existence d'un débat sur la pratique des contrôles d'identités, n'établissent pour autant ni l'augmentation de pratiques discriminatoire en ce domaine, ni même la part très significative que représenteraient, selon ce passage, les pratiques illégales de la police, pratiques dont Clément Schouler lui-même prétend qu'il ne peut pas en rapporter la preuve, ni dès lors les chiffrer », « qu'à cet égard, le rapport de 2004 de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance et celui de la Commission nationale de déontologie de la sécurité pour 2005 [...] se bornent à faire état de plaintes de citoyens contre des fonctionnaires de police pour discrimination, mais n'apportent aucun élément démontrant la réalité et l'ampleur du phénomène dénoncé », ajoutant que « le propos [...] est d'autant moins légitime que [...] l'affirmation, énoncée au nom d'un syndicat de magistrats, est de nature à être perçue par le lecteur comme bénéficiant de la garantie d'exactitude s'attachant aux propos émanant de magistrats » (lien).

Taire l'essentiel d'une condamnation, voilà qui est grandiose, n'est-il pas ? Si l'on en croit Libération, un simple dessin fut condamné. Or, vu l'arrêt, nul n'aurait songé à condamner le même dessin s'il eut été publié dans un autre contexte, hors d'une publication se disant « guide juridique » avec la validation d'autorité d'un syndicat de magistrats. Peut-être qu'un chantier d'avenir pour la Justice est là : la publication immédiate des jugements rendus, via internet. C'est un principe de notre Justice d'être publique ; à quand une publicité adaptée aux moyens modernes de communication ? Peut-être que nous, citoyens, la comprendrions mieux, si la Justice se montrait à nous.

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« 13 mai, Du détournement des missions de service public   

    3 mai, Identité, nationalité : le point de vue de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris »

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