Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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Tempêtes, verres d'eau et contrôles d'identité, épisode 2

vendredi II mars MMVII

Dimanche dernier, j'évoquais le contrôle d'identité selon « dans la peau d'un noir », l'émission de Canal+, soulignant la dimension risible, à mon sens, de la vision des contrôles d'identité proposée par ladite émission. Je critiquais les propos infondés tenus dans cette émission, notamment en matière de procédure pénale. Je n'ai toutefois point pipé mot quant à mon point de vue très personnel sur le contrôle d'identité tel qu'il se pratique ou peut se pratiquer en France.

Je serais malhonnête si je prétendais n'avoir jamais ouï-dire qu'il arrive souvent que des fonctionnaires de police, généralement des Agents de Police Judiciaire à l'art. 20 du CPP sous le contrôle et la responsabilité d'un Officier de Police Judiciaire à l'art. 16 du CPP, ne cherchent qu'après contrôle la justification légale dudit contrôle (pour un détail des justifications légales possibles, cf le billet de dimanche dernier évoquant l'article 78-2 du CPP, lien), une évidente aberration, une atteinte à la liberté d'aller et venir des citoyens.

Cette atteinte est dommageable dans le sens où, bien évidemment, elle heurte le sens même de l'exercice d'une profession judiciaire, qui est de préserver des libertés civiles et non de les retirer. Cette atteinte est dommageable également en terme d'efficacité : toute procédure débutant sur un contrôle infondé en droit est susceptible, pour ne pas dire assurée, de se retrouver à la poubelle, quand bien même le contrôle aurait débouché sur le constat d'un problème bien réel en droit.

En bref, évidemment, agir en inconscience du cadre légal, c'est absurde, voire dangereux - l'accomplissement par un dépositaire de l'autorité publique d'un acte attentatoire à la liberté individuelle est prévu et réprimé par la loi pénale. Toutefois, il convient de reconnaître que le feu de l'action, les nécessités de situations parfois complexes, invitent parfois au flou relatif, peuvent provoquer l'erreur.

Voilà pour le volet légal. Mais la loi n'est qu'un état, qu'une actualité. C'est une prescription à temps, on ne saurait intelligemment la considérer immuable, car les hommes changent, les situations et mentalités changent - la loi est appelée à suivre le mouvement, à s'adapter, faute de quoi elle deviendrait elle même castratrice de libertés, par son ignorance des nécessités présentes ou par son décalage avec les moeurs du temps. On ne peut donc se contenter en toutes circonstances de se borner à faire l'état des lieux du présent, contenu de la loi. Sans en faire tabula rasa, table rase, il est parfois judicieux de faire l'effort de la repenser, de penser ses nécessités, ses effets, qu'ils soient vertueux ou vicieux.

Cet article 78-2 du CPP, à vrai dire, je le trouve logique, mais tout à la fois excessivement restrictif. Si l'on le respecte à la lettre, et c'est censé être le cas, il interdit tout contrôle purement discrétionnaire. Or, en terme de sécurité publique, il ne me parait pas extravagant de permettre à des fonctionnaires de police de procéder à un contrôle d'identité -c'est à dire de recueillir l'identité d'un individu attestée au moyen d'un document probant officiel (pièce fournie par une administration dotée d'une photographie), ou tout au moins d'un moyen de commencement de preuve d'identité- à leur simple initiative.

Je ne ressens nul drame à être identifié par un fonctionnaire, loyal serviteur de la Nation, dans mes déplacements. Je consens même, et je suis sur que c'est également votre cas, à m'identifier lorsque je signe un chèque bancaire dans un commerce, c'est à dire à présenter un document probant officiel, comme s'il s'agissait d'un contrôle d'identité, à une vendeuse ou caissière, une personne dépourvue de la moindre qualification légale, employée d'une société privée. C'est commode et ce n'est pas, à mon sens, un drame, à moins d'être obsédé par l'anonymat (et si tel est le cas, peut-être ne serait-il pas inintéressant de chercher l'origine d'une telle obsession). Je ne sens pas ma liberté d'aller et venir manifestement en péril.

Je reconnais toutefois que le statu quo permet de prévenir d'atteintes graves à la liberté d'aller et venir de la part d'éventuels fonctionnaires déloyaux envers la Nation et, par conséquent, leur uniforme, qui abuseraient de leur pouvoir en vue de pratiquer un certaine forme de harcèlement. Mais n'est-ce pas une attelle, une de plus, sur une jambe de bois ? C'est aussi vrai concernant l'idée de filmer les auditions de garde à vue, le temps et l'énergie dépensée à sur-encadrer l'ensemble des serviteurs de la Nation ne serait-elle pas mieux utilisée avec un peu plus de discrimination ? Est-il bon de toujours s'adapter au moins-disant, au plus malfaisant, de poser sur les bons les contraintes primordiales pour réduire le potentiel nuisible des mauvais ?

Je ne saurais répondre à présent à cette ultime interrogation.

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«  4 mars, Des mystères du syndicalisme des professions liées à la sécurité et la justice   

   25 février, Le contrôle d'identité dans la peau d'un noir de Canal + : alerte rouge de Météo France sur le verre d'eau »

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