Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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Du bon usage de la peine capitale

dimanche XXXI décembre MMVI

L'exécution de feu l'ex-dictateur Saddam Hussein provoque plus de bruits que je ne l'aurais parié.

Comme de bien entendu, au Proche Orient, la situation semble relativement confuse. Enfin, les articles qui en traitent semblent confus, à l'image de cette dépêche d'Euronews titrant « Réactions contrastées au Proche et au Moyen Orient après la mort de Saddam Hussein » en évoquant des scènes de joies dans les rues de Bagdad mises en comparaison avec des manifestations anti-américaines au Pakistan et en Syrie (lien, Euronews, 31 décembre 2006, 9h35), le tout dans un même et unique paragraphe, sans transition, comparant donc la réaction d'un peuple concerné avec les réactions de peuples participant à des manifestations anti-occidentales autant que faire se peut, à tout propos.

Plus étrange est le cas des belliqueux comme Silvio Berlusconi, « ardent partisan de l'intervention militaire aux côtés de Washington et Londres », déclarant que « la civilisation au nom de laquelle mon pays a décidé d'envoyer des soldats en Irak refuse le recours à la peine de mort, même pour un dictateur sanguinaire tel que Saddam » (lien, AP, 31 décembre 2006, 7h44). Considérant le nombre de victimes civiles causées par cette guerre, considérant également le nombre de soldats tués pendant ce conflit, le propos me semble indécent. La vie de Saddam Hussein vaudrait-elle plus que celle de tous ces civils et militaires morts dans un presque-anonymat ? Peut-on se déclarer opposé à la mort d'un homme décidée par une justice lorsqu'on a participé à la mort de milliers d'hommes décidée par des élus ? Si c'est cela la « civilisation », c'est une escroquerie.

Dans un sens fidèle à sa logique persistante d'amitié vis-à-vis des arabes les moins modérés, l'extrême-droite vogue sur sa galère toujours pourvue de rameurs aux motivations tout aussi ambiguës. Ainsi, pour le Front National, « l'élimination physique de Saddam Hussein est pire qu'un crime, c'est une faute », « une faute lourde dont la responsabilité retombera sur le monde occidental considéré par le monde arabe comme l'organisateur de cette justice de vainqueur » (lien, AFP, 30 décembre 2006, 12h41). En note liminaire, on remarque que le Front National n'a pas peur de se poser en émissaire « du monde arabe », nous déclarant comment ce monde comprend cette justice, une justice pourtant sous contrôle juridique irakien, c'est à dire sous contrôle d'arabes, en partant du principe qu'il existe un monde arabe homogène. Fort de café ! Mais le plus époustouflant réside dans la comparaison de cette prise de position avec la position générale du Front National qui consiste à demander le rétablissement de la peine de mort pour les crimes les plus graves (lien, AFP, 20 mai 2006, 16h05). Les faits pour lesquels Saddam Hussein a été condamné le font assurément entrer dans cette catégorie des crimes les plus graves. L'attitude du Front Nationale est de plus paradoxales, ceci invitant à penser qu'il ne s'agit que d'une prise de position de représentation, qui consiste à déverser une louche d'anti-américanisme (« L'impitoyable blocus américain de plus de dix ans a fait beaucoup plus de morts chez les civils irakiens que n'en a fait Saddam Hussein, qui était l'allié et même l'ami des dirigeants occidentaux »), ça ne coûte pas cher, et à coller une droite à Jacques Chirac (« le silence de Jacques Chirac est véritablement assourdissant »), en bref, de tirer sur des ambulances aux pneus déjà crevés, le tout permettant de cultiver l'image d'un rebelle qui va au fond des choses. Un contestataire, en somme, un type dont la gloire est de n'avoir jamais eu de responsabilités. En tout cas aucune dont on se souvient. En creusant, on peut facilement trouver du « J'ai torturé parce qu'il fallait le faire » (lien), propos que je peux comprendre, propos qui devrait néanmoins lui rappeler qu'il est plus facile d'être passif observateur critique qu'actif.

À coté de cela ont lieu les débats sur le moment de la mise à mort. Le problème s'était déjà posé lors de l'assassinat de René Bousquet (lien), il est certain que lorsqu'on exécute un individu, cela coupe court à toutes poursuites éventuelles sur des faits encore non jugés. La mort du mis en cause fait passer le thème du champ judiciaire au champ historique. Je ne sais pas si c'est dramatique, je pense qu'en la matière les Irakiens étaient en droit de trancher. Dans un autre registre, cette actualité nous invite à penser à notre président de la République et sa volonté de donner force constitutionnelle à l'abolition de la peine de mort. J'aurais du mal à ne pas croire que ce n'est pas dans le but de travestir son histoire, sachant que d'ici 10 ans, dans les manuels d'histoire pour collégiens, on ne trouvera que deux lignes à son sujet, dont une évoquant d'un tel changement s'il parvenait à le réaliser. Le président des affaires ayant fait autant de mal à la Vème République que des Stavisky (lien) en ont fait à la IIIème, il devient urgent de transcender l'image bonhomme qu'ont donné de lui, à leur insu, les Guignols de l'Info (lien), lorsqu'il était question de « manger des pommes », de partager les fruits de la croissance, dont en fait la Nation n'a vu que les trognons. Je me demande d'ailleurs si la France sincèrement gaulliste n'a pas commis une erreur majeure en 1995 en choisissant Jacques Chirac contre Edouard Balladur et Nicolas Sarkozy (lien). C'est une interrogation. Car il semblerait que nous ayons, en fait, bénéficié à la fois du programme établissant la technocratie européenne au dépend des démocraties nationales voulu par Balladur (l'antithèse du projet gaulliste), à la fois de l'omniprésence étouffante de l'amateur de bons dîners au frais de la Nation - et pourtant, les deux ont perdu l'élection de 1995, ce qui laisse le champ libre aux hypothèses concernant la finesse d'esprit des vainqueurs de 1995. Quoi qu'il en soit, si le président de la République actuel décide d'une modification de la Constitution, je doute qu'il ose passer par la voie du référendum (« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum », lien), sans doute passera t-il par le Parlement (« La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum. Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. »), s'étant souvent montré favorable aux passage par voies détournées, faisant de la Vème République qui réservait de larges pouvoirs au président, voulu par de Gaulle insatisfait de la IVème car plus restrictive en la matière, une poubelle de détournements, au point que le candidat probable de son propre parti, Nicolas Sarkozy, déclare être favorable à la suppression de l'article 49-3 (permettant de passer un texte loi en force, abolissant la séparation des pouvoirs, à l'instar du fonctionnement habituel de l'Union Européenne où le conseil des ministres légifère grosso-modo) et de la grâce présidentielle (devenu outil de non-droit lien).

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   30 décembre, Tous les citoyens naissent égaux en droits, jusqu'à se rendre à la caisse primaire d'assurance maladie »

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