Responsabilité individuelle, responsabilité commune, terrorisme
vendredi XV septembre MMVILa France étant désormais officiellement cible de terroristes islamistes (un fait guère innovant en soi : GIA, FIS, etc), j'échappe difficilement à la tentation d'aborder le sujet.
Évoquons en premier lieu le terme terroriste. Les terroristes sont les résistants des autres, entend t-on parfois. Les Nazis traitaient de terroriste notre Résistance, croit-on bon de signaler. C'est vrai, notre Résistance a parfois adopté des logiques terroristes. Non pas dans le fait de pratiquer des actions de guérilla, par exemple d'attaquer des soldats ennemis circulant dans le maquis : considérer cette guérilla comme terrorisme reviendrait à estimer que tout ceux qui ne peuvent s'organiser en armée régulière n'ont plus le droit de se battre pour leur pays. Mais dans le fait de parfois, au cours d'actions militaires, jouer de la confusion avec les civils. Il s'agissait, par exemple, après avoir tiré sur des soldats, de se cacher dans un village. Tout ce qui aboli la frontière en civil et militaire crée de la terreur, dans le sens où si l'attaque peut venir de partout, tout est donc ennemi. La Seconde Guerre Mondiale fut la grande époque de la criminelle transformation du civil en « ennemi non-combattant », de la très douteuse doctrine de l' « Air Power », avec tout ce que ça implique de dégâts collatéraux. Notre Résistance fit parfois pire que simple actions de guérilla classique, elle attaqua notamment des soldats allemands au repos, réalisant des opérations sans but stratégique autre que de terroriser l'Occupant. Néanmoins, notre Résistance ne prit pas pour habitude de tuer des civils allemands en masse et de manière indiscriminée, dans des opérations dépourvues d'objectif stratégique (économique ou militaire). En ce sens, elle fut essentiellement une guérilla, et non pas une entreprise terroriste, même si l'Occupant avait toutes les raisons de la qualifier péjorativement, même si dans des cas d'une grande rareté la limite du terrorisme fut franchie.
Qui est responsable du terrorisme ? Est-ce celui qui crée les conditions du terrorisme ou est-ce le terroriste ?
De prime abord, j'aurais envie de suivre le propos que je rencontre régulièrement ci et là sur internet : celui qui crée les conditions du terrorisme en est, au minimum, partiellement responsable. Une nation qui affame une autre, une nation qui agresse régulièrement une autre, notamment dans le cadre d'opérations militaires à fort taux de dommages collatéraux, assurément crée un contexte favorable à l'émergence du terrorisme. Se trouvent des individus qui n'ont plus rien à perdre, ayant vu leur femme ou parents mourir dans d'atroces conditions, leur pays saccagé. Ils n'ont plus rien à perdre et, de plus, ils ont un ennemi tout désigné à qui reprocher l'ensemble de leurs problèmes - y compris des problèmes préexistants au conflit armé. On comprend vite ce qui peut pousser à une logique nihiliste et haineuse : la destruction et la haine, ils la vivent, ils vont donc la reproduire. Ce cheminement n'est pas illogique. Un soldat nord-américain, dans un documentaire diffusé l'an passé sur France 2 montrant la vie au fil des mois d'une division perdue dans le conflit irakien, ne disait pas autre chose. « Le seul allié indispensable d'al-Qaida, c'est la politique étrangère américaine envers le monde islamique », nous dit un très jeune retraité de la CIA, Michael Scheuer (lien).
Mais comprendre n'est pas justifier. Une chose n'est pas juste sous prétexte qu'elle s'explique, qu'elle n'est pas fondamentalement surprenante ou illogique. Sinon, on en arriverait à justifier même le plus ignoble. On justifierait, par exemple, le massacre d'Oradour-sur-Glane par la division Das Reich de la Waffen SS. Cette division avait largement combattu sur le Front Est, y avait connu et pratiqué des méthodes particulières ignobles aux détriment des populations. Elle partait de nord-ouest de Bordeaux pour se rendre sur le front crée par le D-Day. Dans un contexte d'harcèlement de la part de la Résistance, la méthode appliquée fut de trucider des civils, au hasard, en masse, de manière indiscriminée. Rien dans tout ceci n'était surprenant ou illogique de la part de cette armée, c'était quasiment attendu de sa part. Et ce massacre, ce crime de guerre, qu'on peut très bien expliquer, c'est du terrorisme, qu'on ne saurait justifier sans perdre une part de notre humanité.
On peut décerner des responsabilités communes. Dire que les Résistants étaient responsables des crimes qu'autrui commettraient s'ils les attaquaient. Dire que les Nazis ayant décidé de ce crime n'étaient finalement pas responsables individuellement mais collectivement, car c'était les conditions qui avait fait d'eux de tels monstres. Mais en quoi ce sens large de la responsabilité permet-il une condamnation ?
Ce n'est pas que je veuille à tout prix condamner pour condamner. Mais je ne vois pas ce qui pourrait permettre d'éviter de tels crimes, et c'est, à mon avis, pourtant l'essentiel. Je ne crois pas qu'il suffise de dire que nous allons supprimer les conditions de cette criminalité en masse. Tout d'abord, nous ne saurions comment faire - d'autant plus qu'il n'est pas facile d'associer tous les terrorismes à un contexte tel que décrit plus haut (les Algériens sont autonomes depuis 40 ans : quand donc aurons-nous la paix ? Est-ce si récent que l'Afrique est sous-developpée par rapport à l'Europe, où est-ce par ce qu'elle était sous-développée qu'elle fut colonisée ?). Ensuite, cela ne nous apporte aucune garantie, car cela repose sur l'idée que n'existent pas des structures mentales poussant certains au crime, car cela repose sur l'idée que la responsabilité individuelle n'existe pas.
Vous imaginez-vous, vous, vous ceinturer d'explosifs et vous dire demain matin, je vais tuer un maximum de femmes, d'enfants, de grands-pères, dans des conditions ignobles, ou encore demain, je vais entrer dans un village avec un pistolet-mitrailleur en bandoulière, je vais abattre tous ses habitants, de sang froid ? Pas moi. Je ne suis pas dans les conditions des terroristes. C'est vrai. Mais est-ce que leurs conditions, où il est vrai l'humanité semble faire défaut, justifient qu'eux aussi participent à ce processeur de déshumanisation ? Est-ce qu'il suffit de constater que l'humanité est devenue ignoble pour se dire qu'il n'y a pas de problème à ce qu'on soit soi-même ignoble ? Est-ce qu'il suffit de constater un problème pour s'arroger le droit d'y contribuer ?
Si on veut expliquer un phénomène, il ne sert à rien de le juger. C'est vrai. Mais le terrorisme est une actualité, on ne peut se contenter de l'observer en chercheur en sciences humaines. En tant que citoyen, si on ne veut pas d'un monde où la vie d'un civil vaut moins qu'une cause politique, on doit s'y opposer, s'y opposer sans bémol.