Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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La détention préventive provisoirement + Un catalogue, je vais faire un catalogue

mardi VII février MMVI

Deux billets pour le prix d'un aujourd'hui !


Depuis 2000, on ne parle plus de détention préventive mais de détention provisoire, au nom de la présomption d'innocence. De la même manière, on ne parle plus d'inculpation mais de mise en examen.

Ces changements se justifient par l'idée qu'une mesure de justice qui prévient suggère que la culpabilité n'est plus douteuse et que, de même, si on inculpe, on attribue une culpabilité.

Cependant, ces changements de termes n'ont pas d'incidence réelle sur le sens des actes qu'ils recouvrent. La mise en examen se fait nécessairement à l'encontre d'une personne contre laquelle il existe des indices caractérisés (graves et concordants) laissant présumer qu'elle a participé, comme auteur ou complice, aux faits visés par l'information judiciaire. La détention provisoire ne peut intervenir que pour préserver les preuves, empêcher des pressions sur des témoins ou des victimes, ou encore une concertation frauduleuse entre le mis en examen et ses complices ; assurer la protection du mis en examen ou son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement ; lorsqu'une peine de 10 ans ou plus est encourue : de mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé.

Vu les conditions de la mise en examen et du placement en détention provisoire, le moins que l'on puisse dire est que ces choses là ne devraient jamais arriver à l'encontre d'un individu qu'on ne présume pas coupable. Sinon, ce serait un parfait scandale.

Et là se trouve le noeud du problème selon moi.

Il est capital pour la justice d'un État de droit de considérer que nul n'est considéré pénalement coupable sans avoir été condamné par une juridiction pénale : sinon, la porte est ouverte au lynchage et la simple accusation se transformerait en condamnation de fait. Il est capital que le doute profite toujours à l'accusé, et que ainsi on rappelle aux jurés que celui qu'ils vont juger est innocent jusqu'à preuve du contraire : car la mission de protection des libertés civiles est la raison d'être de la répression pénale, on ne saurait peiner un innocent.

Mais aussi vrai que la présomption d'innocence est un principe fondamental pour le procès pénal, c'est bien la présomption de culpabilité qui elle seule peut justifier qu'on en arrive au procès pénal, aussi étrangement que cela puisse paraître. Car c'est bien parce que l'on présume qu'un individu est coupable que l'on peut se permettre de lui faire subir une garde à vue, des perquisitions, une détention provisoire. La loi sur la présomption d'innocence elle-même parle bien de présomption de culpabilité lorsqu'elle déclare que « la mise en examen ne soit possible que lors qu'existent contre une personne des indices graves et concordants laissant présumer qu'elle a participé, comme auteur ou comme complice, à une infraction » (lien).

Le terme détention provisoire n'est-il pas en partie un cache-sexe ? Provisoire pour quoi et vers quoi ?

La question est complexe. Je ne sais trop quoi en penser. Dans la balance, il y a d'un coté l'hypocrisie de la formulation actuelle qui dissimule le sens profond des pensées qui seules peuvent légitimer ces mesures gravement attentatoires à la liberté. De l'autre, il y a l'impérative nécessité de rappeler à tous que le doute doit systématiquement profiter à l'accusé.

À vrai dire, je serais plutôt favorable au statu quo pour la formulation hypocrite : admettons que ces termes ne recouvrent pas l'intention des magistrats, au moins ils recouvrent le sens pénal de ces mesures, leurs limites. Ces termes tendent vers la neutralité : cette neutralité ne serait pas tolérable si elle était à l'esprit de ceux qui décident de ces mesures (sinon ça voudrait dire qu'ils envoient en taule des individus gratuitement) ; mais cette neutralité est celle de la Justice qui ne s'est pas encore prononcée pénalement à l'occasion d'un procès.

Où voulais-je en venir, vous demandez-vous ? Plus ou moins nulle part.

Il me semble simplement bon de rappeler que si, évidemment, le principe de présomption d'innocence est capital pour le bon fonctionnement de notre Justice, il serait paradoxal de demander aux acteurs en amont du procès de la Justice de ne jamais présumer quelqu'un coupable. Car pour qu'un individu soit poursuivi de manière légitime, il faut nécessairement une telle présomption fondée sur des indices caractérisés.

Pour autant, cette présomption fondée sur des indices caractérisées ne saurait excuser que les acteurs de la Justice s'aveuglent et décident d'ignorer les éléments à décharge, qui de fait retirent les fondements de leur présomption.

En ce sens, une fois n'est pas coutume, mon propos est partiellement en faveur du juge Burgaud. C'est vrai qu'on ne peut sans doute pas lui reprocher d'avoir présumé des individus coupables, même si ça parait sacrilège à ceux qui observent les mécanismes judiciaire de loin. Par contre, on peut lui reprocher d'avoir délibérément ignoré les éléments à décharge qui lui étaient présentés, si ces faits sont avérés.

Les chambres de l'instruction prévues par Badinter en 1986 devaient mettre en place la collégialité des juges d'instruction. Par les temps qui courent, les objectifs de restrictions budgétaires ne permettront pas une collégialité systématisée. Néanmoins, dès lors qu'il est question de placer en détention des individus qui ne reconnaissent pas les faits, peut-être devrait-on exiger un collégialité en attribuant à un magistrat une priorité sur la preuve de la charge et à l'autre une priorité sur la preuve de la décharge. Étant tout deux magistrats, leur but serait la manifestation de la vérité et se devraient donc de collaborer - c'est à dire que l'un et l'autre ne devrait pas délibérément taire des éléments portés à leur connaissance servent à la tâche attribuée prioritairement à l'autre.

Une telle approche nous permettrait d'éviter que les dérives d'un juge unique, d'une procédure trop peu contradictoire au stade de l'instruction, tout en nous évitant également le tout accusatoire où ceux qui instruisent à charge et décharge ne collaborent pas mais s'opposent et ne sont pas dotés des mêmes moyens financiers.

Je dis là ce qui me passe par la tête, j'entends bien que c'est une pensée peu élaborée qui ne demande qu'à être développée.


Je vais faire un catalogue, disais-je... et ce catalogue porterait sur les infractions sexuelles criminelles qualifiées comme délit, pratique courante.

En théorie, cette qualification des faits erronée est injustifiable : s'il y a une classification pénale distinguant crimes et délits, c'est parce qu'on estime que les affaires graves doivent être jugées par la juridiction ayant un jury populaire, c'est à dire les Assises. Shunter le passage par les Assises consiste à retirer à cette juridiction un privilège qui est normalement le sien.

La justification pratique de cette mauvaise qualification se fait sur la lenteur de la Justice. Les délais des audiences correctionnelles sont moindres. Et cette justification prend pour caution l'accord préalable du parquet et des parties civiles.

Dans l'affaire du jour, le tribunal correctionnel de Soisson condamne un jeune homme à 4 d'emprisonnement pour agressions sexuelles sur mineur (L'Union, 7 février 2006 lien).

Et on constate que le parquet considère le condamné coupable (il « savait parfaitement ce qu'il faisait », « à la personnalité cachée »).

Et on constate que la partie civile ne considère par les faits comme des attouchements mais comme un viol. Ainsi « si l'auteur - au cours de l'enquête - reconnaît les attouchements, il conteste avec vigueur toute pénétration. Ce n'est pas le sentiment de la fillette qui, à deux reprises, prétend avoir été violée. ».

Mais la Justice ne pourra jamais trancher sur cette question, le tribunal correctionnel ne pouvant connaître de crimes, qui devrait normalement, selon le droit, se reconnaître incompétent et laisser la juridiction criminelle étudier l'affaire.

Mise-à-jour du 2 mars : En fait, en 2004, le législateur a, loi dite Perben II, dixit le BO du ministère de la Justice, consacrée la correctionnalisation judiciaire (lien). Je n'adhère pas.

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