Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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Amnistie nationale

jeudi VII avril MMV

Plus le temps passe et plus les productions d'Amnesty International concernant la France me suggèrent un bien triste constat concernant cette association. À vrai dire, je suis amené à penser que si elle travaille à l'étranger comme elle travaille en France, il n'y a sans doute plus grand chose d'instructif à retirer de ses productions. Il est amusant de constater que certains milieux, prompts à demander la clémence de la justice pour des individus ayant commis des actes de délinquance pour leur profit, aspirent à une justice d'une sévérité exemplaire pour des individus ayant failli dans des activités au profit de la société.

Comme tous les ans, Amnesty International nous a pondu son rapport sur la police, montant en épingle une vingtaine de faits-divers s'étant produit ces dix dernières années -- vu le nombre d'affaires traitées par la police annuellement, certains pourront penser qu'en terme de représentativité, ce n'est sans doute que du vent.

Ne voulant pas me contenter des résumés des journaux (où l'on apprend en gros, que l'idée qu'il existe des « zones de non-droit » en France est le produit d'hallucinations collectives dont souffrent notamment les policiers), j'ai jeté un oeil au rapport en question, que l'on trouve sur le site de l'association lien

Le rapport est organisé de manière amusante : il part des conclusions et conclut par les faits. Les premières parties sont des présentations théoriques des supposées violences régulières de la police et de leur « impunité de fait » supposée. Ces premières parties se reposant sur les exemples donnés dans les parties suivantes.

C'est donc ces exemples qui attirent mon attention en premier lieu. Et sans vouloir lever tout suspense, je peux d'emblée vous dire qu'ils me semblent peu probant, finalement.

Cas 3.1 (je reprend la numérotation du rapport ; ce dernier n'a pas de numéros de page, du moins dans la version en ligne) : Un jeune à bord d'une voiture faisant partie d'un convoi forçant un barrage douanier reçut une balle perdue. La police reconnaît le coup de feu mortel comme « intempestif ». La famille de la victime, elle, ayant forcé le barrage, prétendit qu'il n'était pas assez visible que le barrage fut policier, en dépit des gyrophares et uniformes. L'accusé fut acquitté dans le doute, dans la mesure où il était parfaitement possible qu'il se soit senti en légitime défense, selon le rapport « qu'il avait légitimement cru sa vie menacée par les voitures qui accéléraient pour franchir le barrage ». Je suis d'accord pour dire qu'il s'agit d'un cas limite. Mais n'est-ce pas un principe de base du droit de considérer que le doute doit profiter à l'accusé ? Ou bien considère t-on, lorsqu'on est membre d'Amnesty International, que ce principe n'est bon que lorsque l'on est pas membre des forces de l'ordre ?

Cas 3.2 : D'emblée la présentation du cas part de déclarations théoriques sans fondements précis, ainsi nous apprenons « qu'il n'est pas exceptionnel, en France, de voir le ministère public prendre la défense des policiers et requérir l'acquittement ou une peine de principe ». La chose n'est pas exceptionnelle mais n'est pas spécifique aux policiers. Ainsi, il y a très peu de temps l'avocat général Yves Boivin avait déclaré, en cour d'assises d'appel, dans l'affaire Bouchard, « je n'ai aucune certitude, je n'ai pas de preuve. Quand on n'a pas de preuve, on ne condamne pas ». Ce second cas, c'est celui de la mort d'un chauffeur de taxi qui avait, dans un premier temps, échappé par la force à un contrôle de son horodateur en blessant délibérément un policier et, dans un second temps, résisté à une arrestation et fut abattu tentant de se saisir d'un objet dans sa veste (une bombe lacrymogène). Le policier, ayant dit avoir cru qu'il se saisissait d'une arme à feu, fut acquitté en cours d'assises. Amnesty International critique ce jugement, en disant par exemple que le policier devait ignorer que le chauffeur de taxi avait déjà délibérément blessé un policier lors d'un délit de fuite ; chose qui resterait à voir, car tel que les faits sont présentés, l'arrestation ne fut pas un contrôle de routine mais fut vraisemblablement réalisée suite à un signalement. Mais peut importent les faits : cet exemple ne peut servir l'argumentaire d'Amnesty International qui prétend qu'il y a une impunité de fait. Ce procès est allé aux Assises, plus haute juridiction répressive, et le policier fut innocenté par un jury populaire, et non pas par des policiers. Il n'y pas d'impunité car il n'y a pas de délit ni de crime.

Cas 3.3 : Ici la présentation du cas commence par une louche de mise en nuance intéressée. Ainsi on nous dit que la victime fut prise en chasse « semble-t-il pour des infractions au Code de la route ». Semble-t-il ? De toute façon, dès lors qu'il y a prise en chasse, il y a refus d'obtempérer (aggravé en l'occurrence). Chose qui se confirme quand plus loin on lit que la victime tente de forcer un barrage. Lors de cette tentative, deux agents de police tirent, le conducteur est tué d'une balle. L'autre passager est extrait avec violence du véhicule : il porte plainte pour tentative de meurtre et mauvais traitement. Il faut avoir l'esprit étrangement tourné pour exiger d'être traité avec la plus fine délicatesse lorsqu'on force des barrages de police, non ? Les deux policiers ont bénéficié d'un non lieu. Selon Amnesty International les membres de la famille de la victime « cinq années après l'homicide de leur fils, [...] ne savaient toujours pas pourquoi la justice avait décidé de ne pas poursuivre les policiers mis en cause ». Mais pourquoi ce rapport décide t-il de taire les motivations des différents organismes judiciaires intervenus dans l'affaire en faveur du non lieu (Cour de cassation etc...) ? La présentation de ce cas est partielle - sans doute partiale.

Cas 3.4 : La victime, cette fois, était en flagrant délit de vol (d'automobile). Un complice de la victime s'échappa en reversant un policier (à pied). Je cite le rapport pour décrire la suite (histoire que l'on ne puisse m'accuser de tourner les faits de façon biaisée) : « Pendant que le brigadier, toujours l'arme à la main, tentait de faire sortir Habib Ould Mohamed de la voiture, un coup est parti, blessant mortellement le jeune homme ». Le policier fut mis en examen pour homicide involontaire et condamné à trois ans de prison avec sursis. Ce jugement ne me choque pas - le rapport aurait été parfaitement honnête s'il avait comparé ce cas avec d'autres cas d'homicides involontaires n'impliquant pas de policiers. Par ailleurs, dans ce cas non plus on ne peut pas prétendre que la police couvre la police : les juges des tribunaux correctionnels sont indépendant de la police.

Cas 3.5 : Cas similaire au précédent : vol de voiture, tir confus, condamnation pour homicide involontaire. Même conclusions pour ma part.

Cas 4.1 : Il s'agit d'un jeune arrêté pour avoir attaqué et jeté des pierres sur des policiers, mort en garde à vue d'une crise d'asthme. Cet individu avait reçu des coups de matraque lors de son arrestation ; pour ma part, je ne me choque pas qu'un individu puisse recevoir des coups de matraques lors de son interpellation lorsque que ce dernier est en train de lancer des projectiles. Mais les policiers furent également accusés d'avoir frappé l'individu alors qu'il était déjà immobilisé, ce qui est évidemment injustifiable. Les preuves de la chose ayant été estimée insuffisantes, les policiers en question ont été condamnés à huit mois avec sursis. Ici encore, on retrouve un principe du droit : le doute doit bénéficier à l'accusé, on ne peut condamner à une lourde peine avec pour seule base de forts soupçons.

Cas 4.2 : Cas d'interpellation d'un individu souffrant de troubles mentaux particulièrement violent : « Mohamed Ali Saoud a relâché sa soeur après l'intervention d'un voisin, mais s'est ensuite emparé de son autre soeur qu'il a "tapée" [NDM : pourquoi l'auteur du rapport place t-il ici des guillemets ?] deux fois dans le dos avec la barre de fer », un policier « a eu le poignet fracturé [après une lutte] », « Mohamed Ali Saoud, à genoux et paniqué, a réussi à s'emparer de l'arme de service d'un policier. Plusieurs coups de feu ont été tiré au hasard dans la bagarre qui a suivi ; un policier à été touché [...], trois policiers ont été blessés avant que l'homme ne soit maîtrisé ». Par la suite, les pompiers se sont prioritairement occupé de soigner les policiers blessés et l'individu est décédé. Pour la famille, la police a usé de force excessive. Pour ma part, il me semble qu'une telle force fut induite par la rébellion d'une agressivité déconcertante de la victime. Il est possible de dire que les policiers et pompiers ont fait quelques erreurs ; il me parait difficile de dire que si on était à leur place on eut fait mieux. Bref, ce cas me semble bien facile à juger vu de loin ; bien difficile à gérer dans le feu de l'action.

Cas 4.3 : Cas d'un jeune boxeur amateur en état de rébellion décédé lors d'une interpellation musclée. Deux policiers ont été reconnus coupable d'homicide involontaire, condamné à une peine de sept mois avec sursis. Ce jugement fut confirmé en appel. Il n'y pas grand chose à commenter, la présentation du cas est pour le moins creuse. Là encore on ne peut accuser la police de se couvrir : il s'agit là de décisions de deux juridictions indépendantes de la police.

Cas 4.4 : Autre cas de rébellion, le concerné est décédé d'une malaise cardiaque après son interpellation. « L'autopsie n'a apparemment [NDM : pourquoi apparement ?] relevé aucune trace de lésion traumatique hormis celles liées aux tentatives pour le réanimer ». L'argument massue de l'auteur du rapport, c'est qu'un parent du défunt affirme que celui-ci fut victimes « d'actes de violence imputable aux policiers ». Trois paragraphes pour un exemple bien peu probant.

Cas 4.5 : Cas d'un sans-papier décédé lors de son renvoi forcé dans son pays d'origine, l'argentine. Une information fut ouverte au chef de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Le tout déboucha sur un non-lieu. Amnesty International cherche à savoir si les règles internationales - qui semblent en fait être des recommandations - ont été respectées. Je ne vois rien dans tout ceci de bien significatif.

Cas 5.2 (il n'y a pas de 5.1) : Cas de condamnation tardive de 5 policiers reconnus coupables de violences et sévices sexuels à l'encontre d'un trafiquant de stupéfiants. Les policiers en question ont tous été condamnés à de la prison ferme ; si la justice à tardé à donner son jugement (ce qui est un problème, nous sommes d'accord, mais ce problème n'est pas spécifique aux affaires impliquant des policiers), justice fut rendue.

Cas 5.3 : Cas d'un reconduit à la frontière accusant un policier de l'avoir blessé. Un non lieu fut rendu car « rien ne permettait de déterminer si ses blessures étaient la conséquence d'une arrestation agitée ou lui avait été infligées, comme il l'affirmait, à l'intérieur du poste de police ». Le doute bénéficie à l'accusé, n'est-il pas épatant que ce principe doivent être rappelé une fois encore ? Amnesty International désire t-il une remise en cause de ce principe ?

Cas 5.4 : Cas d'un voleur de voiture s'étant « débattu quand les policiers ont essayé de lui passer les menottes ». Deux policiers ont été reconnus coupables de « violences volontaires ». Que dire de ce cas ? Je n'en dirais rien. Je ne cautionnerais aucune violence excessive. Mais je ne vois pas bien comment on évalue la représentativité de cet exemple.

Cas 5.5 : Cas d'une affaire en cours ou un individu aura reçu des coups de matraque injustifiés. Les policiers responsables aurait déjà reçu un blâme. Beaucoup de bruit pour, ne semble t-il, des faits sans conséquences profondes.

Cas 5.6 : Cas d'une arrestation hasardeuse ou le chef de patrouille s'est distingué par son agressivité et son excitation, déjà évalué négativement en interne. Il fut reconnu coupable. Que prouve ce cas ? Qu'il existe des policiers qui dérapent, qu'il existent des mauvais policiers. Sur quelles bases peut-on généraliser cet exemple pour sous-entendre que tout contrôle qui dérapage est du aux policiers ? Aucune.

Cas 5.7 : Cas étrange d'un individu placé en garde à vue de manière abusive. Les responsables ont été suspendus. Je ne vois pas là une preuve d'injustice. Pour Amnesty International, le fait que la plainte déposée contre l'individu concerné fut jugée plus rapidement que la plainte déposée par lui. Si l'inverse s'était produit, il aurait été également possible pour Amnesty International de s'en choquer. Pour ma part, je m'en tiens au principe de droit : la justice doit faire en sorte de respecter autant que possible le principe de célérité, la justice doit conduire les procédures dans un délai raisonnable, rien de plus.

Cas 5.8 : Si vous avez compris de quoi il s'agit, qui est accusé de quoi précisément, faites-moi signe.

Cas 5.9 : Affaire récente, non jugée, dans laquelle un policier est accusé d'avoir frappé un demandeur d'asile lui même accusé de racketter d'autres demandeurs d'asile. Tout ici est dans le conditionnel, difficile de prendre cet épisode comme élément probant.

Cas 5.10 : Cas qui n'est pas un cas. Il s'agit de l'évocation d'un rapport général à propos de mesures de reconduite aux frontières.

De tout ces cas, je pense que trois éléments se distinguent. Tout d'abord, il est faux de dire que la « police couvre la police » (comme le disent les journaux commentant le rapport), puisque de nombreuses affaires sont passés entre les mains de la justice, hors du contrôle de la police. Ensuite, de nombreux cas évoqués sont des cas limites, des cas où il est plus facile de dire avec du recul ce qu'il aurait fallu faire dans l'idéal mais où il est bien difficile de dire ce qu'on l'on aurait fait, si on avait charge de maintenir l'ordre public. Finalement, le principe de droit qui fait que le doute doit bénéficier à l'accuser, car il vaut mieux un coupable en liberté qu'un innocent condamné, est régulièrement bafoué par le rapport.

Le rapport prétend que tout ceci est significatif d'une mentalité raciste. C'est pourtant le choix de l'auteur du rapport de ne traiter que des cas où le plaignant est d'origine immigrée. Par ailleurs, l'argument est tout aussi malhonnête que l'argument d'extrême droite disant que la délinquance est liée à l'immigration. Statistiquement, les gens d'origines immigrés sont dans des situations sociales et économiques défavorables ; ils sont donc, en toute logique, plus fréquemment que la moyenne de la population, aux prises avec la police, puisqu'il sont, plus que la moyenne de la population, amenés à la délinquance. Dans tout les cas présentés, une minorité n'était pas en infraction avérée. Même de ces cas choisis avec des pincettes il n'est pas possible de soutenir l'idée que les victimes l'ont principalement été du fait de leur origine, alors que leur point commun majeur est la délinquance violente.

Que veux Amnesty International :

7.a.1 : « Que l'interprétation des principes de "légitime défense" et d' "état de nécessité" ne soit pas favorable aux agents des forces de l'ordre ». Bref, au nom d'une vingtaine de faits-divers d'usage discutable de la force, il est question d'ôter à la police tout moyen d'agir par la force. Car la police ne peut recourir à la force qu'au nom de ces principes. Bref il est question d'établir un droit spécial pour la police défavorable à celle-ci. J'imagine avec amusement l'agression à coups de batte de base ball d'un membre d'Amnesty International, sous les yeux de policiers qui ne peuvent rien fait d'autre que dire à l'agresseur ce que vous faites est mal.

7.a.2 : « abroger ou modifier le décret [...] sur l'usage des armes à feu par la Gendarmerie nationale » alors qu'aucun cas de gendarme ayant utilisé son arme de manière condamnable n'a été pointé du doigt par le rapport.

7.b.4 : « tous les gardés à vue puissent contacter un avocat dès le début de leur garde à vue ». Cela signifie en gros donner cette possibilité aux accusés de terrorisme ou de criminalité organisée (car ce droit existe déjà pour tout les autres). Question de sens des priorités, sans aucun doute.

7.f.24 : « abroger le système de détermination de l'opportunité des poursuites judiciaires soit systématiquement engagées [...] dès lors qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'un acte illégal a été commis ». Belle blague, si on croit Debove et Falletti (Précis de droit pénal et de procédure pénale, PUF, Paris, 2001, p. 287-289), il n'y a pas classement sans suite par désintérêt du procureur de la République mais lorsque l'auteur des faits n'a pas être identifié, lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis ou en présence de cause d'extinction de l'action publique.

7.g.31 : « veiller à ce que les condamnations soient proportionnelles à la gravité des crimes commis » dans les affaires de graves violations des droits humains. Dans tout les exemples présentés, il n'y a principalement des délits (tel l'homicide involontaire). Par ailleurs, le principe de proportionnalité est un principe du droit. À quoi cela rime, d'exiger l'établissement d'un principe qui existe déjà, juste parce qu'on ne partage pas l'avis des juges ?

7.j.38 : « veiller à ce que les agents de la force publique soient formés aux normes juridiques nationales et internationales relatives à l'usage légitime et proportionnés de la force ». Idem, encore un propos basé sur le fait qu'une vision non partagée implique un manque d'éducation de l'autre.

Le reste n'est qu'étalage de principes déjà existant ou de voeux pieux théoriques déjà formulés un peu partout qui n'empêcheront jamais qu'il existe des mauvais policiers tout comme il existe de mauvais citoyens.

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