Justice ou pédagogie ?
samedi V février MMVHier soir sur France 2, une première dans l'histoire de la télévision française, était diffusé, en deuxième partie de soirée, le déroulement d'un procès à huis clos d'un mineur accusé d'agression sexuelle envers un autre mineur. Il s'agit d'une audience correctionnelle, l'agression sexuelle étant un délit ; bien que l'affaire jugée est une affaire de viol, une affaire criminelle donc.
Entrée en matière, on nous présente le procès comme une merveilleuse opération de pédagogie, « une belle leçon de pédagogie ». À croire que nous ne sommes pas dans une perspective pénale. Certes, le prévenu étant mineur, le procès se doit de placer parmi ses priorités sa réinsertion ; mais cela ne saurait justifier l'oubli de la nature même d'une juridiction correctionnelle (qui, je le rappelle, aurait sans doute du être criminelle).
Qui est l'accusé de ce procès ? Banal, selon le juge des enfants, est le manque de respect des jeunes les uns pour les autres. Banales sont les affaires de viols ou d'agressions sexuelles. Qui prétendrait le contraire ? Ce constat semble partagé par un nombre notable de professionnels de l'éducation. Mais est-ce acceptable de la part d'un magistrat du siège de dire, à l'occasion d'un procès pour viol, que l'auteur de l'infraction est avant tout une victime, victime parce qu'il n'a pas su comprendre qu'il commettait une infraction ? Si un magistrat du siège ne reconnaît pas à la victime le droit d'être reconnue comme la victime, s'il présente d'emblée l'auteur des faits comme une victime également, qui le fera ? Qui est la victime et qui est l'accusé de ce procès ? Est-ce le violeur qui est victime et la méchante société qui n'a pas appris à la victime à ne pas commettre de crime l'accusée ?
Cas d'école. Toujours selon ce même magistrat, revoyant les images filmées du procès un an après, l'accusé est « un cas d'école ». Du fait de la banalité des faits qui lui sont reprochés, il n'est qu'un parmi d'autres - il est, en quelque sorte, représentatif. Après avoir dit cela, exactement suite à ce propos, elle ajoute que, cependant, cet auteur de viol est, au contraire du cas général, « responsable » parce qu'il, selon elle, « n'essaye pas de mentir ». En d'autres termes, il n'est pas représentatif. Ce juge des enfants tient un discours contradictoire. Est-ce la preuve d'une lucidité sur le sujet qu'elle évoque ? Par extension, peut-on l'estimer réellement lucide lorsqu'elle pense que l'accusé est d'une honnêté parfaite ? Je vous laisse juge.
« Il ne comprend pas » ce qu'il a fait de mal, nous disent en coeur le juge des enfants et l'avocat de la défense. Il ne comprend pas en quoi il est condamnable de s'imposer aux femmes. Il n'a pas compris. Il n'a pas compris. Pourtant, il s'y est pris à trois reprises, pour en arriver au viol de sa victime. Pourtant, dans au moins deux cas, il a prémédité l'infraction qu'il allait réaliser. La seconde fois, n'ayant pas eu le temps de réaliser autre chose qu'une agression sexuelle, il avait néanmoins pris le soin de prévenir la victime, délicate attention, que la prochaine fois elle y passerait. Comment peut-on comprendre une menace de la part d'un individu qui ne comprendrait pas ce qu'il fait, qui ne comprendrait pas qu'il n'y a pas de consentement mutuel ? Par ailleurs, peut-on ignorer le fait qu'il fut déjà exclu de son collège pour un comportement particulièrement misogyne, chose dont il se vante. Peut-on considérer qu'il n'a aucune notion du bien et du mal, qu'il n'a jamais eu aucun indicateur à ce sujet ?
Juger selon la perception des faits du mis en cause. Doit-on, comme le propose l'avocat de la défense dans sa plaidoirie finale juger l'auteur de l'infraction « selon sa perception des faits », que la cour semble supposer très très limitée, au dépit des éléments tendant à prouver qu'il avait parfaitement conscience de nuire ? Ainsi, si demain matin vous ou moi décidions de commettre un homicide, pourrions-nous choisir comme ligne de défense le fait que nous n'avions pas culturellement les moyens de comprendre qu'il s'agit d'un crime, réclamer un droit à être jugé selon notre perception, une perception qui ignore le code pénal ? Certes, de nos jours, en vertu du principe de l'individualisation des peines, on juge moins le crime que le criminel. Certes, le juge pénal se doit de tenir compte « des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ». Mais on ne saurait confondre le fait de personnaliser la peine avec l'idée de juger selon la perception du coupable. Un crime reste un crime, même si son auteur ne le perçoit pas comme tel. Et un juge se doit de reconnaître un crime comme un crime, se doit de statuer sur la culpabilité du mis en cause, peu importe la perception du coupable. Que le mis en cause n'ait pas la sensation d'avoir commis un crime ne le rend pas moins coupable d'un crime ; par ailleurs, que cela soit motif légitime à alléger la sanction pénale n'est finalement pas tout à fait évident (un individu ne comprenant pas son tort n'est-il pas enclin à récidiver ?).
La victime est-elle sur le banc des accusés ? Si, comme je l'ai souligné précédemment, le discours du juge des enfants donne la fâcheuse impression que l'accusé est avant tout une victime, l'audition des parents de la victime donne la fâcheuse impression que la victime devrait être sur le banc des accusés. Elle n'a pas marqué assez nettement l'absence de consentement à avoir des relations sexuelles, nous dit-on. Le ministère public, heureusement, est là pour rappeler que, contrairement à l'adage, en droit français, qui ne dit mot ne consent pas. Le ministère public aurait pu (si cela fut fait, cela ne fut montré à aucun moment dans le documentaire) rappeler également qu'en matière d'infraction sexuelle, le code pénal estime que le consentement donné par un mineur ou un aliéné n'est pas donné librement, en connaissance de cause. Et finalement, il est tout à fait singulier que ce soit à l'avocat de la défense de prononcer le premier le mot de « sidération », c'est-à-dire à la dernière personne censé prendre la défense de la victime de rappeler une cause plus que probable de la difficulté de la victime à signifier plus fortement son non-consentement. Passée la question du consentement, l'audition des parents de la victime parait également mémorable. En interpellant littéralement les parents de la victime, la juge déclare que la victime avait « des traits dépressifs » avant les faits, qu'elle « semble dépressive », et la cause de cela est selon elle lié à « un manque d'information sur son père » (ce dernier ayant pris la poudre d'escampette lorsque la victime était très jeune). S'étonne t-on que la victime que l'on auditionne « semble dépressive » après avoir subi un viol ; s'étonne t-on que la victime avait des « traits dépressifs » avant l'agression alors que le tribunal à mis en lumière le fait que la victime avait connu précédemment une déception sentimentale ? En quoi la vie familiale de la victime peut elle être mise en rapport avec le crime commis (qualifié de délit, certes, mais un crime néanmoins) ? En quoi une démarche accusatoire de cette sorte contribue t-elle à la manifestation de la vérité ?
Le jugement. Le clou du spectacle, c'est bien entendu le jugement rendu. Ainsi, rendant son verdict, la juge des enfants nous explique que le mis en cause « comprend » qu'il a fait du mal, qu'il « n'est pas un danger » pour la société. Bien évidemment, ceci est en parfaite contradiction avec ce qui fut dit précédemment, avec les déclarations du mis en cause qui ont été montrée dans le documentaire. Le mis en cause est reconnu coupable (d'un crime ou d'un délit ?) et se voit condamné à un an ferme et trois ans de sursis probatoire (et non pas de suivi socio-judiciaire). Cette sanction pénale d'un an ferme, chose signalée d'emblée par la juge, peut, sous condition de bonne conduite, permettre au condamné de ne pas aller en prison du tout. Ainsi cette brave juge qui tout au long du reportage nous a parlé, en long et en large, de la société qui n'explique pas aux jeunes (à tous les jeunes ; oubliant qu'étrangement, sur le banc des accusés on ne trouve que très très rarement des jeunes filles) assez clairement ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, ce magistrat qui reproche à la société un manque de condamnation morale claire de tels agissements... condamne un mineur reconnu coupable de viol à une sanction pénale dans les faits dépourvue d'emprisonnement. Demain matin, l'individu reconnu coupable de viol, inconscient d'avoir commis une faute en commettant ce viol (chose répétée à maintes reprises lors du procès) sera dans la rue. Je n'ai pas l'impression que justice à été faite, je n'ai pas l'impression que l'intérêt de la victime et l'intérêt de la société ont été pris en compte. C'est peut-être une « belle leçon de pédagogie », pour reprendre les termes du présentateur de l'émission et de son invité. Cela n'apparaît en tout cas pas comme une belle leçon de justice.