Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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Le réalisme comme impasse, quand des idées d'extrême-gauche rencontrent un raisonnement de droite

jeudi XX juillet MMVI

Selon Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au Centre d'Études et de Recherches Internationales, « depuis qu'ils sont devenus des pays d'immigration, l'Espagne, l'Italie, le Portugal ou la Grèce ont été appelés à régulariser massivement. Les régularisations ne sont pas une affaire de droite ou de gauche, mais de réalisme politique » (lien).

Qu'est-ce donc que ce réalisme politique ? On apprend que « Une politique volontariste d'immigration est un sujet tabou à gauche. Il faut dire que pendant longtemps les syndicats, et avec eux la gauche, ont vu dans les immigrants des concurrents sur le marché de l'emploi », « les socialistes en particulier sont mal à l'aise et n'ont pas de position claire vis-à-vis de ces questions », « Cette mobilisation [Réseau éducation sans frontière, pronant l'obstruction à l'application des lois sur l'immigration] que l'on voit grandir se fonde sur une proximité avec l'étranger. Les gens ont pris conscience que l'étranger n'était ni un concurrent sur le marché du travail ni un clandestin, mais un voisin avec qui ils vivent », « Il y a une lente prise de conscience de l'absurdité de la fermeture des frontières à l'heure de la mondialisation ».

Première observation : dans cette lecture des faits, on ne s'encombre pas de rigueur. La mobilisation « Réseau éducation sans frontière » se fait aux profits d'étrangers entrés illégalement en France. Donc elle se fait aux profits de clandestin. Donc cette personne, directrice de recherche, n'est absolument pas rigoureuse lorsqu'elle dit le contraire, que « les gens ont pris conscience l'étranger n'était [pas] un clandestin » ; à moins que ce soit délibéré, politiquement, ce qui serait pire (déformer la description des faits conformément à une lecture politique d'une situation, ce n'est pas de la science mais du mauvais catéchisme).

Deuxième observation : il est apparemment reproché à une certaine gauche de ne pas se satisfaire de la mondialisation telle qu'elle se produit, de ne pas prendre l'évolution du monde, la réalité, comme une donnée intangible. Il est donc reproché à la gauche de ne pas être de droite (Philippe Bilger nous dit « La droite, c'est l'inverse. Le réel est tellement écouté, à ce point respecté dans sa finitude et l'enseignement qu'il apporte, qu'on a parfois l'impression d'une adhésion mécanique à ce qu'il est. On affirme qu'on souhaite modifier sa substance, réduire ses injustices mais au fond on n'est pas loin d'élaborer une politique qui s'adopte plus à lui qu'elle ne l'améliore » lien).

Troisième observation : il est signalé que la gauche, comprendre le PS, ne s'est pas clairement affiché en faveur de régularisations massives. Les socialistes sont « mal à l'aise », lit-on. Pourtant, quand Michel Rocard dit que « la France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part », le propos est limpide. Pourtant, Malek Boutih, dans son rapport « Une nouvelle politique de l'immigration », « condamne les régularisations de sans-papiers (1981, 1988, 1997), qui encouragent, selon le rapport, l'immigration irrégulière et la clandestinité » (lien). Si on en croit la directrice de recherche, ce serait naturel que la gauche se plie, au nom de la réalité, au pari que la régularisation massive est la solution. Mais apparemment tous les socialistes sont loin d'adhérer à cette vision des choses.

Quatrième observation : la directrice de recherche présente les régularisations comme un fait incontournable, citant l'Espagne, qui a effectué une telle régularisation en 2005. Pourquoi oublie t-elle de préciser qu'en 2006, en Espagne, selon un article publié dans Libération, intitulé « Madrid en état de guerre contre l'immigration », « le gouvernement espagnol avait décidé de marquer le coup la semaine dernière après plusieurs vagues successives de cayucos, ces pirogues de pêcheurs qui transportent clandestinement les candidats à l'immigration entre la Mauritanie ou le Sénégal et les Canaries », qu'il réclame «  en vain l'implication de l'Union européenne », que « jeudi dernier, les centres d'accueil ont été à nouveau débordés après l'arrivée de 600 personnes » (lien), ce qui met très largement en doute la pertinence des régularisations ?

Conclusion : en fait de diriger des recherches, on trouve là une supplique pour que la gauche se mette à adopter une idée d'extrême-gauche, celle de la régularisation massive, selon un raisonnement de droite, le prétexte que la réalité impose de se satisfaire de la mondialisation telle qu'elle se produit.

Épilogue : parfois, quand je vois que des pontes du PS se mettent à donner dans les « parrainages républicains » antisociaux, je me demande si je suis encore de gauche. J'apprécie Léon Blum, ce courage permettant de faire appliquer des revendications de longue date tout en osant lancer de grands programmes d'armement en étant lucide sur la situation géopolitique, mais je ne le retrouve plus dans la gauche française. Néanmoins, je ne saurais me satisfaire du parti de Nicolas Sarkozy qui donne dans le libéralisme sabordant les Institutions, Institutions qui à mes yeux sont ce qui donne sens à notre devise « Liberté, Égalité, Fraternité » - une devise qu'au nom de la réalité nous devrions peut-être oublier. J'ai l'impression que le PS, en plus de parfois jongler avec des idées extrêmes, se met à adopter des comportements d'extrême-gauche, en abandonnant le respect des Lois et des Institutions, peut-être du fait de la proximité avec les Verts (concernant ces derniers, je crois qu'il est clair que le vert était un voile pour faire passer le rouge). Je crois que ce n'est finalement pas si étonnant que des hommes de gauche en apparence virent à droite, tel Max Gallo (lien) : la gauche chavire. D'un coté elle prend une couleur libérale, lorsqu'elle se dit impuissante face à la mondialisation (qui dans sa forme actuelle est loin d'être porteuse des rêves d'harmonie sociale), de l'autre elle se met à soutenir des modes d'actions politiques révolutionnaires, se discréditant dans ses mandats présent et à venir (« Nous parlerons contre les lois insensées jusqu'à ce qu'on les réforme; et, en attendant, nous nous y soumettrons. Celui qui, de son autorité privée, enfreint une mauvaise loi, autorise tout autre à enfreindre les bonnes », Diderot).

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« 21 juillet, Un salaire bien particulier   

   18 juillet, Une présomption défavorable ? »

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Quelques mois après :

« Immigration clandestine : «On est en plein chaos»

Pour la première fois, le gouvernement Zapatero parle de tolérance zéro à l'égard des milliers d'immigrés africains qui arrivent dans l'archipel des Canaries...
Après de telles déferlantes de clandestins, il fallait s'attendre que le discours vire à la fermeté, même si j'y vois davantage un aveu d'impuissance. Le gouvernement a une marge de manoeuvre très faible. Comment empêcher d'innombrables désespérés de risquer leur vie pour rejoindre le prétendu eldorado européen [...] ».

On peut juger sur pièce du « réalisme politique » recommandé par de Witohld.

Posté le 6.09.2006 à 18h05 par Marcel Patoulatchi (auteur du blog)
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