Furie médiatique et léthargie judiciaire
mardi XIV août MMVIIEn août dernier (en 2006), je n'avais de mots assez dur pour l'attitude de ces avocats qui, fidèlement au conseil de Jacques Verges, utilisent les médias pour contraindre la justice, prenant le risque de la voir emportée dans la furie médiatique, gourmande de sensation, d'émotion, au mépris de la juste raison. Je m'inquiétais du fait que désormais « les procès se jouent [...] hors-audience, dans les médias » (lien). En juin de la même année, j'ajoutais que lorsque des avocats de l'accusation se permettent de décrire un jugement, ne répondant pas à leurs attentes, comme étant « inique » et affirmer que « cette décision est extrêmement inquiétante car elle engendre le désespoir envers la justice française, il conviendrait de faire appliquer les articles 434-24 et 434-25 du Code pénal qui incriminent le fait de « publiquement avoir cherché à jeter le discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou a son indépendance » (lien).
Ce mois, j'en viens pourtant à déclarer que « lorsqu'une décision judiciaire paraît incompréhensible [...] et qu'elle implique la création d'une situation dangereuse pour la population, je trouve salutaire que communication soit faite », défendant le fait que des syndicats de policiers en viennent à recourir aux médias pour mettre en discussion -infléchir ?- une décision de justice (lien).
Je n'y vois pas d'atteinte à l'indépendance de la justice. La justice n'a pas les mains liées, n'est pas tenue par la parole d'autrui. Rien ne la contraint à agir différemment de ce qu'elle croit juste, de ce qu'elle comprend de la loi. Il n'y a pas de chantage, de menace, de rétorsion, l'indépendance des magistrats est donc sauve, ils peuvent agir en leur âme et conscience, peu importe ce que peuvent en penser les autres, ce qu'il peut en être dit dans les médias.
Je n'y vois pas non plus d'atteinte franche à l'autorité de la justice, étant considéré que l'autorité est un outil servant un but précis, rendre justice. Discuter une décision ne met pas en péril l'exécution de cette décision mais permet d'éventuellement de l'affiner. L'autorité est toutefois un concept si étendu qu'il en est forcément flou. Selon le dictionnaire de l'académie, c'est le « pouvoir ou droit de commander, de contraindre ». Dans ce cas de figure, l'atteinte est inexistante. Mais l'autorité judiciaire induit aussi l'autorité de la chose jugée, c'est à dire la « présomption légale irréfragable selon laquelle doit être tenu pour vrai un jugement entre les mêmes parties, pour un même objet et pour une même cause ». Si la présomption qu'un jugement est vrai est irréfragable, peut-on encore discuter sans que cela soit contester ? D'ailleurs, lorsque l'on dit que tel ouvrage ou auteur « fait autorité », ne clôt-on pas la discussion en admettant une sorte de finitude ?
Le dilemme, à présent, c'est que ce que je dis de l'intervention de syndicats policiers serait aussi vrai concernant les deux cas évoqués en 2006. Dois-je réviser mon point de vue de 2006 ou bien dois-je finalement admettre que les recours médiatiques actuels de certains syndicats sont malvenus ? Je pourrais arguer que lorsqu'on songe aux cas Bodein, Medjaoui, etc, un peu de communication aurait pu sauver des vies ou des santés mentales, brefs des citoyens, et que le jeu en aurait donc valu la chandelle. Mais, du point de vue de Jean-Pierre Mignard et d'Emmanuel Tordjman, ce raisonnement est sans doute aussi valide. Car ce raisonnement, c'est que la situation, ou la fin, justifie les moyens, un raisonnement qui fondamentalement me chagrine.
Il est toutefois entendu qu'une critique d'une décision par le truchement des médias doit, à mon sens, être justifié par un critère d'urgence. Sinon, la critique publique n'a de légitimité que si elle se fait dans le cadre ou à l'occasion d'une procédure judiciaire. La dimension médiatique du débat, qui se joue donc en partie hors audience, est quelque peu pénible si on part du principe qu'elle risque de biaiser la juridiction avant audience. Mais puisqu'il parait impossible, et peut-être pas souhaitable en démocratie, de faire taire les médias, il faut donc s'y résoudre et tâcher de s'assurer que la juridiction se contentera de la loi et jugera selon ce qu'elle a entendu en audience. C'est un gymnastique mentale qui ne doit pas être impossible. Il faudra bien s'y faire, la dernière affaire Jackson nous a donné un avant-goût de la difficulté croissante de trouver de parfaits candides (lien) pour constituer des jurys populaires.
Or, dans les cas cités au premier paragraphe, le critère d'urgence n'apparaît pas. Et si Jean-Pierre Mignard et d'Emmanuel Tordjman agissent bien en appui d'une procédure, notons qu'eux parlent à tout bout de champ de « vérité cachée » et semblent avoir un point de vue qui dépasse de loin leur plainte pour « non assistance à personne en péril ».
1.
Critiquer quelque chose, avec virulence de surcroît, puis soutenir le contraire pour la seule raison que sont en cause des préoccupations subjectives qui vous tiennent à cœur, à savoir celles de fonctionnaires de police, le tout via des contorsions fumeuses et pour aboutir à un critère (cf. l’urgence) aussi inconsistant que commode.
Bel exercice de style… digne du docteur Coué !
Encore une fois, et comme par un miracle (toujours renouvelé lorsque des policiers sont en cause), fini le simplisme et les jugements de valeur à l’emporte pièce !
Pourquoi les principes moraux et légaux ainsi que les méthodes d’analyse que vous opposez à autrui et dont vous vous enivrez au fil de vos billets disparaissent-ils lorsqu’ils doivent s’appliquer à vous-même ou, plus simplement, si cela vous arrange ?
Pour ce qui est de Maître Jacques VERGES, je me permets de vous renvoyer au texte de son intervention récente devant l’académie des sciences morales et politiques (<lien>).
Vous y trouverez un exposé bien éloigné de votre vision du monde et de la nature humaine.
Vous aurez aussi confirmation qu’en termes de recours à l’opinion publique, l’intéressé n’a rien inventé, contrairement à ce que vous tentez de faire accroire.