Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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Les douze salopards en stage de citoyenneté

mercredi I août MMVII

L'excellent Dirty Dozen (Les douze salopards) proposait aux criminels une méthode de réhabilitation plutôt virile. Souvenez-vous, l'histoire débutait de la sorte : « a Major with an attitude problem and a history of getting things done is told to interview military prisoners with death sentences or long terms for a dangerous mission; To parachute behind enemy lines and cause havoc for the German Generals at a rest house on the eve of D-Day » (lien). D'apparence manichéen -certes, il y a des gentils et des méchants-, ce film a peut-être avant l'heure pointé du doigt un malentendu fréquent avec le concept de défense sociale.

Ce concept de défense sociale est bien connu des juristes. C'est lui qui, peu ou prou, aujourd'hui, régit notre justice des mineurs et, en partie, notre justice correctionnelle, sous la forme de l'individualisation des peines. Car de nos jours, on ne s'imaginerait plus simplement écarter un élément asocial en l'enfermant dans un sombre cachot - ce ne serait pas chic, vous en conviendrez. Et c'est là qu'intervient cette individualisation, qui consiste à trouver, pour le malfrat, quelle forme de condamnation serait la plus susceptible de le reclasser, une démarche confortable pour les tenants du libre-arbitre, qui pensent qu'il importe de laisser à l'individu la possibilité de se racheter de ses torts qui lui sont signifiés par une peine, tout comme pour les tenants de l'école positiviste sous l'angle du déterminisme sociologique*, qui estiment que seules importent des mesures de prophylaxie (supprimer les conditions/causes de la criminalité) et des mesures de sûreté (faire cesser le comportement criminel).

L'individualisation des peines, qui sur le fond fait l'unanimité ou presque, consiste souvent à prononcer des peines sans rapport avec la peine encourue pour l'infraction commise (fait que j'ai abondamment critiqué, par exemple là : lien, lien), à trouver des peines dites alternatives à l'emprisonnement ou encore à aménager l'exécution des peines.

Notons aussi, en parenthèse, que cette individualisation ne prend guère en compte les victimes. J'ai en tête cette affaire de viol d'une jeune femme des plus ignobles qui soient. Aucune circonstance n'aurait pu atténuer le dol criminel du plus manifeste, l'auteur n'ayant pas de scrupule à déclarer qu'il était, en fait, venu violer la voisine de celle qui fut sa victime. L'auteur était mineur -et la juridiction n'a pas cru bon de lever l'excuse de minorité-, il doit à présent être libre, alors qu'il est douteux que la victime se soit aujourd'hui tout à fait libérée du traumatisme causé par ce crime. L'auteur est pourtant une pourriture de la pire espèce ; les bonnes âmes diront que son écrou l'aura sans doute rendu plus aimable, je me permet d'en douter, tant son crime marquait son mépris de sa victime, tant par ses actes que par ses paroles, son dédain glacial, son absence de toute honte ou repentir.

Trêve de digressions, revenons en à nos salopards. Ces salopards étaient ainsi promis à une mort certaine, une facétieuse alternative à l'emprisonnement ou à l'exécution. Certains au cours de leur périple en profitèrent néanmoins pour se racheter aux yeux du spectateur (c'est un film, n'est-ce pas). Est-ce par leur ardeur au travail ? Peut-être. En partie. On les voit souffrir à bricoler, barouder, se laver à l'eau froide, devenir dirty au propre alors qu'ils l'étaient d'emblée au figuré. Mais un aspect essentiel de ce rachat, complètement oublié de nos peines alternatives modernes, en particulier par le fameux stage de citoyenneté (lien), c'est le rapport à l'autorité. Bien entendu, ils ne deviennent pas de braves petits soldats toujours sages ; ils n'hésitent pas à cogner dur d'autres militaires, à braver l'autorité. Néanmoins, ils sont confrontés à l'autorité qui s'impose à eux, celle de leur major (lui-même en délicatesse avec sa hiérarchie), qu'ils ne peuvent contourner, avec laquelle, bon gré mal gré, ils doivent composer dans l'intérêt de la mission. Ce n'est pas apprendre à distinguer le bien du mal qui est le leitmotiv de leur aventure mais l'apprentissage du respect du cadre strict de la vie civilisée par la contrainte de la rigueur guerrière.

Cela rejoint les résultats de recherches récentes (lien - Tarry, H. & Emler, N. (2007). Attitudes, values and moral reasoning. British Journal of Developmental Psychology, 25, 169-183) qui mettent en doute l'idée que la propension aux comportements antisociaux de la part des adolescents dépend de leur capacité de raisonnement moral (« power of moral reasoning »). Si on n'est guère surpris de constater que les adolescents ayant une attitude négative vis à vis de l'autorité, enseignants et policiers, tendent à commettre plus d'infractions (vols, violences volontaires) que les autres, s'il n'est pas contesté que la commission d'infraction est aussi liée aux valeurs morales qu'ils ont adoptées, il est plus perturbant de constater que leur capacité à distinguer le bien et le mal semble sans relation avec la commission d'infraction. Comme le relève judicieusement les chercheurs, « cela met en doute l'efficacité des approches consistant à resocialiser les jeunes délinquants en développant leur capacité de raisonnement moral » («this puts in doubt the likely efficacy of interventions intended to reform young offenders by raising their moral reasoning level»), chercheurs qui signalent aussi que le rapport à l'autorité est une donnée difficilement influençable (« [youths' attitudes to authority] appear to possess considerable stability over time, indicating they are strongly held, deeply embedded in the individual's identity and resistant to change »).

Que penser lorsqu'on voit des mineurs tels que ceux là lien (source : lien) dont le rapport à l'autorité et les valeurs morales semblent déjà viciées ? « moi je nique ceux qui mangent du porc ils se la pètent », « nique la police de France », « l'ont mis en garde à vue [...] quand mon frère il sort [incompréhensible] sinon je vous, je les baise leur mère [sic] bande de bâtard ». Que dira le juge des enfants de Torcy, lorsque l'un de ces mioches là lui sera présenté ?

(* Je simplifie le trait en n'évoquant pas l'école positiviste sous l'angle du déterminisme naturel -les tueurs nés, le crime dans le sang, la bosse du crime, etc- ou encore n'abordant pas le fait que les mesures de sûretés peuvent aussi signifier l'internement sans procès des asociaux)

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«  7 août, Du dialogue critique légal avec les intégristes contre l'intégrisme   

   31 juillet, Conseil supérieur et conseils commerciaux de l'audiovisuel »

1.

Cela rejoint le propos du Gal de Richoufftz qui avait organisé des stages de trois mois en banlieue avec des volontaires, pour leur apprendre les rudiments de la discipline, de vie en communauté, de rapport à l'autorité, etc. Au bout, il y avait le permis de conduire, et un emploi.

Il faudrait peut-être envisager cela dans toutes les cités, cela permettrait certainement de réduire la délinquance. Nous serons certainement d'accord pour dire que cela n'est pas suffisant pour des criminels ayant perdu tout sens moral.

Par contre, j'aime bien l'idée, qui est celle de la Légion Etrangère, que en excluant tout ce qui ressort du crime, il est possible de refaire sa vie dans celle-ci, au service de sa patrie.

Posté le 9.08.2007 à 12h48 par Polydamas

2.

La démarche est en effet intéressante. Reste à voir ses effets.

Si les volontaires sont renvoyés dans leurs quartiers, si je puis dire, une fois leur stage terminé, ne risquent-ils pas de déraper et de céder à la voie de la facilité ? Et s'ils n'y reviennent plus, faudra t-il mettre en stage l'ensemble de jeunes des zones sensibles pour espérer y trouver une population suffisement respectueuse d'autrui et de lois pour que l'air y soit respirable ?

Posté le 9.08.2007 à 13h20 par Anonyme courageux

3. La procureure [...] recommande un stage de citoyenneté

Pour en revenir aux stages de citoyenneté, voici un exemple amusant :

« Trois grands gaillards lui succèdent à la barre. Deux frères : Stéphane (20 ans) et Stephen (21 ans). Pour ne pas s’emmêler, la présidente décide d’accoler le deuxième prénom de l’un des frères, le temps de l’audience : Stephen-Paul. Le troisième prévenu s’appelle Charles (21 ans). «Il vous est reproché des destructions», indique la présidente, avant de faire état d’un monceau de verre brisé : trois abribus, une vitre de pavillon, la vitrine d’un magasin, l’entrée d’une clinique vétérinaire.
«Le 29 mars à Pavillon-sous-Bois, un policier en retraite circulait en voiture, derrière une camionnette. Il entendait des claquements et, à chaque fois, les vitres des abribus tombaient, explique la magistrate. Le passager avant, Stephen-Paul, manipulait un objet. Charles conduisait. Stéphane était dissimulé à l’arrière.» Le retraité s’arrête pour signaler le phénomène. Un peu plus tard, les policiers qui interceptent le trio découvrent deux lance-pierres et treize sacs de billes à l’intérieur du camion. Et ils reconstituent leur itinéraire plausible, en fonction du verre cassé dans les parages : de Bondy à Livry-Gargan en passant par Les Pavillons-sous-Bois.
«Connus des services de police», mais sans casier judiciaire, les trois garçons expliquent qu’ils visaient des pigeons, mais qu’ils ont manqué leurs cibles. «C’est bizarre que vous soyez aussi mauvais tireurs car, dans la procédure, vous expliquez que vous faites ça tous les jours, le tir au lance-pierres», note la présidente. Gitans sédentarisés, ils ont arrêté l’école en CM2, vers 14 ans, ont suivi des cours par correspondance jusqu’à 16 ans, et travaillent avec leurs pères respectifs, sur les marchés ou des chantiers.
Songeuse, la présidente commente : «On croirait avoir affaire à des gamins de 14 ans.» Stephen-Paul : «C’était involontaire.» La procureure lui explique que son acte était volontaire même si, par hasard, les conséquences ne l’étaient pas: « Vous avez volontairement tiré dans la rue avec des billes et vous allez devoir répondre des dégâts, des dangers et de la peur causés.» Elle recommande un stage de citoyenneté où on leur rappellerait «certaines valeurs de base». La présidente préfère mettre en délibéré.

CARNET DE JUSTICE
Par Jacqueline Coignard
QUOTIDIEN : lundi 9 juillet 2007 »

<lien>

Posté le 10.08.2007 à 10h07 par Anonyme courageux
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