Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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Le cache-misère

mercredi XI juillet MMVII

En 1996, à Atlanta, en l'honneur des Jeux Olympiques, la question de la présence des sans domicile fixe fut posée. Pour les uns, la réponse donnée fut de proposer des abris à ceux acceptant d'être pris en compte dans un programme d'aide sociale. Pour d'autres, cette réponse s'incarna dans un durcissement législatif, interdisant jusqu'au fait de dormir au sol (lien). Quand la misère est-elle gênante ? Lorsqu'elle existe ou lorsqu'elle se voit ?

Lorsque vous voyez -car cela vous arrive, j'en suis certain- un pauvre hère, barbu, crasseux, pouilleux, écroulé au sol sur un pont, une bouteille de vinassse à 30 centimes renversé à ses côtés, que ressentez-vous ? Il est hors de question de prendre sur vous, ce serait se vouer au malheur et au spleen permanent que de s'ouvrir à toute la misère du monde. Mais, à moins d'être sociopathe, néanmoins, une telle vision doit tout de même vous désoler, vous ne pouvez vous réjouir d'avoir croisé le chemin de cette misère étalée sur le paysage urbain, de cet homme retourné au stade animal dans un univers où la nature n'a plus cours. Face à cela, certains interpellent les pouvoirs publics. On ne peut tout de même pas laisser un humain dans une pareille situation, font-ils remarquer. Mais sont-ils prêt à recueillir eux-même cet humain là, sans aucune garantie qu'il soit possible de lui apporter la moindre aide, étant entendu qu'au coeur de son malheur se trouve aussi sans doute un problème personnel, le manque de dignité, qui ne peut être résolu que par lui-même.

En apparence gagné par les théories des militants de RESF, « des élus du comité central d'entreprise d'Air France ont interpellé ses actionnaires, qui se réunissent jeudi en assemblée générale, pour demander "l'arrêt de l'utilisation des avions du groupe" pour l'expulsion des sans-papiers, une démarche sans précédent ». Le PDG de l'entreprise, Jean-Cyril Spinetta, « a en outre affirmé qu'il se "passerait bien" de ces expulsions ». Souci humain ? « les syndicats déjà mentionnés [NDM : d'extrême gauche] demandent donc "un moratoire sur les transports d'expulsés", évoquant aussi "les scènes d'une extrême violence" subies par les passagers lors des incidents provoqués par la répression d'expulsés récalcitrants ou les remontrances de passagers solidaires ». Il ne fait nul doute que le problème est en partie commercial pour Air France ; et c'est sur ce point que jouent les syndicats qui n'ont pas le commerce comme source d'inquiétude prioritaire. Mais lorsque « l'Association de défense des actionnaires minoritaires (Adam) [...] appele l'Etat à "utiliser ses propres moyens", notamment pour des "raisons de sécurité" », il ne s'agit pas in fine de discuter des expulsions, il s'agit juste de demander qu'elle se produisent ailleurs. La violence d'une mesure d'éloignement sous la contrainte ne cessera pas si le nom de la compagnie aérienne impliquée change.

A Paris comme dans d'autres villes de France, des tentes avaient été distribuées à des sans domicile fixe. Certaines sont restées, notamment quai de Valmy, au 185, jusqu'à ce que leurs occupants soient évincés, hier, par la police sur réquisition du parquet (lien). Sur son site internet, la Mairie désavoue l'opération, déclarant qu'elle « rappelle que le droit à un hébergement d'urgence concerne toutes les personnes sans abri, quelle que soit leur situation. C'est pourquoi elle avait souhaité que des solutions soient proposées aux personnes sans abri installées à la hauteur du 185 quai de Valmy, préalablement à toute évacuation. La Mairie déplore donc les conditions dans lesquelles elles ont été évacuées ce matin. Cette opération a été réalisée par la police sur réquisition du Parquet » (lien). Non seulement il s'agit une fois de plus de cacher la misère, mais le summum est atteint par une municipalité qui n'assume pas sa participation dans la farce, une municipalité qui compte sur un électorat qui aime les crasseux tant qu'ils ne sont pas sous ses propres fenêtres.

De tradition, la droite cache la misère en jetant à la face des miséreux la responsabilité de leur condition. La gauche moderne, elle, décomplexée, cache la misère qu'elle plébiscite en jetant à la face des institutions la responsabilité de leur condition. On n'a pas fini de détourner le regard.

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« 13 juillet, L'Oréal fait de la discrimination ethnique et l'assume   

    5 juillet, Ainsi l'univers carcéral serait une cocotte-minute »

1.

Superbe billet !

Comme de mémoire le disait Prévert:

"Le ministère des Finances devrait s'appeler ministère de la Misère puisque le ministère de la Guerre ne s'appelle pas ministère de la Paix."

Posté le 11.07.2007 à 23h12 par Parayre
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