Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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« Dis moi où tu t'informes... »

vendredi XXVII avril MMVII

«... et je te dirais pour qui tu votes » nous dit Télérama dans son numéro 2989 en date du 25 avril, p. 10. À la page suivante de ce même magazine, on apprend que 14 % de ses lecteurs ont voté Nicolas Sarkozy, 44 % Ségolène Royal, 28 % François Bayrou, 1 % Jean-Marie Le Pen, 6 % Olivier Besancenot, 3 % Philippe de Villiers, 2 % Marie George Buffet, 1 % Dominique Voynet et 1 % José Bové. Ainsi, « Ségolène Royal arrive nettement en tête [...], François Bayrou y est au plus haut de toute la presse écrite ». Au total, 54 % des lecteurs de Télérama ont voté indiscutablement à gauche. C'est à la fois beaucoup et peu. C'est beaucoup dans la mesure où c'est net, au delà de la majorité absolue. C'est peu car finalement, on est loin du 90 % : contrairement à ce que l'on pourrait présupposer, dire d'un lecteur de Télérama qu'il est d'emblée de gauche est erroné plus de 4 fois sur 10.

Ce résultat n'est pas tout à fait surprenant. S'agissant d'une revue originellement tendance « chrétien de gauche », il naturel qu'on y retrouve une diversité de votes recouvrant les différentes valeurs qui motivent ses lecteurs, certains étant avant tout chrétiens, d'autres avant tout de gauche et d'autres probablement rien de tout cela.

Ce résultat n'empêche pas Télérama de publier dans le même numéro, aux pages suivantes (p. 14 et 16), un article intitulé « Un petit vent d'espoir, spécial premier tour, huit intellectuels réagissent » qui ne semble guère en tenir compte.

Par intellectuel, il faut sans doute entendre écrivain, car il le sont tous sauf un. Admettons - admettons cette déformation injustifiée d'un concept pourtant précis à l'origine, ce point est hors de propos aujourd'hui.

Sur les 8 individus choisis, 5 sont très très manifestement pour Ségolène Royal, par politique ou par sexisme. 62,5 % pour 44 % de lecteurs, c'est beaucoup. Mais là encore n'est pas le problème.

Ce qui intrigue, c'est le ton employé par ces individus proclamés « intellectuels ».

Ariane Mnouchkine, « chef de troupe » (du Théatre du Soleil »), ne s'adresse pas au lecteur, elle l'englobe. Pas de « je » dans son propos lorsqu'elle décrit son point de vue, elle n'emploie que la troisième personne du singulier et la première du pluriel. « Il nous faut reprendre du terrain [...], c'est tout ce que nous voulions, que notre candidate figure au second tour », nous dit-elle, avant de conclure en déclarant que « une bataille commence, elle n'est pas perdue si la loyauté et la ferveur sont au rendez-vous ». Dans son propos, il n'y a guère de place pour le lecteur qui n'a pas voté Ségolène Royal et qui n'en a pas l'intention, lecteur sans doute partisan de la félonie et de l'indifférence.

Jean-Michel Ribes, « auteur-réalisateur », de son côté fait une profession de foi. Elle peut sembler ridicule (« [Ségolène Royal] est en phase avec le présent [...] est de son époque ») et simpliste (« [le] troisième homme Bayrou [...] est un générique de Sarko ») ; c'est souvent le cas de telles professions aux yeux des incrédules.

Marie Darrieussecq, « écrivain », affirme que « ce résultat relève le niveau de la politique ». Mais le seul point qu'elle aborde est la présence d'une femme parmi les deux candidats restants, « une chance historique ». Libre à chacun de se demander à quel niveau placer de telles considérations sexistes.

Pour François Sureau, « écrivain », « les Français optent pour un clivage gauche-droite traditionnel ». Merci pour cette fine analyse, avec un centriste dépassant le score du candidat PS aux précédentes élections et recueillant le suffrage de 28 % des lecteurs de Télérama, nous aurions pu faire fausse route en pensant le contraire.

Mais tout ceci n'est rien en comparaison avec la prestation de François Bégaudau, « écrivain ». Le titre et la conclusion de son encart étant « Inch'Allah », l'entrée en matière est nette : l'intellectuel en 2007 parle en termes religieux des résultats aux élections d'une République laïque. Que n'a t-il déclaré « si Dieu le veut », si c'est du dernier chic ? Passons. Pour cet écrivain là, « le faible score de Le Pen est une chute chimérique : les 5 % qui lui manquent sont passés chez Sarkozy ». Et ? Si Nicolas Sarkozy a été capable de ramener à lui des électeurs perdus notamment par le PCF que le PS n'a jamais su récupérer, tout en assumant largement son origine étrangère, où est la chimère ? Où voudrait en venir l'écrivain ? À la décapitation sur la place publique de ces 5 % de citoyens en âge de voter - après tout, ils ne sont que 1 % des lecteurs de Télérama, qui s'en soucie ? Et que faire ensuite de cette « droite qui ne cache plus qu'elle a toujours pensé que la pédophilie était génétique », que faire ainsi de ces 14 % de lecteurs de Télérama qui sont probablement ravi de voir leur choix politique ramené à un des propos les plus contestés parmi eux ? Mais l'amateur de vocables d'une grande neutralité symbolique (« inch'Allah ») ne s'arrête pas en si bon chemin. Il s'empresse de dire qu'il est ravi d'être « débarrassé » du candidat de 18 % des Français, de 28 % des lecteurs de Télérama, dont la « présence [est] parasitaire », sorte d'organisme qui vit et se développe au détriment de l'hôte sur lequel il s'est fixé, donc.

Si Télérama s'intéresse aux choix de ses lecteurs, Télérama n'est donc pas gêné de donner à la parole à des gens (car il s'agit de cela, rien de plus - la teneur de leur propos et le poids de leurs actes ne relève pas de l'extraordinaire) qui ne s'adressent pas à plus de la moitié de ses lecteurs, quand ils ne les insultent pas directement. Un chouette défi.

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« 29 avril, En accord avec François Bayrou   

   22 avril, L'entre deux suffrages »

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