La face ignorée de l'arbitraire
samedi X février MMVIILa France n'est pas un pays de droit coutumier. Le droit est avant tout fondé par des textes de lois, des textes que le législateur fait promulguer en réponse à un problème donné. Nous sommes au pays des Droits de l'homme et du citoyen, après tout !
La jurisprudence dans un tel cadre prend sens lorsqu'il s'agit de s'aider à interpréter de manière stricte la loi pénale. Ainsi, si le sens d'un texte nous échappe, ne serait-ce qu'en partie, s'intéresser à l'interprétation qui en fut précédemment faite est de bon aloi. Quoique ce ne serait pas franchement outrancier de s'inspirer très directement des débats parlementaires relatifs à cette loi, ceci étant facilité par la technologie, la transcription de ces débats étant à présent disponible sur internet.
Certains disent parfois que la jurisprudence permet aussi d'harmoniser les peines prononcées à l'encontre d'individus ayant commis des faits comparables. Me Jacques Legay, l'avocat de deux jeunes individus reconnus coupables de violences volontaires en réunion ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours sur personnes chargées d'une mission de service public, infraction faisant encourir une peine de 7 ans d'emprisonnement (peut-être aurait-il d'ailleurs été possible aussi de tenir compte d'une troisième circonstance aggravante, faisant alors encourir 10 ans : à l'intérieur d'un établissement scolaire ou éducatif, ou aux abords d'un tel établissement, à l'occasion des entrées ou des sorties des élèves - le point délicat qui fait que cette circonstance a été écartée est sans doute ce « à l'occasion des entrées ou des sorties des élèves », puisque les faits semblent s'être produits lors d'une récréation - on peut aussi envisager que cette circonstance ait été écartée délibérement pour pouvoir user de la procédure de comparution immédiate, impossible si la peine encourue avait été de 10 ans), mécontent de l'appel formé par le parquet contre la décision du tribunal correctionnel, argue en ce sens. Pour lui, « la décision rendue était une décision sereine et juste », elle « "reflétait les éléments du dossier et "la jurisprudence" dans des affaires similaires » (lien, AFP, 9 février 2007, 15h47).
C'est bien logique de louer la jurisprudence si celle-ci proposait des peines comparables pour des faits similaires, à savoir « sept mois de prison ferme et [...] six mois d'emprisonnement dont un avec sursis ». C'est bien logique, du moins si l'on est avocat de la défense. En tant qu'avocat de la défense, il est naturel de désirer que son client récolte au maximum ce que la plupart des condamnés récoltent pour des faits similaires.
Mais la logique s'arrête là. Si on n'est pas avocat de la défense, si on n'est pas partie ou si on se place du côté de l'intérêt social, du ministère public, on devrait pourtant envisager que le principe de légalité des peines nous interdit une telle logique. La légalité des peines implique que le législateur, c'est à dire le représentant des citoyens, la voix démocratique, est seul arbitre en matière de sanction pénale. La juridiction répressive elle est censée obéir à ses voeux, en faisant preuve d'intelligence de la situation. Sinon, nous serions dans une justice arbitraire, telle celle d'Ancien Régime.
On s'étonnerait que la peine prononcée soit souvent la peine encourue. Cela signifierait que les juridictions estimeraient souvent que le maximum prévu par le législateur s'impose. Mais nous en sommes actuellement loin. Dans l'exemple du jour, quelques mois sont prononcées pour 7 ans encourus (éventuellement 10).
À côté de cela, le législateur ajoute régulièrement des circonstances aggravantes. En réunion : on aggrave. Sur personne chargée d'une mission de service public : on aggrave. À l'intérieur d'un établissement scolaire ou éducatif [...] : on aggrave. Le législateur n'en finit plus de prévoir des aggravations.
Alors comment, dans le cadre de la légalité des peines, considérant donc que c'est le législateur qui est source de droit et non pas le magistrat -car sinon ce serait le cadre de l'arbitraire-, peut-on se référer de la sorte à la jurisprudence ? Comment donc, hormis lorsqu'on est avocat de la défense, la peine proposée par la jurisprudence peut-elle être présentée comme la juste peine alors qu'elle ignore pleinement les voeux du législateur, voeux manifestés par l'existence de circonstances aggravantes ?
Je le suggérais récemment lien, il semblerait que la personnalisation des peines permette le retour de la tentation arbitraire de la part de la magistrature. Il semblerait qu'un principe bon à la base souffre de l'absence de limites nettes, ceci favorisant une logique d'omnipotence de la part des juridictions.
Sans doute avons-nous perdu de vue l'avant Cesare Beccaria. Ce nom revient lorsqu'on veut se flatter en parlant de notre bonne Justice dans son respect des mis en cause, certes, certes. Mais ce nom est oublié lorsqu'il est question de notre mauvaise Justice dans son mépris des victimes. L'arbitraire n'a pas qu'une seule dimension. Lorsque l'arbitraire prend la forme d'une hasardeuse clémence, il n'est que cruelle sévérité pour les victimes à venir.
Si la société, par le truchement du législateur, veut que soient considérées comme aggravées certaines violences volontaires, s'il veut que la peine encourue passe de 3 ans à 5, 7 voire 10 ans, alors nulle juridiction ne devrait pouvoir prononcer une peine inférieure à la peine simple. Le plancher devrait, par exemple, être basé sur la peine encourue moins une circonstance aggravante.
Il ne s'agit pas nécessairement d'être plus répressif. Cela n'ampute pas le pouvoir des juridictions de décider d'une dispense ou d'une suspension de peine. Cela offrirait un code plus emprunt du réel, où la peine prononcée ne serait pas presque systématiquement sans aucun rapport avec la peine encourue (et je ne parle pas des peines exécutées, pour ne pas encombrer le débat). Ce code nécessiterait sans doute des adaptations, notamment des réductions des peines encourues et peut-être des suppressions de circonstances aggravantes.
On y gagnerait sur de multiples tableaux. Les citoyens comprendraient mieux leur Justice où les peines prévues par leur législateur ne seraient pas réduites à une simple vue de l'esprit. Les citoyens comprendraient mieux leur Justice où les circonstances aggravantes n'apparaîtraient pas comme simple effet cosmétique à l'attention des juristes. Les mis en cause auraient à l'esprit la dimension systématique de la sanction, la certitude d'une sanction d'une certaine sévérité directement liée à la gravité des faits - chose complètement perdue de vue, à l'heure où des petites crapules n'hésitent pas à cambrioler avec arme, se moquant éperdument du fait que ce simple port d'arme lors de la commission du vol leur fait encourir une peine criminelle au lieu d'une peine correctionnelle. Quant aux magistrats, ils auraient la satisfaction de répondre aux attentes sociales vis-à-vis de la Justice ; j'espère naïvement que point trop d'entre-eux ne se soient mis à croire que la Justice leur appartient.
1.
Deux policiers ont été mis en examen mercredi pour non-assistance à personne en danger dans l'enquête sur la mort de deux adolescents électrocutés à Clichy-sous-Bois le 27 octobre 2005, une décision qui soulage les proches des victimes mais scandalise des syndicats policiers.
S'ils sont renvoyés - ce qui est probable - devant le tribunal correctionnel , je suppose que vous souhaitez qu'ils soient condamnés à une peine conforme à l'attente des proches des victimes ...
Laquelle , sachant que la sanction prévue par le législateur est cinq ans d'emprisonnement ?
A vous lire au moins ...