Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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D'une plainte à l'autre

mardi XXXI octobre MMVI

J'ai à de nombreuses reprises évoqué Jean-Pierre Mignard, avocat proche de François Hollande qui semble s'être spécialisé dans la défense d'individus d'origine immigrée blessés lors d'interventions de police. J'avais déjà signalé à quel point cet homme, manifestement intelligent, serait un bien inquiétant procureur tant, au nom de la défense des intérêts de ses clients, il se laisse vite aller à l'accusation grave infondée. Rappelons seulement que pour cet homme là, lancer des pierres sur des fonctionnaires ou leur véhicule est « un fait dérisoire » (lien).

J'ai lu, je ne sais plus où (vous m'en voyez fort marri) qu'il plaide, requiert devrais-je dire, dans ce type d'affaires pro bono. C'est donc qu'à ses yeux, ces clients-là sont plus que des clients, leur défense est pour lui un acte politique. C'est tout à son honneur, de se mobiliser pour une cause en laquelle il croît. Bien entendu, il n'est pas sans intérêt de se demander quelle est cette cause, pour mieux comprendre le sens de son action et le sens de ses propos (mais je ne le ferais pas ici, je crois avoir déjà apporté des éléments dans des articles précédents : lien).

Aujourd'hui il défend le dénommé Jiade (je présume que c'est son prénom ; son nom de famille n'est pas donné) « grièvement touché à l'oeil dans la nuit de samedi à dimanche à Clichy-sous-Bois », se plaignant « d'avoir reçu un projectile provenant d'un "tir de flash-ball" » (lien, 31 octobre 2006, 18h20).

J'ai du mal à ne pas faire de lien entre cette affaire et le drame si tristement prévisible de Marseille, « l'incendie du bus où une jeune femme a été brûlée », affaire à propos de laquelle le Premier Ministre de la France a le talent époustouflant, après une année marquée par l'affaire d'Outreau, d'oser parler à l'Assemblée nationale « d'auteurs présumés » à propos des suspects interpellés par la police, donc de bafouer le principe de présomption d'innocence (lien, 31 octobre 2006, 18h04).

Le lien, il apparaît parce qu'on peut se dire que la situation des banlieues à émeutes a encore fait deux victimes. Le lien, il apparaît aussi parce que, dans le même magazine (le Nouvel Obs), la publication d'un article évoquant l'arrestation des suspects de la seconde affaire semble susciter la publication, dans le quart d'heure suivant, d'un article évoquant la première affaire, un nouvel article qui a la particularité de n'apporter absolument aucun élément nouveau.

C'est mon sentiment premier, après la lecture de ces deux articles.

Ce lien est-il tout à fait pertinent ? Si on creuse l'affaire de Jiade (quelqu'un connaît-il l'origine de ce prénom, au fait ?), en lisant d'autres articles, il devient assez rapidement très délicat de comparer les deux blessés.

Dans une dépêche AFP (lien, 30 octobre 2006, 23h03), antérieure à l'article du Nouvel Obs (qui lui-même cite l'AFP en n'apportant rien de réellement neuf), on apprend que François Molins, procureur de tribunal de Bobigny, « a présenté une version [des faits] sensiblement différente » de celle de Mignard, estimant qu' « en l'état de la procédure, il n'y avait pas de lien de causalité » établi « entre l'utilisation du flash-ball (par les policiers) et la blessure » de Jiade, notant que « les policiers avaient fait usage de leur flash-ball » et qu'en face « le jeune qui faisait partie de la bande a, à ce moment-là, ressenti une douleur à un oeil ».

Quand j'en arrive là, une certaine forme de suspicion s'éveille en moi : est-il possible qu'on apprenne à ce stade l'article, au coeur du quatrième épais paragraphe (sur un total de quatre), qu'en fait Jiade faisait partie de « la bande » ? Qu'est-ce que cette bande ? Mignard, cité précédemment dans l'article, suggérait que Jiade était là, paisiblement « avec deux de ses camarades ». On nous a bien dit que le procureur présente une autre version des faits, mais on découvre là qu'il est question d'une bande.

On aurait du mal à ne pas penser à l'affaire des jeunes qui sont allé se tuer dans un transformateur électrique l'an dernier, ce serait gonflé, puisque Mignard est l'avocat du rescapé, souvenez-vous. On se rappelle de la confusion au moment trouble, dans les heures suivant l'incident, où il avait été dit aux informations qu'en fait ces jeunes là, une bande donc, avaient été poursuivis par la police du fait d'une affaire de vol sur un chantier, ce qu'on était faux, on l'a vite su aussi. Serait-on en train de criminaliser de manière contestable un blessé pour faire passer la pilule d'un accident, voire pire ?

Pour en avoir le coeur net, lisons la suite. « Selon le procureur, les policiers sont intervenus dans une rue, non loin de la caserne des pompiers, où une barricade était en construction. Accueillis à leur arrivée par des jets de pierres, ils se sont dégagés en faisant usage de flash-ball. Jiade a senti un coup violent à l'oeil gauche, il est tombé par terre puis s'est relevé et a pris la fuite, toujours selon M. Molins. Rattrapé par les policiers, il a été interpellé ». La chose se précise, il serait question d'une bande construisant une barricade et lançant des pierres sur la police. A ce stade de là lecture, on pourrait croire à une balle de flash-ball perdue.

On apprend ensuite qu'en fait Jiade « reconnaît avoir participé à l'édification de la barricade et a confirmé que des policiers ont été caillassés bien qu'il n'ait pas pris part au caillassage ». Surprise : Jiade n'était pas un badaud, il reconnaît au moins être un délinquant, puisque construisant une barricade. Au moins, car c'est un principe d'une banalité consternante pour un mis en cause de reconnaître l'incontestable, le facile à démontrer, pour pouvoir atténuer la condamnation à venir en démentant le plus difficile à démontrer (ce n'est pas la faute avouée qui est à moitié pardonnée, c'est à la faute à moitié avouée qui est pardonnée).

Bien entendu, « Le père du jeune homme, de son côté, a affirmé que son fils avait été blessé par un policier en civil qui "lui a tiré dessus à bout portant au niveau du visage avec un flash-ball" alors qu'il rentrait chez lui" ». Il existe bel et bien des versions contradictoires, je ne préjugerais pas de l'affaire dont je ne sais que ce qu'on lit dans la presse (même si je m'interroge sur la valeur du témoignage du père, a priori déconcertant : présent sur les lieux ? tiré dessus à bout pourtant alors qu'il passait par hasard à côté de policiers qui au même moment recevaient une pluie de projectiles ?).

J'observe en tout cas avec curiosité le traitement réservé à cet affaire. Non seulement on publie des articles qui ne comportent aucun élément nouveau, mais, de plus, au mieux les articles signalent de manière prodigieusement trouble qu'il y a tout de même des raisons de penser que Jiade est tout sauf une victime, au pire ils n'en disent rien. Tout de même, si on pose l'hypothèse que le procureur de la République à une vision juste des choses, ça signifie que le blessé Jiade n'est pas une victime des émeutes comme Mama Galledou, mais au contraire un acteur des émeutes. Si le procureur de la République a raison, dans ce cas, si Jiade a été effectivement été blessé par un tir de flash-ball, sa santé actuelle est le résultat immédiat de sa conduite ayant imposé l'usage d'une force modérée (le flash-ball n'est pas une arme létale, mais comme toute arme, il est possible qu'elle ait un effet plus grave que celui normalement prévisible, tout comme une matraque) pour faire cesser le trouble grave qu'il causait, en tant que co-auteur ou complice, à l'ordre public et à la sécurité d'autrui.

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«  1 novembre, La réussite sociale par la loterie, une réactualisation du mythe du football salvateur   

   30 octobre, Nationaliser la citoyenneté »

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