Arrogance de corps, forteresses assiégées en situation de défaut d'assaillants
vendredi XIII octobre MMVIAujourd'hui même, sur le blog de monsieur Bilger, j'évoquais la police municipale en des termes moyennement élogieux. Je répondais à un commentateur ainsi : « La police municipale ne fait plus d'îlotage dites-vous ? Quand en a-t-elle fait ? Depuis qu'existe la police nationale, les policiers municipaux ne sont au mieux qu'APJA (agent de police judiciaire adjoint). Concrètement, il ne peuvent décider d'un simple contrôle d'identité. L'étendue de leurs pouvoirs n'est pas de nature à leur permettre de remettre du droit là où il n'existe plus. Ce n'est sans doute pas un mal. On ne mesure jamais assez les dangers qui existent lorsqu'on donne des pouvoirs judiciaires à des individus recrutés et dirigés à l'échelon local (doit-on rappeler l'étrange passage de certains individus du DPS à la police municipale de certaines petites villes du Sud dirigées par l'extrême-droite). De plus en plus de policiers municipaux sont armés, ces temps-ci. Si je comprends bien qu'autrement ils seraient une cible de choix, néanmoins je trouve cela inquiétant. Plus le nombre de gens en armes est important, plus les risques d'accidents mortels sont importants. Pire encore, je constate que certaines polices municipales choisissent des uniformes entretenant une confusion manifeste avec ceux de la police nationale. Il y a déjà eu des débats à l'Assemblée à ce propos. Pire encore, comme si c'était possible, une ville se targue d'avoir un véhicule non-sérigraphié et des flashball pour sa police municipale : il faudra qu'on m'explique quel usage ils comptent en faire dans le cadre de contrôles de stationnement gênant ou de tapages nocturnes. On ne peut pas d'un côté demander plus d'encadrement de la police nationale et de l'autre se féliciter de l'accroissement du pouvoir de la police municipale, sur laquelle, évidemment, il est plus dur d'exercer un contrôle, puisque son commandement dépend très directement d'un pouvoir local. À ce sujet, l'actualité récente a fourni deux exemples (notamment en région lyonnaise) de comportement inadaptés (voire illégaux) de policiers municipaux créant des troubles immédiats pour la police nationale » (lien).
En lisant Pour l'honneur de la Justice, de Philippe Bilger justement, un ouvrage qui ne déçoit pas venant de lui, se lisant d'une traite sans que la fatigue ne survienne (j'en suis à la page 110, il est 02h16 et j'ai entamé la lecture vers 23h30), je tombe sur le passage suivant : « [l'institution des juges de proximité], initiative intrinsèquement positive, au regard de nos propres doléances, a été d'emblée rejetée dans son principe avec une arrogance qui faisait moins apparaître des critiques techniques qu'une réprobation corporatiste. De quoi venaient se mêler des gens qui ne connaissaient rien à la justice ? On n'a pas besoin d'eux. On réclame de l'aide mais elle doit être du même corps et du même sang que nous. À nouveau, syndicalisme et professionnels unis, un front s'est constitué qui a montré que la magistrature se vivait comme une forteresse assiégée. Sauf qu'il n'y a pas d'assaillants » (Bilger Philippe, Pour l'honneur de la Justice, Paris, 2006, p. 110).
De prime abord, on pourrait trouver analogue ma suspicion à l'encontre de la police municipale, tout aussi incohérente dans la mesure où j'estime qu'il ne serait pas un luxe d'accroître les moyens de la police nationale (et accessoirement de cesser de la mobiliser très régulièrement pour sanctionner des citoyens qui roulent à 10 kmh au dessus de la limite, ce qui s'apparente plus à une logique financière qu'à autre chose).
Il n'en est rien.
Tout d'abord, s'il est vrai que les policiers nationaux disposent de l'intégralité des pouvoirs et attributions des policiers municipaux (APJA) alors que ces derniers ne disposent que d'une fraction minime des pouvoirs et attributions des premiers (OPJ, APJ, APJA), il existe une différence fondamentale dans leur logique professionnelle. Les premiers font partie d'une institution nationale, homogène sur l'ensemble du territoire de la République, les seconds font partie d'une institution municipale, dont l'homogéneité se circonscrit à la municipalité concernée. La mission des premiers est de faire appliquer la loi nationale, que ce soit dans un cadre administratif (en lien avec la préfecture) ou dans un cadre judiciaire (en lien avec le parquet et les cabinets d'instruction). Les seconds ne sont certes pas ignorants de la loi, mais le coeur de leur métier est l'application des décrets municipaux et l'application de certaines portions précises de la loi, notamment certaines infractions routières dont le stationnement gênant. Le seul OPJ à l'échelon municipal, c'est le maire. Et le maire, ce n'est pas un policier ou un gendarme, le droit pénal n'est pas son quotidien.
On pourrait changer les attributions des seconds pour les faire coller à celles premiers. Évidemment, cela impliquerait une réévaluation des critères de recrutement, une harmonisation des recrutements des policiers municipaux sur le calque des recrutements de la police nationale. Cette suggestion n'est pas sans implications. Se trouveront-ils tant de candidats pour entrer dans la police municipale si elle élève ses exigences, alors qu'au final le cadre municipal lui imposera tout de même de se focaliser sur des choses telles que le stationnement gênant, pas tout à fait ce qu'il y a de plus exaltant ? Comment cohabiteront deux structures travaillant sur le même secteur sans hegemon clair (on peut songer aux conflits BRB / OCRB de la grande époque Robert Broussard / Lucien-Aimé Blanc) ? Quelles implications auront sur les activités de police l'éventualité d'un maire corrompu ou idéologiquement peu républicain ?
Au vu de ces questions, l'idée paraît absurde. Peut-être est-ce de ma part une extrapolation abusive, puisque cette idée ne fut jamais énoncée publiquement et officiellement. Toutefois, lorsqu'on observe des polices municipales acquérir des flashball et des véhicules banalisés, ces questions ne me semblent pas si absurdes.
Il ne faudrait cependant pas être hostile à l'idée de demander aux maires un rôle actif dans la lutte contre l'insécurité. Pas en incarnant le bras répressif de la Nation : ils s'y refusent et ils ont sans doute raison, dans une certaine mesure. Mais en facilitant la coordination de toutes structures locales concernées.
Aussi, il serait dommage d'être hostile à l'intervention de citoyens en la matière. Je ne parle certes pas d'encourager la création de milices. Mais je me dis que si des groupes d'adultes, de parents, faisaient chaque soir à 9 heures le tour de leur quartier pour que les gamins rentrent chez eux, ce serait dans l'intérêt de tous.
Il ne s'agit donc pas d'instituer des monopoles mais de faire en sorte que chacun intervienne selon des modalités correspondantes à ses compétences et volontés.
1. Unicité de la police et juge de proximité
"Et le maire, ce n'est pas un policier ou un gendarme, le droit pénal n'est pas son quotidien.
On pourrait changer les attributions des seconds pour les faire coller à celles premiers."
Je suis d'accord.
Par contre,pour le recrutement à venir,je ne pense pas qu'il y aurait problème.La difficulté résiderait davantage dans l'adaptation aux nouvelles fonctions des municipaux déjà actuellement en effectifs.
Il faudrait également , dans les petites villes, compter avec des conflits de compétence avec la gendarmerie à propos des prérogatives des uns et des autres.
Pour les juges de proximité ,contrairement à ce que je pensais ,celui arrivé dans le tribunal d'instance de mon secteur,s'est bien imposé et n'a laissé dès la première audience,au niveau des justiciables avec lesquels je me suis entretenu,qu'une impression favorable.
Je ne sais pas si c'est ainsi partout,mais là ,le petit problème qui se pose est qu'il n'a théoriquement qu'une heure pour traiter les cas qui se présentent,et il y a fatalement dépassement d'horaire,ce qui fait,in fine,se poser des questions aux justiciables de l'audience programmée juste après et sans limite de durée,qui arrivent pour l'heure indiquée sur leur convocation et se trouvent en présence d'un juge en civil.