Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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L'anathème des thématiques

lundi III avril MMVI

Que peut-on lire aujourd'hui en faisant le tour d'horizon de l'actualité ?

On peut lire qu'il n'est pas douteux que la majeure partie de la population refuse le CPE. Moi-même, je suis opposé à l'idée d'une flexibilité sans droit de regard, de l'idée de pouvoir licencier sans motivation, sans justification.

Mais ce qui me perturbe, c'est l'hypocrisie qui conduit certains immodérés à récupérer ce refus d'une loi comme la preuve d'un soutien global à toutes leurs théories, et, par conséquent, de prendre ce refus comme prétexte à proférer toutes les revendications qui ne convainquent qu'eux, ou presque, au nom de tous.

L'exemple le plus évident, c'est le cas des anarchistes et bolchéviques qui s'empressent de proclamer que « la jeunesse et le prolétariat ont la détermination et la puissance de vaincre ce gouvernement et sa politique. Ce qui les entrave, c'est que les organisations qui disent les représenter (partis et syndicats) se tiennent depuis des décennies dans le camp du maintien de l'ordre bourgeois, qu'ils nomment "la démocratie" » (lien). Sans trop de surprises, ces anti-démocrates ne sont pas prêts à envisager que si leurs idées ne révolutionnent pas la France, c'est peut-être tout simplement parce qu'il n'y a pas foule à les souffrir.

Mais ces embrigadés et énervés de service (dont l'attitude est parfaitement compréhensible de la part d'adolescents ; plus étrange quand elle est celle d'adultes) ne sont pas seuls.

Ainsi, au même moment la vice-présidente de la Ligue des Droits de l'Homme, Catherine Teule, organise une manifestation pour le « retrait du projet de loi de Nicolas Sarkozy sur l'immigration » (lien), bénéficiant incidemment de la présence à sa manifestation de lycéens et étudiants déjà en grève et dans la rue à propos du CPE.

Et dans pareil contexte, nul besoin n'est de creuser longtemps un argumentaire pour démonter le projet de loi sur l'immigration dont il est question. Non, il suffit de l'associer au CPE. Ainsi, « Pour Anne, étudiante en sociologie, "le lien entre les immigrés et nous, c'est la précarité". "Le gouvernement, renchérit Edouard, lui aussi en socio, veut choisir entre les bons jeunes et les autres. Et c'est pareil pour les immigrés: il y a les bons, ceux qu'on veut faire venir parce qu'ils sont qualifiés et les autres, ceux qu'on jette!" ». L'ambiance, le contexte veut que justement, on ne conteste point la contestation. Pourtant, ne peut-on pas se demander sur quelle planète vivent ces charmants sociologues pour croire qu'une entreprise, aussi philanthrope soit-elle, doit cesser de chercher ceux qui sont les plus compétents pour un emploi donné, pour penser qu'on puisse vouloir faire venir des gens à qui nous n'avons rien à proposer, pour affirmer que les devoirs d'une nation envers les citoyens qui la composent sont du même ordre que ceux à l'égard d'étrangers ?

Le thème d'ensemble permet l'anathème, permet la défaite de la pensée. Ainsi, si je déclare être pour la préférence nationale, je me doute bien que certains vont s'empresser de croire qu'il y a là la marque d'un discours d'extrême-droite. Alors qu'il me parait pourtant clair que je n'ai pas la vision de la nation ethnicisée qui caractérise l'extrême-droite et que je ne partage pas son modèle socio-économique (et pour cause : il n'existe pas).

C'est le fondement même d'une nation, d'une cité, que de discriminer selon la citoyenneté. L'exemple type de la cité démocratique est l'Athènes antique : le métèque n'y rivalise de loin pas en droits le citoyen.

Oublierais-je l'autre grand modèle antique, Rome, qui dans sa réputée « générosité romaine » accordait facilement la citoyenneté à qui la désirait, donnant un rang secondaire à la distinction entre citoyen et non citoyen ? Non, je ne l'oublie pas, pas plus que je n'oublie que la Rome antique était une oligarchie où la citoyenneté et le droit de vote ne signifiait rien à moins d'appartenir aux gens qui dominaient la cité de fait par leur clientèle, de droit par le découpage en classes censitaires. Il est facile d'adopter la générosité romaine qui consiste, royal, à donner beaucoup de choses dépourvues de valeur.

Bien sur, au nom d'une citoyenneté cosmopolite, l'idée de discrimination gène. Mais la France est une nation souveraine, non pas un petit maillon d'une entité cosmopolite. Dans la France telle qu'elle s'est elle-même définie dans la Constitution de 1958, il n'y a rien de choquant à pratiquer une discrimination par la citoyenneté, au contraire. L'idée même de nationalité française est une discrimination, une « action de distinguer, de séparer deux ou plusieurs éléments d'après les caractères distinctifs ».

Nos élus ne représentent que nous. Nous les élisons, nous tous. Lorsqu'un président de la République dit à l'étranger qu'il faudra à nouveau présenter à la France le Traité établissant une Constitution pour l'Europe un tout petit peu plus tard, inchangé, alors que la Nation a dit ne pas en vouloir, il proclame qu'il ne comprend pas qu'il est président de la République française, représentant du demos français (« Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément » lien), et non pas suprême magistrat doté par une nation quelconque de pouvoirs extraordinaires pour agir selon et uniquement selon son idée.

Puisque nos élus ne représentent que nous, leur intérêt est notre intérêt, leur intérêt est celui de la Nation que nous constituons. Il ne viendrait pas à l'esprit des immodérés de prétendre que les syndicats ont légitimité à cesser de représenter les salariés par lesquels ils ont été élus. Pourquoi donc refusent-ils, par exemple, à un ministre de l'Intérieur d'agir prioritairement en fonction de l'intérêt des citoyens, tant pis si cela n'arrange pas les autres ? On peut trouver mille raisons ; mais aucune justification cohérente.

Lorsqu'on a pas de justification mais mille raisons, l'anathème s'impose.

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