Un diable dans la glotte ?

« Derrière un ballon de riesling moitié-vide moitié-plein, naviguons d'une digression à l'autre, devisons de l'actualité judiciaire, politique, culturelle ou tout simplement et largement sociale... en tentant d'échapper aux sentiers balisés de la bien-pensance, sans s'interdire de remarquer qu'on peut aussi aisément être le bien-pensant d'un autre. »

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L'intégration : force et séduction

vendredi XXXI mars MMVI

Si l'on regarde la photo lien on voit, entre un énième « nique la police » et un énième véhicule non-coté à l'argus dégradé, en rouge écrit « Nique sa mère l'intégration » que l'on peut supposer de la plume, si j'ose dire, d'un jeune d'origine immigrée. Si ensuite on consulte la vidéo lien on peut avoir le sentiment que le rapport avec la France de tels jeunes est des plus distants. Ce n'est pas un scoop, c'est vrai. Ainsi, ils n'imaginent pas que l'on puisse connaître par coeur la Marseillaise ; je dois être un extra-terrestre, mais moi je l'ai apprise à l'école. « On va créer notre propre milice pour défendre notre quartier, nos familles », s'il y a une guerre, disent-ils - « tous les jeunes dans les quartiers [...] pensent comme ça ». Pire, ils ont un « sentiment de trahison par rapport à la France » évoquant les tirailleurs sénégalais, les pieds-noirs, les harkis. Distance, méfiance « on peut se battre pour la France, mais demain, on aura quoi en retour ? ».

Je pense que cette photo et cette vidéo illustre bien l'affligeante situation dans laquelle nous sommes.

Ces jeunes que l'on voit en vidéo n'ont pas l'air idiot. Si leur maîtrise de la langue semble approximative, ils sont parfaitement capable de raisonner logiquement et expriment un certain sens de l'honneur. Seulement voilà, leur intelligence est tournée contre la France. Ils semblent la voir comme un ennemi proche.

Quand ils évoquent la trahison de la France à l'égard, par exemple, des harkis, cela semble les éloigner de la France. Pourtant, ce n'est pas obligatoire ; moi aussi je trouve parfaitement lamentable l'attitude de la Nation à l'encontre de ces hommes qui se sont battus au nom de la France. Ça ne m'éloigne pas de la Nation, cela m'amène à exprimer d'autres exigences au nom de la France. Il ne me viendrait pas à l'esprit de remettre en question ma citoyenneté de ce fait, car il ne me viendrait pas à l'esprit de penser qu'on ne peut être citoyen que d'une Nation qui n'a jamais fait d'erreur, faute de quoi la citoyenneté n'existerait pas. La citoyenneté doit reposer sur un pari d'avenir, pas sur la seule croyance d'un passé mythique.

Et la suite tragique, c'est qu'en dépit du fait d'être de bonne volonté, car ils seraient en effet prêts à devenir policiers au nom d'un intérêt commun (« On va créer notre propre milice pour défendre notre quartier »), ils semblent pencher vers ce qu'on voit sur la photo, vers le refus de l'intégration qui s'exprime par la dégradation du bien d'autrui, qui aura toujours le tort de s'être intégré. Et, de fait, cela rend d'autant plus nécessaire la présence policière qui cristallise leur haine, police qui incarne à la fois la Nation et le Droit.

Car les jeunes ne sont pas fâchés qu'avec la Nation. Mais nécessairement aussi avec le Droit. À partir du moment où le postulat d'injustice de la Nation domine l'esprit de ces jeunes, il leur devient impossible d'accepter l'autorité du Droit, car c'est tout simplement l'empêcheur de tourner en rond, celui qui interdit de s'amuser en exprimant sa défiance et sa méfiance, celui qui interdit de s'amuser en générant facilement de l'argent aux dépends d'autrui.

J'enfonce peut-être des portes ouvertes. Mais je pense que la lecture que je fais du sujet a le mérite d'être constructive, en ne diabolisant par à outrance les jeunes concernés sans pour autant accepter d'entrer dans leur danse en légitimant à moitié leur comportement.

Je l'ai déjà dit, je pense que certains sociologues et historiens sociologisants ont eu tort de souvent s'embrigader, en marquant leur incapacité à faire la part des choses entre conclusions raisonnables d'une étude sociologique et opinions politiques. Je veux pour exemple Gérard Noiriel, historien de l'EHESS, qui en 2002, dans un article pas nécessairement idiot (lien), manipulait des concepts aussi étranges que celui de « partie de la jeunesse ouvrière » pour désigner des jeunes d'origine immigrée qui sont loin d'être et de vouloir être en col bleu, concepts qui n'ont de sens que par une réduction idéologique de son sujet.

Par sa vision marxisante d'un monde en lutte des classes, il croyait que « les petites révoltes urbaines d'aujourd'hui ont un caractère autodestructeur, puisqu'elles ne frappent que les milieux populaires eux-mêmes », ne comprenant pas que le concept de « milieux populaire » comme un tout n'existe que dans sa propre théorie, pas dans le monde de ceux près à s'armer pour, au mieux, leur quartier ou, au plus simple, leur famille. Naïvement, Noiriel exprime la son incapacité, par idéologie, à comprendre qu'il n'y aucune autodestruction dans la destruction de l'autre qui appartient à la même couche sociale, car il n'y a pas communauté de classe. Noiriel prétendait que « la principale différence entre la violence populaire d'hier et celle d'aujourd'hui, c'est que le mouvement ouvrier a été capable dans le passé de la canaliser et de lui donner un sens politique », s'interdisant d'imaginer qu'il n'y a pas nécessairement une seule et unique forme de violence. Une nouvelle forme de violence ne remplace pas forcément une plus ancienne. Et l'agression d'un pauvre par un autre pauvre n'est pas en soi très originale, n'est pas Robin Hood qui veut. Il n'a pas tort en disant que la disparition de l'esprit de lutte des classes ouvre plus grand la porte à la violence au sein d'une même couche ; mais lorsqu'il dit que cette violence est autodestruction, il n'exprime rien d'autre que sa vision politique d'un monde divisé en classes.

La conclusion qu'un Noiriel fait du sujet reste pervertie par le mélange d'approche scientifique avec l'approche politique. Il n'offre aucune réponse ou proposition sur le traitement du problème social abordé. Non, au contraire, il s'adresse finalement aux «  militants » et leur conseille de « mettre à profit les acquis de la recherche historique et sociologique pour réfléchir à un projet politique ». Drôle de chercheur que celui qui propose un guide pour le « militant ». Drôle de savoir que celui qui devient un « acquis ». Il n'y a en tout cas pas besoin d'être clairvoyant pour comprendre que parler de « promouvoir de nouvelles structures d'action collectives de façon à articuler d'une manière inédite les aspirations populaires à l'intégration et à l'autonomie » ne signifie pas à un moment T donner un conseil X pour résoudre un problème Y dans une société Z, mais au contraire remettre à plus tard la résolution du problème en suggérant que, finalement, la résolution du problème implique d'autres changements politiques préalables. Nul besoin, non plus, de recourir à un quelconque art divinatoire pour également savoir interpréter la portée de la description de l'intégration comme assujettissement « à l'ordre bourgeois ».

Pour ma part, je pense qu'il est temps à la fois d'essayer d'être optimiste pour l'avenir et de penser que l'on pourra faire de ces jeunes en rébellion parfois idiote de bons citoyens, à la fois de rejeter le fond politique des discours de ces pourvoyeurs de prêt-à-penser qui ne sont pas capable de proposer pour le présent.

Ce dont nous avons besoin, c'est d'intégrer, d'offrir une place dans notre monde social, de montrer à ces jeunes qu'ils peuvent faire partie de la France s'ils le veulent ; et de montrer à ces jeunes que ceux qui ne veulent pas en faire partie ne seront pas excusés. C'est une affaire délicate, car il s'agit de se montrer fort tout en se montrant séduisant. Mais certainement pas d'être une victime comme ces gens de l'EHESS qui aujourd'hui pensent ou suggèrent que la cause première du piteux état dans lequel se trouve leurs locaux est la non-intervention de la police (« Malgré les demandes répétées de la direction de l'Ecole, la préfecture de police s'est refusée à toute intervention, recommandant au contraire le recours à une société de vigiles », aspect que bizarrement les chercheurs ne cherchent apparemment pas à expliquer, lien), ni d'être un Pol Pot comme ces gens de certains partis qui aujourd'hui pensent que tout ne tient qu'à un vol de charter.

« On peut se battre pour la France, mais demain, on aura quoi en retour ? » : cette question n'est-elle pas fondamentalement positive ?

Finalement, le choc des cultures que l'on sent se produire en France, ne repose t-il pas sur l'abandon par une partie des élites du concept de culture nationale ?

Par exemple, lorsque des musulmans tentent de censurer une exposition de dessins « contre toutes les religions » (lien), n'est-ce pas l'incarnation de l'abandon de la culture nationale qui a pour fondement l'idée que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme » (article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lien) ? Plus avant, ne serait-il pas temps d'expliquer aux musulmans français que s'ils veulent interdire certaines pensées aux nom d'autres pensées, on devra commencer par interdire leur religion et leur pensée, car c'est celle qui a le moins de légitimité historique en France ?

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