La prison, ça n'arrive pas qu'aux autres ?
lundi XXI novembre MMV« La prison, ça n'arrive pas qu'aux autres » est le thème des « 12ème journées nationales de la prison, destinées à sensibiliser l'opinion aux difficultés de l'univers carcéral », nous apprend l'AFP ce matin [1].
Quiconque s'étant un tout petit peu, rien qu'un petit peu, renseigné sur la situation des prisons françaises sait qu'il n'est pas rare d'avoir des prisons dont le taux d'occupation dépasse 150 %. Et comme si cela ne suffisait pas, on reconnaît que la prison souvent forme des jeunes primo-délinquants à devenir des récidivistes. Avec un bémol toutefois sur ce point : notre Justice n'envoie quasiment jamais de jeunes n'étant pas d'emblée en récidive légale (c'est à dire n'ayant pas été précédemment condamné) en taule ; en général, les sursis probatoires et autres peines alternatives semblent être privilégiées, car les magistrats connaissent l'État de nos prisons. En ce sens, on ne peut pas vraiment parler de primo-délinquance, puisqu'il est plutôt question déjà de récidivistes au sens de la récidive légale. On peut juste dire que la prison dans son état actuel favorise nettement la récidive pénitentiaire (le fait de retourner en prison). La prison pousse les délinquants à le rester, parce que la prison est un lieu d'injustice. Par exemple, pour bénéficier d'une télévision, il faut payer. On peut discuter sur la pertinence de la présence de télévision dans les cellules. Mais l'aspect véritablement gênant, c'est que dans les prisons françaises, l'argent crée des conditions d'inégalité et des rapports de force. J'ai pris la télévision comme exemple, mais ce n'est qu'un exemple, qui malheureusement montre bien comment on peut pousser des gens ayant déjà été tenté de commettre une infraction pour des raisons matérielles à poursuivre plus avant cette logique. Voilà pour le choquant politiquement correct. On pourrait évoquer le nombre de viols s'y produisant chaque année évoqué par certains rapport parlementaires, pour s'assurer que ce n'est pas que des actes de petite délinquance qui se produisent en prison, mais également des crimes parmi les plus graves selon la classification pénale.
Qu'on le dise, nos prisons sont souvent des lieux immondes.
Pour parer à ce problème, il existe plusieurs solutions.
La réponse pénale, c'est de favoriser les peines alternatives à l'emprisonnement, ou d'aménager l'exécution des peine, pour baisser le taux d'occupation des prisons. Un exemple d'aménagement de l'exécution de la peine consiste à imposer le port d'un bracelet électronique en échange d'une libération conditionnelle, Mais selon les organisateurs de ces « journées nationales de la prison », le projet de loi sur la récidive ne s'inscrit que dans une « politique de répression ». Je ne m'explique pas ce point de vue. A croire qu'il s'agit de prendre parti pour ou contre la prison en théorie lorsqu'on parle de l'état concret des prisons. A croire que, finalement, ce qui importe aux organisateurs de ces évènements, ce n'est pas de tenter d'adapter notre système d'exécution des peines pour qu'il joue son rôle, qui comprend une part répressive (répression, prévention, réinsertion, voici le rôle de la peine), mais de contester toute idée de peine parce qu'elle comprend comprend une part répressive, parce qu'elle peine. Car ce n'est que dans cette logique que l'on peut s'expliquer l'association d'une loi portant sur l'exécution des peines hors la prison et les problèmes du milieu carcéral. Car le port du bracelet électronique en aucune façon n'aggrave la situation des prisonniers. Mieux, on pourrait penser qu'il s'agit du seul moyen acceptable au regard de la protection de la société pour continuer à donner des libérations conditionnelles automatiques pour des criminels dangereux, c'est à dire pour justement leur permettre de sortir de prison.
Prenons l'exemple de Pierre Bodein. En 1990 (source : Au Troisième Oeil, Dossier : "Le cri des victimes" réclamant une législation spéciale pour les tueurs en série, Nov 2005 [2]) , il s'évade d'un centre hospitalier, tente de tuer des policiers et commet deux hold-up. Il est condamné en 1996 à 20 ans ferme (plusieurs condamnations : 19 ans et 15 ans en 1994, 28 ans en 1996 ; jointe par le mécanisme de la confusion des peines, limitées à 20 ans pour une question procédurale par la Cour de Cassation). Le système des remises de peine fait qu'il sort en 2004 (2004-1996 = ?, faites le calcul !). 3 mois après sa sortie, il tue à 3 reprises. N'est-il pas évident qu'il y a là un problème, qu'on ne peut se contenter de vouloir à la fois permettre des sorties de prison rapide et refuser tout contrôle sur les libérations conditionnelles ? Ce cas vous semble trop flou ? Prenons le cas Fourniret (même source). Arrêté en 1984, il avoue de multiples agressions, enlèvements et viols. Il est condamné à 7 ans (épatant vu les faits reprochés, n'est-ce pas ? Mais à l'époque, ce type de faits étaient globalement moins sévèrement réprimés, l'idée que les victimes de viols était responsable de leur situation était encore populaire [3]) dont deux avec sursis et 3 ans de mise à l'épreuve en juin 1987. Il sort de prison à l'hiver 1987, ayant effectué 3 ans ferme entre son arrestation et sa condamnation. Dès le 11 décembre, il tue à nouveau. Selon Jean-Pierre Escarfail, (président de l'Apev, une association de victimes, père de l'une des sept jeunes filles assassinées par Guy Georges) se basant sur des statistiques de l'administration pénitentiaire, un condamné à perpétuité ne purge en moyenne que 17 ans de prison, alors que ceux condamnés entre 20 et 30 ans sortent avant d'en avoir fait 7.
La réponse matérielle au problème consiste à créer de nouvelles prisons. C'est en cours. Il est intéressant de voir que la construction de prisons fut présentée par certains comme la preuve d'une volonté de réprimer à tout va de la part du Gouvernement. Comme quoi, certains n'ont pas fini de se mettre la tête dans le sable. Ce n'est pourtant pas tous les jours que le Gouvernement actuel prend en compte les intérêts de la société et engage l'État, au lieu de le désengager.
Mais au-delà des solutions à proposer, on peut s'interroger sur le thème de ces journées des la prison. Serions-nous tous des délinquants ? Ce que le thème « la prison, ça n'arrive pas qu'aux autres » gomme délicatement, c'est que la prison, ça n'arrive pas aux innocents, sauf erreur judiciaire. Ce n'est pas comme si c'était une chose banale pouvant arriver à n'importe qui dans n'importe quelles circonstances.
Pour étayer le thème, l'article de l'AFP donne des exemples : « Malfrats et meurtriers ne sont pas les seuls derrière les barreaux : un enfant qui se laisse entraîner dans la drogue, un ami étranger en situation irrégulière, un maire ou un architecte dont la responsabilité est engagée, un accident de voiture mortel alors qu'on est au téléphone ou ivre, un "coup de sang" qui pousse au crime... ».
On peut se demander d'où sortent de tels exemples, sérieusement. Personne ne va en prison en France pour consommation de stupéfiants. Et peu de mineurs arrêtés pour trafic de stupéfiant vont en prison. Un individu en situation irrégulière est, comme le nom l'indique, en situation irrégulière ; en quoi il y a t-il normalité et banalité à être en situation irrégulière ? Combien de maires ou architectes ont déjà été envoyé en prison ? Probablement aucun, ou peu et dans des circonstances extrêmes, touchant gravement leur responsabilité individuelle et non celle de la personne morale qu'ils pourraient représenter. Téléphoner en conduisant ou conduire ivre constitue une mise en danger délibérée d'autrui, si cet acte parait banal, il serait temps que cela cesse. Quand au fait de tuer ou violer (commettre un crime) par « coup de sang », cela signifie être incapable de contrôler ses pulsions au point de gravement nuire à la vie d'autrui, j'espère que tout le monde n'est pas capable de cela.
Bref, ce sont vraiment vraiment des exemples ahurissants. Soit ils sont parfaitement improbables et on peut se demander, dans ces cas là, si c'est l'ignorance ou un défaut d'honnêteté qui pousse à les mettre en avant sans rire. Soit ils décrivent des actes qui peuvent paraître banals mais dont les conséquences probables sont d'une forte gravité et qui, donc, ne devrait pas du tout être vu comme anodins.
Et on pourrait aussi parler de la rédaction précise du thème. « La prison ça n'arrive pas qu'au autre » dit clairement, dans le texte, qu'il s'agit d'une fatalité, que ça nous arrivera. Lorsqu'on choisit un thème pour une campagne, théoriquement on réfléchit longuement au sens des mots. Et là, le sens est très douteux. Il n'aurait pas été compliqué d'imaginer une forme de rédaction du thème, moins périlleuse, telle « La prison peut arriver à tout le monde ».
En conséquence, il est dur de soutenir de la démarche de ces associations, puisque ce faisant, on en viendrait à soutenir des idées tout à fait discutables. C'est bien dommage, car le problème de fond est réel. Et il y a quelque part quelque chose d'étrange à vouloir faire croire qu'un condamné est tel que n'importe quel autre citoyen lorsque l'on veut évoquer les conditions de l'emprisonnement ou de la réclusion criminelle. Quand j'entends une telle proposition, mon premier réflexe est de penser « mais pour qui me prenez-vous, non je ne m'imagine pas commettre un crime ou délit grave », ce qui, vous en conviendrez, n'incite pas à vouloir se soucier des condamnés. Alors qu'évidemment, ils méritent qu'on s'intéresse à leur situation, peu importe les crimes qu'ils sont commis.
Il est vrai que des erreurs judiciaires, telle que celle qui fait l'actualité, montre que des innocents peuvent être emprisonnés. En ce sens, n'importe qui peut être victime d'une erreur. C'est le seul exemple valable que je trouve pour justifier ce thème, exemple qui n'a pas été donné, du moins dans la dépêche AFP. Hormis les causes des erreurs judiciaires (dans le cas concerné : juge d'instruction commettant apparemment des fautes professionnelles gravissimes), la seule solution viable est bien entendu d'assurer que la prison ne soit pas un quartier de haute insécurité.
Une des victimes du procès d'Outreau (j'ai bien écris « du procès », pas « au procès ») était un jeune d'une vingtaine d'années, condamné très très manifestement à tort. En le voyant dans un documentaire récent, on pouvait voir un homme littéralement détruit, avec, détail intriguant, un point tatoué près de l'oeil, disant à demi-mot que l'on lui a fait du mal en prison. Je me suis demandé ce que signifiait ce point. Beaucoup de tatouages très rustiques, fait avec des aiguilles à coudre dont le mouvement est alimenté par un moteur de balladeur par exemple, sous forme de points, ont un sens précis en milieu carcéral. Ainsi, si ma mémoire est bonne, les 4 points (en carré) signifie « entre quatre murs », les 3 points (en triangle) signifie « morts aux vaches » (les vaches étant les condés, perdreaux...). Généralement ces points sont sur le poignet. Alors pourquoi un seul point, et sur le visage ? J'ai une hypothèse. En taule, les violeurs sont nommés les « pointeurs », comme vous le savez sans doute. Un point, unique, ça colle bien avec cette image. Pourquoi sur le visage ? Parce que si un tatouage signifiant qu'untel est un « pointeur » devait être fait, évidemment de force, c'est sous forme de sanction, une peine de la rue, et au plus visible. Si mon hypothèse est valide, je n'ose imagine les sévices que ce jeune homme à du sévir, car le point ne doit être que la partie visible de l'iceberg. Qu'ajouter à cela ?
Dur de conclure sur un sujet aussi vaste et inquiétant. Toujours est-il qu'il me semble que, une fois de plus, un débat crucial et important va être pollué par des intervenants qui, de toute évidence, ne peuvent pas s'empêcher de mêler analyse de la situation (le délabrement criminel des prisons) et inspirations politiques individuelles (déresponsabilisation individuelle des condamnés, présentés inlassablement comme victimes de la société dépourvues de libre-arbitre).
[1] Page AFP : lien
[2] Site de la librairie Au Troisième Oeil, animé par S. Bourgoin, criminologue reconnu (intervenant auprès des écoles de la police nationale, de la gendarmerie et de l'administration pénitentiaire) : lien
[3] Ce type de pensée restent d'actualité encore de nos jours. Par exemple, selon un sondage, fait auprès de 1000 personnes au Royaume-Uni en 2005, 25 % des sondés pensent qu'une femme en état d'ébriété est partiellement responsable d'un viol dont elle serait victime : lien
1. En prison, il n'y a pas d'innocent, sauf erreur judiciaire...
...mais n'oublie pas qu'en prison se trouvent aussi des personnes qui ne sont pas encore condamnée - donc à priori innocente - et qui sont là préventivement.
Dans ce cas, il ne s'agit pas d'erreur judiciaire puisque la cour ne s'est pas encore prononcée sur la culpabilité de cette personne.
Et parfois, ces personnes mises préventivement en prison sont totalement innocentes et victime à la fois du crime et d'un isolement qui se transforme en sanction.